Franck Leroy connaît la sensibilité des Lorrains, notamment des travailleurs frontaliers sur le sujet du transport, notamment vers le Luxembourg. Lors de sa conférence de presse de fin juin, il comprend « l’impatience des frontaliers… » En clair, il se sent attendu sur le sujet. Et sa réponse avec ses homologues du Grand-Duché se veut à la hauteur des enjeux… et des attentes. Ils ont présenté les projets en cours et à venir pour améliorer la mobilité transfrontalière entre la France et le Luxembourg. Cette fois, il est question de multiplier les TER, d’améliorer les quais qui seront rallongés, d’accueillir de nouvelles rames, de créer de nouveaux parkings, et d’augmenter les cadencements de trains, plus importants à l’horizon 2025, puis 2030. Le tout représente des investissements de taille, autour de 6,6 milliards d’euros, pendant cette période, engagés par le Grand-Duché du Luxembourg et la Région Grand Est.
Du rattrapage à l’anticipation
La stratégie engagée par le Grand-Duché a évolué. Le Plan national de Mobilité 2035 luxembourgeois est un concept global capable de gérer 40% de déplacements supplémentaires par rapport à 2017, en passant d’une logique de rattrapage à une logique d’anticipation de la future demande de mobilité. Une demande qui va fortement augmenter dans le futur. Pour l’anticiper, le PNM luxembourgeois envisage d’étudier le déplacement des personnes plutôt que des véhicules. D’où les axes définis pour mieux canaliser cette demande :
- Déterminer le nombre de personnes se déplaçant ;
- Renforcer les modes de transport les mieux adaptés ;
- Mobiliser les quatre acteurs de la mobilité, c’est-à-dire l’État luxembourgeois, les communes, les employeurs et les citoyens.
Le PNM 2035 met un accent fort sur les modes les plus durables, tels que les transports publics, le vélo, la marche à pied, afin de résoudre les problèmes de mobilité. Il préconise aussi un recours plus important au covoiturage pour réduire davantage le nombre de véhicules sur les routes.
Beaucoup de projets transfrontaliers
Mais le sujet qui retient l’attention des deux institutions est bien la mobilité transfrontalière. La question a été au coeur du protocole d’accord de Paris, entre les deux États, qui définit de nombreuses pistes et mesures permettant « d’améliorer de façon considérable la mobilité transfrontalière » assure le communiqué final de la Région et du Grand-Duché.
• Les projets en France s’appuient sur un cofinancement franco-luxembourgeois à raison de 50%-50% afin de permettre une desserte transfrontalière renforcée. L’enveloppe financière luxembourgeoise dans le cadre du protocole d’accord de 2018 et de son avenant de 2021 signé à Belval, est de 230 M€ (110+110 M€ pour le ferroviaire et 10 M€ pour le routier) portant ainsi l’enveloppe globale franco-luxembourgeoise réservée aux projets co-financés en France à 460 M€. Comme les études de plusieurs de ces projets ne sont pas encore suffisamment avancées, l’enveloppe financière finale n’est pas encore définitivement fixée.
• Pour ce qui concerne les projets au Luxembourg, l’État luxembourgeois finance à 100% des projets permettant d’assurer la bonne arrivée des trains français au Luxembourg.
Jusqu’à 10 trains aux heures de pointe
Le plus convaincant de ce projet réside assurément dans le choix de porter l’effort sur le ferroviaire. En améliorant la desserte ferroviaire sur l’axe Nancy-Metz-Luxembourg, on peut réduire d’autant le trafic surchargé de l’autoroute. La première ambition est d’augmenter le cadencement des trains, les fréquences. Et particulièrement aux heures de pointes pour lesquelles Franck Leroy envisage de faire circuler jusqu’à 10 trains par sens dont 8 TER, de sorte à atteindre le cadencement d’un RER métropolitain : en heure de pointe il y aura 6 trains entre Metz et Luxembourg, 8 trains entre Thionville et Luxembourg-Ville, 1 TGV et un train de marchandises. Ce que Franck Leroy résume en temps : « Un train toutes les 7 minutes 30 depuis Thionville vers Luxembourg, un train toutes les 10 minutes depuis Metz, toutes les 30 minutes depuis Nancy. »
Autre nouveauté, ces trains, dont de nouvelles rames, seront plus longs. Une première phase de développement permettra de faire circuler des trains de voyageurs avec une longueur allant jusqu’à 240 mètres, au lieu des trains de 80 ou 160 mètres. De quoi augmenter la capacité horaire, en la multipliant par 2,5 par rapport à l’état avant le lancement des projets du protocole d’accord, soit 13 500 places assises en 2025, puis 22 500 places en 2030, contre 9000 actuellement.
Rallonger les quais de 7 gares en Moselle
Des travaux d’allongement des quais de 7 gares à 250 m sont actuellement menés pour permettre d’accueillir ces nouvelles rames. Il s’agit des quais des gares de Hettange-Grande, Uckange, Hagondange, lesquels sont déjà réalisés, alors que ceux des gares de Walygator, Maizières-lès-Metz, Woippy et Metz-Nord seront menés cette année. Montant de l’investissement : 16 M€.
La Région a fait l’acquisition de 16 nouvelles rames, dont les deux premières doivent être livrées en 2024, les 14 autres pour 2025/2026. Des rames qui doivent être mises aux normes européennes de circulation (ERTMS ou Système européen de gestion du trafic ferroviaire) financé à 100% par la région Grand Est (118 M€).
