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Grand Est Paru le 12 janvier 2024
SENS 2027

Signature d’un partenariat inédit pour protéger les nappes d’Alsace et du Sundgau

Les principaux acteurs engagés pour la préservation de la ressource en eau, y compris les agriculteurs, les collectivités productrices et distributrices d’eau potable, ont signé le 6 décembre dernier à Marlenheim, un partenariat inédit pour transformer les filières agricoles afin de préserver la qualité de l’eau des nappes d’Alsace et du Sundgau.

Les signataires - ©AERM-N. Leblanc

Pour résoudre un problème voire ébaucher des solutions poten­tielles, rien ne vaut une démarche collective. C’est assurément ce qu’ont compris les initiateurs de ce partenariat de haut vol, lancé en 2018 et reconduit en cette fin d’année 2023. Parmi les moteurs de cette initiative figure l’Agence de l’eau Rhin-Meuse, acteur incontournable de la préservation de la ressource en eau. Le plus souvent, elle opère sous l’impulsion du Comité de bassin Rhin-Meuse, lequel réunit justement tous les acteurs territoriaux, agricoles, industriels, collectivités, associations afin d’avancer sur les dossiers environnementaux de plus en plus lourds à mener, en raison même du réchauffement climatique. Or voici un exemple très concret qui se présente, afin d’améliorer la qualité de l’eau des nappes phréatiques d’Alsace et du Sundgau. Tout le monde était là pour signer ce partenariat baptisé SENS 2027, entendez par là : Solutions EAU Nappes d’Alsace et Sundgau 2027, comme une question de bon… sens !

L’ensemble des acteurs

Autour de l’Agence de l’eau Rhin-Meuse on a ainsi retrouvé à Marlenheim, les représentants de l’État, la Région Grand Est, la Chambre d’agriculture d’Alsace, le SAGE III-Nappe-Rhin, la Collectivité européenne d’Alsace (CeA), les collectivités produc­trices et distributrices d’eau potable, la SAFER, les coopératives et négoces agricoles, Bio Grand Est, la fédération régionale des CUMA (coopératives agricoles) et l’APRONA, l’observatoire de la nappe d’Alsace. Inédit par son ampleur (51 captages dont 29 nouveaux captages cibles), ce partenariat rassemble l’ensemble des acteurs régionaux autour d’une ambition commune, celle de transformer les filières agricoles dans un contexte fortement mar­qué par la monoculture du maïs, afin de préserver et améliorer la qualité de l’eau des nappes d’Alsace et du Sundgau.

Une mobilisation massive

L’engagement des parties prenantes est une réponse collective à l’enjeu de préservation des ressources en eau vis-à-vis des phy­tosanitaires. Grâce à la mise en place de SENS 2027, l’ensemble des acteurs vont pouvoir concentrer leurs efforts, développer des complémentarités et les mutualiser afin d’être plus efficaces.

La signature d’un partenariat de cette ampleur confirme également le rôle des collectivités productrices d’eau à travers le déploiement de contrats de résultats sur les captages d’eau potable cibles, comprenant des indicateurs de suivi de mise en oeuvre. Cette mobilisation, on la mesure encore mieux à la teneur des discours des principaux acteurs.

« Une attente forte des populations »

• Marc Hoeltzel, directeur général de l’Agence de l’eau Rhin Meuse : « La convention SENS 2027 bénéficie de la dynamique engagée par la précédente convention qui est soutenue par la mobilisation très forte des collectivités distributrices d’eau, toutes signataires. Celles-ci n’hésitent plus à s’engager dans le déploiement d’outils nouveaux soutenus par l’Agence de l’eau tels que les paiements pour services environnementaux ou les obligations réelles environnementales et relayent une attente très forte des populations pour lesquelles la qualité de l’eau constitue la deuxième préoccupation environnementale. »

• Denis Nass, président de la Chambre d’Agriculture d’Alsace : « L’agriculture a non seulement besoin d’eau en quantité suffisante pour l’élevage, les cultures et l’irrigation mais aussi d’une eau de bonne qualité pour protéger les ressources. Depuis toujours, la Chambre d’agriculture est force de propositions et impliquée dans toutes les actions en faveur de la protection des ressources en eau. Par ailleurs, elle mobilise les agriculteurs et l’ensemble des partenaires agricoles. Pour ce partenariat reconduit pour cinq ans, je souhaite que les coopératives et négoces soient associés et s’engagent encore car ils sont les vrais faiseurs des nouvelles filières. »

