Vendredi 5 mai, Abbaye des Prémontrés à Pont-à-Mousson. Une belle effervescence règne dans la vaste cour de l’Abbaye, côté Moselle. Sous les arcades est préparé l’accueil des invités. Une demi-douzaine de grands posters riches en infographies et en chiffres, expose la démarche, l’état des lieux de la coopération transfrontalière en matière de surveillance des eaux. Mais la véritable attraction est de l’autre côté des murs. Après avoir franchi un petit porche, vous voici sur la belle esplanade ombragée, gazonnée et plantée d’arbres, qui longe la rivière. Et devant vous le bateau laboratoire Max Prüss, auquel on peut accéder grâce à un petit ponton d’accostage. À l’avant du navire, le grappin au bout de son bras mécanique se met en action pour aller racler les fonds, recueillir quelques pierres ou morceaux de rocher enrobés de mousse ou de sédiments, auxquels sont accrochés d’éventuels mollusques. Ce bateau a sillonné pendant une petite dizaine de jours, la Moselle et la Sarre, entre Coblence et l’embouchure dans le Rhin et la confluence avec la Meurthe à Nancy, via Pont-à-Mousson. C’est ce bateau, véritable laboratoire flottant de 27 m² qui a vivement intéressé les nombreux convives de cette manifestation fort bien organisée par l’Agence de l’eau Rhin Meuse.
Un geste du Land de Rhénanie-du-Nord- Westphalie
De fait, le bateau labo appartient au Land de Rhénanie-du-Nord- Westphalie. Naviguant sur le Rhin et ses affluents ainsi que sur la Weser et les canaux d’Allemagne de l’Ouest, le Max Prüss est équipé de moyens de prélèvements adaptés à tous types de supports d’analyse (grappin, centrifugeuse). Il dispose de nombreux appareils de mesure en continu permettant la préparation, l’analyse (température de l’eau, pH, conductivité électrique, teneur en oxygène et turbidité) et offrant la possibilité de stocker les échantillons. Ces derniers étant le plus souvent acheminés vers des laboratoires de recherche pour des analyses plus pointues.

À la recherche de dreissènes
L’Agence de l’eau Rhin-Meuse a la charge de la surveillance du bon état des eaux, des milieux aquatiques. Pour agir avec efficacité, elle s’est associée à ses homologues allemands et luxembourgeois pour mener une campagne transfrontalière exceptionnelle du 4 au 6 mai. Au cours de cette campagne, le bateau laboratoire a effectué des prélèvements de dreissènes dans les eaux de la Moselle française, en amont de ceux réalisés sur son cours international, la semaine suivante.
Véritables bioindicateurs de l’état des eaux, ces moules zébrées d’eau douce permettront de révéler les éventuels polluants présents dans les cours d’eau, notamment la famille des HAP, hydrocarbures aromatiques polycycliques classés comme cancérigènes. Les résultats de ces prélèvements feront l’objet d’une évaluation commune transfrontalière, puis à l’instar de l’ensemble des données issues du dispositif de surveillance, seront rendus publics dès qu’ils auront été validés.
Déterminer les sources des pressions polluantes
Comme l’ont indiqué Marc Hoeltzel, directeur de l’Agence de l’eau Rhin-Meuse et son homologue allemand de Rhénanie-Palatinat, Andreas Christ, les analyses effectuées sur les moules zébrées permettront d’évaluer de manière fiable la présence dans nos cours d’eau de certains polluants bioaccumulables, dont onze paramètres chimiques ciblés au niveau européen, et de tenter de déterminer les sources de pression polluantes, notamment la famille des HAP. Cette opération exceptionnelle a pu se faire grâce à l’excellente coopération transfrontalière menée entre l’Agence de l’eau Rhin- Meuse et les Commissions internationales pour la protection de la Moselle et de la Sarre (CIPMS).
« Pas de politique de l’eau sans surveillance… »
Marc Hoeltzel s’est du reste livré à un véritable plaidoyer sur cette action menée sur le long terme. « Les organismes vivants, dont l’Homme, dépendent de la qualité de l’eau du territoire sur lequel ils vivent. Pour pouvoir prendre soin de cette eau si précieuse, qu’elle soit en surface ou souterraine, il est nécessaire de diagnostiquer au préalable son état. Aussi le travail de surveillance active mené par l’Agence de l’eau Rhin-Meuse et ses partenaires internationaux répond à un enjeu majeur dans la préservation de la ressource en eau, permettant d’engager la bonne action au bon endroit dans une logique d’efficience des financements publics. Les résultats collectés permettront d’évaluer l’impact des polluants sur la santé humaine, les organismes aquatiques et leurs écosystèmes pour mettre en place des actions concrètes visant à protéger la ressource. Il n’existe pas de politique de l’eau pertinente sans une surveillance efficace des milieux aquatiques. »
« Cette rivière, il faut la choyer »
Les intervenants officiels à cette manifestation ont tous insisté sur le poids et la longévité de la coopération transfrontalière. Le maire de Pont-à-Mousson, ville de Meurthe et Moselle de près de 15 000 habitants, s’est félicité « d’avoir ouvert la ville sur la rivière ». Un quai sous le pont, un petit port de plaisance rempli de résidents, donne de la vie à la cité autour du cours d’eau. « Cette rivière il faut la choyer, il faut l’entretenir » dit-il faisant référence à la qualité de son eau issue des Vosges. « C’est un bien commun » a-t-il conclu non sans rappeler le jumelage de sa ville avec Landstuhl, une ville de Rhénanie-Palatinat.