Pour renforcer la composition des trains, il est nécessaire côté français de construire un nouveau centre de maintenance à Montigny-lès-Metz, permettant l’entretien de ces rames et d’aménager l’accès au Réseau ferré français. Ce centre devra être transformé et adapté pour assurer l’entretien de ces nouvelles rames.
Des parkings relais P+R
Enfin autre axe de développement mené pour réduire le trafic sur l’autoroute A31, la création de Parking-relais (P+R) prévu dans le protocole d’accord de Paris. Il s’agit d’accroître l’offre de stationnement afin de faciliter l’utilisation de transport public sur route et sur rail. Ainsi trois parking-relais sont en cours d’aménagement à Longwy, à Thionville où après le P+R de Metzange, est érigé le parking silo de la gare de Thionville avec ses 629 places. De l’autre côté de la frontière, ils poussent aussi à Frisange, Rodange ou encore Dudelange, des parkings relais reliés aux lignes de bus ou de train.
La Région gestionnaire de l’A 31
Franck Leroy ne pouvait éviter d’évoquer la question cruciale dès lors que l’on aborde la problématique de la mobilité frontalière sur l’axe du Sillon Mosellan vers le Luxembourg, à savoir le sort de l’autoroute A 31. Il a rappelé que la Région allait devenir gestionnaire de l’autoroute A31 dans sa partie non concédée. Franck Leroy a même envisagé l’instauration d’une écotaxe sur les poids lourds, pour laquelle, selon lui, des discussions sont en cours. Il souhaite aussi étudier la création d’une voie dédiée aux transports en commun et au covoiturage en continuité des aménagements réalisés côté luxembourgeois. Le président de la Région Grand Est a également confirmé que « les travaux d’élargissement de l’autoroute au nord de Thionville seront échelonnés entre 2027 et 2035, en fonction des scénarios d’aménagement retenus. »
Création d’une Société de projets
Il a également présenté le projet de réalisation d’un schéma des infrastructures de mobilité du territoire lorrain sur la période 2030-2050, piloté par le Pôle Métropolitain du Sillon Lorrain, ainsi qu’une mission exploratoire sur le financement de ces grandes infrastructures. « Elle permettra d’avoir une vision actualisée de l’équipement, des services actuels et projetés du territoire lorrain à l’horizon 2030-2050 en matière d’infrastructures de transport pour la mobilité, d’examiner l’opportunité de nouveaux projets au regard des besoins et de mettre en lumière les mécanismes de financements nécessaires pour atteindre les objectifs fixés » estime Franck Leroy.
Il a aussi évoqué l’idée de créer une Société de projets, à l’image de la Société du Grand Paris, laquelle assure la maîtrise d’ouvrage du Grand Paris Express. Il considère en effet que « la SNCF ne saurait supporter à elle seule des projets d’une telle envergure sans soutien. » Quelle société de projets ? Elle devrait, selon Franck Leroy, fédérer collectivités, entreprises, afin de disposer d’un outil efficace pour être « à la hauteur des enjeux. » Il la verrait bien frontalière. Aux Luxembourgeois de répondre sachant que de leur côté un outil semblable a déjà été mis en place avec l’Observatoire digital de la mobilité, afin de mieux planifier et anticiper les besoins en matière d’infrastructures.
Projets d’envergure sur les infrastructures du Grand-Duché
Côté luxembourgeois, ça bouge aussi et beaucoup. Le ministre François Bausch a évoqué les projets majeurs d’investissements dans les infrastructures au Luxembourg « pour faire face aux défis liés au manque de capacités et répondre aux demandes actuelles ainsi qu’à l’évolution future des besoins des voyageurs et du fret. » Deux projets sortent du lot, l’extension de la gare de Luxembourg-Ville et la construction de la nouvelle ligne Luxembourg-Bettembourg. Engagés depuis 2019 quelque 2,5 milliards d’euros de travaux ont été engagés sur huit ans (2019-2026). La réorganisation de la gare de Luxembourg, où convergent toutes les lignes principales, revêt une importance capitale pour « améliorer la qualité des services en rendant le trafic plus fluide » afin que la gare ne soit plus un cul de sac. Le doublement des voies entre Luxembourg et Bettembourg, vise à renforcer le réseau ferroviaire du Grand-Duché de sorte à absorber les TER et mieux faire cohabiter TER, TGV et trains de fret sur cette ligne. François Bausch a fait le point sur ce dossier : quatre des huit ouvrages d’art prévus le long de cette ligne ont déjà été achevés.
34 rames achetées chez Alstom
Enfin, toujours sur le plan ferroviaire, le ministre luxembourgeois a confirmé que les CFL (Chemins de Fer Luxembourgeois) ont acheté 34 nouvelles rames à Alstom, pour un montant de 400 M€ dont les premières seront en service cette année. « Des trains au top niveau en termes de confort » a même souligné François Bausch.
Le ministre, s’il met l’accent sur les projets ferroviaires, ne néglige pas pour autant le routier. Ainsi, il a rappelé le projet de mise 2x3 voies de l’autoroute A3, entre l’échangeur de la Croix de Gasperich et la frontière française, avec un élargissement supplémentaire de la bande d’arrêt d’urgence, dont les travaux ont débuté en 2022 et dont la finalisation est prévue en 2030. Le projet prévoit une priorisation substantielle du transport public routier et du covoiturage. Le tout pour un montant de 600 M€.
On peut le constater, tant du côté français que luxembourgeois, les projets de mobilité transfrontalière sont importants. Répondront-ils à l’attente des usagers, appelés à être de plus en plus nombreux à se rendre au Luxembourg pour leur travail ? On devrait le mesurer dès le début des années 2025/2027. C’est presque demain.