• Odile Ulrich-Mallet, présidente du SAGE III-Nappe-Rhin : « Le partenariat SENS 2027 s’inscrit pleinement dans les objectifs du SAGE, en particulier la distribution d’une eau potable de bonne qualité sans traitement complexe. Les collectivités sont mobilisées sur le sujet et disposent de plusieurs leviers d’action, à travers leur compétence pour l’alimentation en eau potable, mais également via d’autres démarches : plan alimentaire territorial, politique d’urbanisme et stratégie foncière, paiement pour services environnementaux etc. ce sont elles qui coordonnent les contrats de résultats territoriaux sur les captages dégradés. » 

• François Werner, vice-président de la Région Grand Est : « Je tiens à souligner la mobilisation extraordinaire de toutes les parties prenantes dans ce partenariat inédit, notamment les ac­teurs économiques, en première ligne pour le développement des filières agricoles. Pour réussir la transition écologique dans une approche territoriale, il est nécessaire d’aller tous dans le même sens, avec des politiques publiques cohérentes. Ce partenariat SENS 2027 présente des résultats encourageants à l’échelle du territoire alsacien : la Région réfléchit à étendre la démarche dans tout le Grand Est. »

• Josiane Chevalier, préfète de la Région Grand Est : « La recon­quête de la qualité de l’eau et l’amélioration de la protection des captages servant à l’alimentation en eau potable sont aujourd’hui une priorité pour l’État, comme en témoigne le plan eau, lancé par le Président de la République au printemps 2023, dont plusieurs actions visent à diminuer la teneur en produits phytosanitaires dans les eaux. Pour y parvenir sur les nappes d’Alsace et du Sundgau, la convention SENS 2027 met en place pour chaque captage cible un large partenariat, mobilisé pour atteindre des objectifs partagés, en s’appuyant sur les compétences de chacun et notamment celles des exploitants et des filières agricoles. Je suis convaincue de l’intérêt de cette méthode pragmatique et déterminée, qui s’inscrit parfaitement dans la logique de la planification écologique que nous mettons en place dans le cadre du Grand Est, région verte. »

Des objectifs forts à atteindre d’ici 2027

Les objectifs sont à la hauteur des enjeux et de l’ambition affichée par cette convention. Parmi les plus emblématiques, attendus à l’horizon 2027, il est question de réduire à moins de 20% le nombre de points de suivi de la qualité des eaux avec des teneurs en herbicides et leurs métabolites dans les eaux brutes supé­rieures aux limites de qualité. Aucun des captages cibles ne devra faire l’objet de teneurs en herbicides supérieures aux normes de 0,1 microgramme par litre, et 0,5 microgramme pour l’ensemble des herbicides et leurs métabolites pertinents.

À l’échelle des Aires d’alimentation de captages (AAC), il est at­tendu une baisse minimale de 50% d’utilisation des herbicides en 2025 pour les 16 captages cibles déjà inscrits dans la précédente convention et en 2027 pour les 26 nouveaux captages cibles. SENS 2027 prévoit également une augmentation des surfaces concernées pour tendre à 20% de surfaces en bio et maximiser les surfaces en BNI (bas niveau d’impact, hors bio) pour atteindre l’objectif de 35%, en lien avec la création de filières viables.

À l’échelle des nappes, l’atteinte des objectifs Ecophyto prévoit une baisse de l’utilisation de 50% en 2025 tous phytosanitaires confon­dus. La convention fixe également l’augmentation des surfaces concernées pour tendre à 18% de surfaces bio (Plan ambition BIO national) et maximiser les surfaces en BNI pour atteindre l’objectif de 25% (18% sur la nappe actuellement) en lien également avec la création de filières viables.

Une dynamique engagée dès 2018

En 2018, l’État, la Région Grand Est, l’Agence de l’eau Rhin-Meuse et la Chambre d’Agriculture d’Alsace ont signé une première convention de partenariat pour la nappe d’Alsace et les aquifères du Sundgau 2018-2022 pour la mise en œuvre, sur le volet agricole, d’actions opérationnelles permettant d’inverser la tendance à la hausse des teneurs en phytosanitaires dans les eaux de la nappe d’Alsace et du Sundgau.