Pétra Berg, ministre de l’Environnement du land Sarre, tout comme André Weidenhaupt, premier conseiller de gouvernement du ministère de l’Environnement, du Climat et du développement durable du Grand-Duché, étaient visiblement ravis de participer à cet évènement dont ils ont salué l’organisation. Ils ont surtout, à l’instar du préfet de Meurthe-et-Moselle, Arnaud Cochet, mis en exergue « la longue tradition de cette coopération transfrontalière qui fonctionne bien et qui porte ses fruits pour améliorer la protection des eaux. »
« L’eau ne s’arrête pas aux frontières »
De fait, la coopération transfrontalière sur la Moselle et la Sarre au sein des CIPMS est le fruit d’une longue tradition de près de 60 années. Grâce à des actions transfrontalières coordonnées, l’Agence de l’eau Rhin-Meuse, le Grand-Duché du Luxembourg et les Länder de Rhénanie-Palatinat et de Sarre, disposent d’une base de données partagée et d’une compréhension commune des actions et défis à mener afin d’atteindre le bon état des eaux dans les bassins fluviaux internationaux. Andreas Christ, directeur de l’eau de Rhénanie-Palatinat l’a bien compris : « Cet événement nous montre de manière exemplaire à quel point une coopération transfrontalière et partenariale est nécessaire. Tout comme l’eau ne s’arrête pas aux frontières nationales, les polluants de l’eau ne s’arrêtent pas non plus aux frontières nationales. La directive-cadre européenne sur l’eau a créé des conditions cadres inter-bassins pour des mesures de surveillance et de gestion transfrontalières. »
Un travail de fond mené depuis 50 ans
L’Agence de l’eau Rhin-Meuse est un établissement public de l’État. Elle est chargée de surveiller le bon état de santé des milieux aquatiques du bassin Rhin-Meuse. Ce sont quelque 800 points de surveillance en eau de surface et 500 en eau souterraine qui lui permettent d’établir des bilans de santé des rivières, lacs et eaux souterraines. Ces données permettent d’orienter les actions à mener pour assurer la préservation de la qualité des eaux.
Véritable outil de pilotage de la politique de l’eau, la surveillance de la qualité des milieux aquatiques bénéficie de plus de 50 ans d’histoire, de données et de savoir-faire. Les premières opérations ont été engagées dans les années cinquante et soixante sur le Rhin et la Moselle, via toutes les jeunes Commissions fluviales internationales, puis déployées à l’échelle du bassin en 1971. Au fil des années, elles ont été renforcées, consolidées et modernisées, permettant de bâtir une connaissance sur le long terme, essentielle aux politiques environnementales. Depuis 2007, la surveillance est engagée au titre de la Directive Cadre sur l’Eau (DCE) qui fixe des objectifs et des méthodes pour atteindre le bon état des eaux.
4 à 5 M€ pour la surveillance
Le programme de surveillance du bassin Rhin-Meuse, qui vise l’ensemble des milieux aquatiques, intègre de nombreuses thématiques telle que la surveillance quantitative ou qualitative, les pollutions ponctuelles, diffuses, toxiques, la biologie – faune et flore – ou encore l’hydromorphologie. Les données produites sont diverses : débit et hauteur d’eau, les indicateurs de santé des peuplements vivants, concentration de multiples paramètres chimiques (sur l’eau, le sédiment, les matières en suspension ou certains supports biologiques comme les poissons, les mollusques ou les crustacés), températures des eaux de surface. C’est donc un inventaire complet des milieux aquatiques qui est réalisé et révèle l’état de santé de ces écosystèmes.
