Pour Thierry Ledrich, le président de la fédération lorraine des travaux publics, c’est une évidence. «Investir dans les infrastructures c’est forcément investir dans la transition écologique.» En clair pour lui comme pour ses entrepreneurs adhérents, il s’agit désormais d’une nécessité que de s’engager sur la route «des investissements vertueux.» Il faut reconnaître que la fédération des TP de Lorraine sait y faire. Elle a proposé à ses invités un dossier remarquable sur cette problématique. Un dossier qui s’ouvre sur des infographies éloquentes qui disent tout dans le détail de cet impératif écologique. À commencer par le petit tableau en forme de « fromage » des émissions de gaz à effet de serre (GES) par secteur… suivi dans la foulée des objectifs de réduction de ces gaz à effet de serre à l’horizon 2030.
Des transports à la construction
Cela ne surprendra personne, mais l’activité des transports culmine en la matière en recueillant une part de 32% des émissions de GES, loin devant l’agriculture à 19% et la construction et l’industrie qui font jeu égal, si l’on ose dire, avec 18%. L’énergie atteint 10% et les déchets 3%. Ces chiffres émanent du Secrétariat général à la planification écologique. Et les services de la Première Ministre estiment selon un article du Figaro qu’il s’agit «de faire en huit ans, à l’horizon 2030, plus que ce qu’on a fait au cours des trente-deux dernières années.» Et selon le Conseil économique et social, cela représente 70 milliards d’euros d’investissements publics/privés supplémentaires par an d’ici 2030. Selon un organisme indépendant, Carbone 4, l’usage des infrastructures est à l’origine de la production de 50% des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi 42% des émissions de GES sont liées aux usages de la route, 41% liés aux usages du gaz, 17% des émissions seraient liées aux usages des réseaux d’électricité, de chaleur et de froid, d’eau, mais aussi aux usages de l’aérien, du maritime, du fluvial, du ferroviaire, des réseaux numériques. Plus rassurant, le fait de construire les infrastructures ne génèrerait que 3,5% des émissions de gaz à effet de serre. Un bon point pour les TP.
Des investissements nécessaires
S’il est un constat qui recueille un consensus entre décideurs et acteurs politiques, c’est celui «d’engager des investissements nécessaires dans les infrastructures !» La fédération des TP propose du reste 4 axes prioritaires pour avancer vers des objectifs du schéma national bas carbone (SNBC).
• Réduction des émissions de CO2 : Selon la fédération il s’agit d’agir sur le champ de la mobilité dans toutes les formes de transport, dans le champ de l’énergie, du numérique.
• Restauration des milieux naturels : En réduisant l’artificialisation des sols et en favorisant le recyclage des friches industrielles et urbaines, en participant à la végétalisation des villes, en protégeant la ressource en eau ou encore à travers la restauration des cours d’eau. Pour ce qui est de la ZAN, zéro artificialisation nette, le Parlement a quelque peu assoupli l’application, sous la pression des collectivités, lesquelles se trouvaient empêchées de construire et d’aménager leurs terrains.
• Résilience : Mieux protéger les territoires : En assurant la résilience des infrastructures existantes, en développant les ouvrages pour protéger les biens et les populations face à la multiplication des aléas climatiques ou bien en répondant aux enjeux d’un stress hydrique croissant pour de nombreux territoires.
• Capitaliser le patrimoine existant et à venir : Les TP reviennent avec un de leurs arguments récurrents, assurer une meilleure maintenance des infrastructures «pour éviter la dette verte.» Et ils ont raison : les infrastructures en France se dégradent faute d’investissement suffisant. «Ne pas investir régulièrement aboutira immanquablement à un surinvestissement par à-coups dans l’avenir : sur la durée de vie totale d’un ouvrage, un traitement curatif avec répartition des éléments structurels coûte environ trois fois plus cher qu’un entretien, régulier permanent. C’est la dette grise.» À cet égard il faut reconnaître une prise de conscience des collectivités en charge de ces infrastructures, actuellement très engagées dans la réfection des ponts et viaducs, et cela par ce que des accidents spectaculaires ont donné à réfléchir.
Un effort conséquent
Selon la fédération des travaux publics, pour répondre au défi climatique, «c’est un effort additionnel compris entre 16,2 milliards d’euros par an pour la sobriété, de 29,9 Mds€ (pro-techno) qu’il faudra consacrer aux infrastructures de la transition écologique entre 2021 et 2050.» Mais un effort partagé. État, collectivités et grands opérateurs publics devront y prendre leur part. Et question financement, il n’y a pas 36 solutions : il n’est possible de mobiliser les financements que par l’impôt du contribuable ou la réduction des dépenses publiques, faire appel à l’usager via les péages et tarifs, soit enfin par la dette publique dont on connaît le niveau rédhibitoire.