Les actions menées dans le cadre de cette convention ont permis de mettre en lumière les premiers résultats concrets :

- Les cultures à bas niveau d’impact (agriculture biologique, chanvre, élevage à l’herbe, semences de fleurs et graminées sauvages, cultures énergétiques de type miscanthus et silphe…) couvrent à présent en moyenne 24% de la surface agricole utile à l’échelle de la nappe d’Alsace et 32% au sein des aires d’alimentation en eau des captages (dont respectivement 6 et 7% de surfaces conduite en agriculture biologique).

- Cette première convention a permis de réduire l’utilisation d’her­bicides d’un quart environ à l’échelle de la nappe et d’un tiers à l’échelle des aires d’alimentation des captages.

Des résultats encourageants, comme nous l’a confirmé Marc Hoeltzel, directeur de l’Agence de l’eau Rhin-Meuse dans une interview. Tout comme les retours d’expérience de ces cinq dernières années qui ont servi à structurer la feuille de route de la nouvelle convention SENS 2027 afin de poursuivre la dynamique.

Interview de Marc Hoeltzel : « Mettre les collectivités au centre du jeu »

- Les Affiches d’Alsace et de Lorraine : En quoi ce partenariat pour SENS 2027 est-il si particulier ?

- Marc Hoeltzel : « En effet, on a embarqué avec nous l’ensemble des collectivités qui sont gestionnaires de captages d’eau potables et également au niveau de la profession agricole, des acteurs de la filière aval, celles qui valorisent les produits et les organismes stockeurs qui du coup sont aussi des prescripteurs de produits phytosanitaires. Le monde agricole était d’accord que l’on fasse pression pour que ces organismes soient aussi signataires de la convention. Sinon, on travaille dans le vide si ceux qui prescrivent des produits phytosanitaires ne s’engagent pas, alors que d’autres n’en veulent pas. »

- Pour les agriculteurs c’est une remise en question ?

- M.H. : « Oui, on est arrivé à un stade où ça leur pose un problème d’image localement et vis-à-vis des collectivités. On voit bien des collectivités sujettes à des fermetures de captages, et quelque part ça leur pose un gros problème dans la durée. »

- C’est l’usage de l’irrigation pour les cultures de maïs ?

- M.H. : « C’est l’irrigation, mais surtout, pour faire du maïs ils ont des pratiques d’herbicides qui dégradent la qualité de la nappe. »

- Que dites-vous des résultats du premier partenariat 2018-2022 ?

- M.H. : « Ils sont encourageants. Sinon on ne serait pas reparti pour une nouvelle convention. Pour ce qui est de l’usage des phytosanitaires, on a relevé une baisse de 30% des ventes sur l’ensemble de la nappe d’Alsace. Ce ne sont pas forcément des herbicides. On a donc enregistré une diminution de la pression. L’autre axe de notre action vise à avoir d’autres couvertures du sol qui soient adaptées à la protection de la nappe : soit qu’on ait du bio, soit une culture à bas niveau d’impact. Des surfaces en herbe ou d’autres types de culture, du chanvre du miscanthus, de la silphe qu’on intègre dans la rotation, qu’on dédie à un certain nombre de parcelles qui permettent du coup, quand elles sont bien positionnées, d’avoir un impact positif sur la nappe. »

« Une baisse des ventes de phytosanitaires »

- Qu’en serait-il si vous n’aviez pas engagé cette action ?

- M.H. : « On était sur une tendance haussière en termes de fermeture de captages. On n’a pas de résultats spectaculaires pour l’instant, on a rattrapé trois captages que l’on a remis sous la norme de 0,1 microgramme par litre, sur les 19 qu’on suivait. Ce n’est pas une victoire absolue. On a plutôt de bons résultats sur les objectifs de moyens : la baisse des ventes de phytosanitaires, le niveau de cultures à bas niveau d’impact. Mais sur la qualité intrinsèque de la qualité des captages, ça se fait un peu attendre. On va aug­menter le périmètre du suivi, dans cette convention on va passer à 51 captages. »

- Vous avez dû convaincre les collectivités ?

- M.H. : « Ce n’était pas naturel. Historiquement ce type de plan d’action captage se faisait par des conventions avec les chambres. En 2019, on a souhaité un changement radical : on a décidé de conventionner avec les collectivités qui gèrent le captage. Et ça va dans le sens de la réglementation nationale laquelle met les collectivités au centre du jeu, de les intéresser à leurs captages, et de leur demander d’animer la concertation avec la profession agricole. Elles ont recours à une prestation en termes de conseil, ainsi la chambre d’agriculture est mise en concurrence avec des bureaux d’études. Dans les deux cas, c’est le même cahier des charges qui est demandé. On fait l’état des lieux, quelles sont les cultures qui ont le plus d’impact par rapport à la qualité du captage, et on préconise des changements de type de couverture du sol. »

« Les jeunes agriculteurs ont une autre approche »

- Est-ce que les agriculteurs jouent le jeu ?