« Un défi »
Afin d’atteindre le bon état des eaux à l’horizon 2027 comme l’impose la directive cadre européenne, l’Agence de l’eau Rhin- Meuse a engagé 23,5 M€ entre 2019 et 2024. Grâce à ses travaux de surveillance, elle analyse et mesure 700 paramètres (chimie, pollution, biologie, hydromorphologie etc.) et produit chaque année entre 2 et 4 millions de données sur la qualité des eaux mises à disposition gratuitement sur le système d’information sur l’eau Rhin-Meuse. Pour Marc Hoeltzel, avec le réchauffement climatique, la sécheresse, la préservation de la ressource en une eau de qualité « représente un authentique défi. La surveillance des milieux aquatiques est un pilier de notre politique de l’eau. C’est un outil d’expertise qui monte en puissance. Nous allouons entre 4 et 5 M€ par an à cette surveillance. » Et comme l’a estimé son homologue allemand, Andreas Christ « cette stratégie porte ses fruits. Elle renforce nos connaissances et permet de faire diminuer les polluants. Enfin elle nous aide à améliorer notre gestion de l’eau, notamment en matière de prévention des inondations. La protection des eaux est essentielle pour les hommes. »
Un tour dans le bateau labo
Jochen Fischer, directeur du département de la protection des milieux aquatiques au ministère de l’Environnement du Land Rhénanie-Palatinat, a guidé ses visiteurs sur la bateau labo. Il a ainsi évoqué ces mollusques qui s’incrustent sur les rochers au fond de l’eau et que le grappin va gratter à 5 ou 6 mètres de profondeur. « Ces dreissènes sont présentes dans la Moselle depuis une quinzaine d’années. Ces moules zébrées filtrent continuellement l’eau pour se nourrir. Ce faisant, elles absorbent avec les particules alimentaires, des micropolluants présents dans l’eau qui s’accumulent ensuite dans leurs tissus et qui peuvent être détectés et quantifiés par des analyses chimiques. Le grappin est un outil important. Il nous permet de réaliser des prélèvements et de recueillir des échantillons de sédiments que nous analysons à bord » dit-il en nous indiquant une stabulation de dreissènes. « On va purger les intestins des mollusques afin de mesurer la teneur en polluants dans leur tissu. Ces échantillons sont conservés dans un aquarium en eau filtrée pendant 24 à 48 heures où on oxygène les dreissènes. On les congèle ensuite pour les envoyer dans un laboratoire à l’extérieur. » Chloé, une laborantine se charge de la partie biologie. Elle s’inquiète de savoir si les bêtes sont malades et ont pu ingurgiter des polluants.

Méthode croisée complémentaire
Un universitaire rémois est venu présenter une autre méthode de surveillance de la qualité des eaux des rivières du bassin. Elle utilise également les dreissènes. Mais dans ce cas il ne s’agit pas de dreissènes sauvages, mais de mollusques élevés, en particulier dans le lac du Der dans la Marne. Ces derniers sont ensuite introduits dans les eaux des rivières, Moselle, Sarre, à des stations précises, où ils restent un temps donné. Ces moules sont ensuite récupérées pour être analysées. Pour les responsables de l’Agence de l’eau cette méthode n’invalide pas le travail mené avec le bateau laboratoire. « C’est une méthode croisée tout à fait complémentaire de celle faite avec le Max Prüss » estime Guillaume Démortier de l’Agence de l’eau Rhin Meuse.
Les médicaments sont surveillés de près
La présence des médicaments dans l’environnement et leur impact éventuel constitue un sujet de préoccupation. Leur surveillance prospective est en pleine croissance depuis 2017. Quelles molécules sont présentes dans le milieu naturel ? Dans quel compartiment (eau, sédiments, sols…) ? Avec quel niveau d’impact sur les écosystèmes ? Et quels sont les risques induits pour la santé humaine y compris face au défi de l’antibiorésistance ? Autant de questions auxquelles tente de répondre le dispositif de surveillance déployé par l’Agence de l’eau et ses partenaires.
Jochen Fischer a également souligné le travail mené sur les conséquences du changement climatique, en particulier sur les proliférations massives dans la Moselle de cyanobactéries émettant des substances neurotoxiques dans la Moselle. « Là aussi des actions coordonnées sont menées. Depuis 2021, deux stations, l’une sur la Moselle, l’autre sur la Sarre, sont équipées de moniteurs d’algues en ligne permettant de détecter rapidement le développement massif d’algues toxiques » explique le responsable de la protection des milieux aquatiques de Rhénanie-Palatinat.
Voir aussi sur www.eau-rhin-meuse.fr
Des chiffres clés sur la surveillance de l’eau en France
En France on recense quelque 10 000 stations de mesure, selon des chiffres de 2022. Quelque 800 paramètres sont inclus dans la surveillance des cours d’eau. On relève 9000 prélèvements hydro biologiques par an. Entre 2013 et 2017, près de 68 millions d’analyses des fleuves et rivières ont été effectuées contre 5,5 millions entre 2000 et 2004.