La fédération des TP voit dans ces propositions, notamment le fait d’injecter des financements dans les investissements, sur le court terme entre 2023-2030, de quoi booster le PIB de 1,3% supplémentaires avec à la clé la création d’environ 400 000 emplois au sein des filières directement concernées, dont celle des travaux publics. «Des emplois durables» précise le dossier.
Financer une rue vertueuse
La fédération lorraine des TP a étudié le cas de la réalisation d’une rue vertueuse, à Nancy. Il s’agit de la rue Jeanne d’Arc. Un projet mené dans le cadre du Plan métropolitain des mobilités du Grand Nancy, programme qui prévoit notamment la piétonnisation du centre-ville et un objectif de 200 kilomètres de voies cyclables à l’horizon 2026. Mais ce plan prend en compte d’autres considérations, en y incluant le verdissement de la voirie. Un choix remarquable. Il a permis d’incorporer des banquettes végétales avec une végétation arborée et herbacée, dans une logique de bosquet urbain. «Ces insertions jouent un rôle dans la lutte contre les îlots de chaleur urbains et constituent un support de biodiversité non négligeable. Un système de gestion de l’eau par infiltration a également été intégré pour permettre de collecter les eaux de pluie par le biais notamment d’une tranchée drainante sous la piste cyclable.» On se souvient que dans une récente interview donnée aux Affiches d’Alsace et de Lorraine (parue dans le N°46 du 9 juin 2023), le directeur de l’Agence de l’eau Rhin Meuse, Marc Hoeltzel avait plaidé pour une prise en compte de la gestion de l’eau dans l’architecture urbaine. Du reste ce projet a même obtenu une participation financière de l’Agence de l’eau. Une telle rue vertueuse génère des économies et particulièrement sur le plan écologique.
L’exemple de la passerelle de l’Europe à Thionville
Cette passerelle s’est vu décerner par la fédération nationale des travaux publics le prix des Victoires de l’investissement local en 2019. Avant cette réalisation, seul le pont des Alliés reliait le centre-ville de Thionville à la gare, une infrastructure qui enregistrait un trafic intense de plus 15 000 véhicules par jour, 150 vélos et 1100 piétons. Ces données prennent en compte les quelques 3500 voyageurs prenant le train tous les jours en gare de Thionville.
Un chiffre qui doit passer à 8800 à l’horizon 2028 avec le développement du transport ferroviaire pour faciliter la vie des travailleurs frontaliers vers le Luxembourg. Aussi pour anticiper, la Ville de Thionville a choisi de construire une passerelle dédiée à la mobilité douce (vélo et piéton). Cette réalisation offre une économie substantielle en matière de consommation de carburant et autres frais liés à la voiture (estimation de 357 000 €), mais aussi un gain de temps. Autre gain d’importance, en matière de réduction de la pollution (émissions de CO2, pollution atmosphérique et pollution sonore). On estime à 209 000 euros de gains environnementaux. Cette passerelle a coûté 7,5 M€.
La fédération a cité d’autres exemples imposant la réflexion d’une rénovation, comme ce pont métallique vétuste de Carcassonne, fermé en 2014 qui a entraîné un report de la circulation, une perte de chiffre d’affaires des commerces, le tout chiffré par des pertes annuelles de l’ordre de 12,9 M€ quand un projet de rénovation de 10 M€ permettrait d’amortir en 2 ans et demi seulement ces pertes.
Thierry Ledrich : « la fédération, acteur engagé pour la planète »
Le président de la fédération lorraine des travaux publics porte un discours volontiers offensif pour mener la charge de cette transition écologique qu’il appelle de tous ses voeux. «Je suis intimement convaincu que la transition écologique, trop souvent perçue comme une seule contrainte, peut aussi être un facteur de création de richesse, en apportant de la valeur ajoutée, et donc en créant un retour sur investissement.» Il cite volontiers ces villes comme Metz, Bordeaux qui ont fait le choix d’investir dans la transition écologique avant l’heure : «Elles ont retrouvé leur mise de bien des manières : économie, image, attractivité.» Pour Thierry Ledrich, que ce soit le particulier, la collectivité, l’État, le fait d’investir dans la transition écologique ne peut que se conclure par un «retour sur investissement positif. Même si ce sont des investissements de long terme.» Encore faut-il libérer l’investissement. Et pour cela Thierry Ledrich plaide pour un «changement de référentiel, de paradigme, qui passera très certainement par une évolution de la commande publique et des financements associés…»