- M.H. : « On ne peut pas dire qu’il n’y a pas de réticence. Mais on a vu qu’avec cette démarche, il y bien eu un changement de posture dans certains endroits. Et particulièrement avec la jeune génération d’agriculteurs, qui a plutôt joué le jeu. On a en effet rencontré de jeunes agriculteurs volontaires pour contractualiser des paiements pour services environnementaux. C’est un nouveau type de contrat pour essayer de faciliter le changement de pra­tiques, le changement d’assolement qui garantisse la qualité d’eau dans la nappe. On a ainsi pu contracter pour 15 000 hectares et 10 M€. Ces jeunes générations ont clairement une autre approche vis-à-vis de ces produits. »

- Globalement elle est dans quel état, la nappe d’Alsace ?

- M.H. : « Il y a des teneurs en phytosanitaires un peu généralisé sur l’ensemble de la nappe. Vous allez sur le site de l’Aprona (ndlr : observatoire de la nappe d’Alsace) vous voyez des cartes toutes rouges. C’est pour ça que notre stratégie est double : une action sur la nappe en termes de cultures bio ou à bas niveau d’impact, et une action renforcée sur les captages. »

« Six semaines de pluie ne sauvent pas la recharge des nappes »

- Vous travaillez sur du long terme ?

- M.H. : « C’est sûr. On est parti pour un bon moment. Même si en 2027 on vise la conformité de 100% des captages. On y croit très fort. Mais on œuvre sur du long terme. On n’est pas à la fin de l’histoire. On trouve encore des substances interdites : l’atrazine ou la chloridazone, utilisée dans la culture des betteraves que l’on retrouve dans des captages d’eau potable. Malheureusement tout le monde utilise encore des herbicides, même interdits. Mais nous sommes parvenus, dans le cadre de la première convention, à proposer le recours au désherbage mécanique. Il reste encore très marginal, à moins de 10%. C’est pourtant la mesure la plus efficace pour retrouver rapidement des améliorations au niveau de la nappe. Pour le coup, on a un blocage de la profession. Pour le désherbage mécanique on passe la bineuse avec son tracteur. Si simplement on utilisait cette méthode on réduirait sensiblement l’usage des herbicides. On a des subventions pour inciter au désherbage mécanique. Paradoxalement, en Lorraine où on a des cultures moins adaptées que le maïs ou la betterave, les agriculteurs veulent passer au désherbage mécanique. »

- Où en sont les nappes phréatiques avec toutes les pluies de cet automne ?

- M.H. : « On a refait un point avec la DREAL il y a quelques jours. Toutefois ce n’est pas en un mois et demi de pluies importantes qu’on va sauver la recharge de nappes. On peut très bien avoir encore un hiver sec. Sur les cartes nationales on constate ainsi que le sud de la nappe d’Alsace est encore en orange, elle n’est pas en vert. Le fait est, pour ce qui est des cours d’eau, qu’on n’avait généralement pas des crues fréquentes en sortie d’automne. Ainsi les crues habituelles du Rhin sont plutôt des crues de printemps, avec la fonte des glaciers des Alpes, qu’on appelle les crues des cerises. On voit cependant aujourd’hui des crues d’automne que l’on n’observait pas ou peu auparavant. »

 

Débat sur l’eau : 7 rendez-vous avec l’Agence de l’eau

Quelles priorités pour l’eau ? Alors que l’Agence de l’eau com­mence à dessiner les contours de son futur cadre d’action pour les années 2025-2030 et qu’elle base son action sur un pro­gramme d’intervention de six ans, l’adoption du 12e programme est attendue au second semestre 2024. Une chose est sûre, l’adaptation au changement climatique et l’atteinte du bon état des eaux resteront des marqueurs forts. Les capacités financières de l’établissement seront quant à elles renforcées dans le cadre du plan Eau et orientées principalement à l’accompagnement des territoires en termes de transition écologique.

Pour construire cette feuille de route, les travaux sont menés au sein de commissions du comité de bassin rassemblant les parties prenantes du grand cycle de l’eau.

Pour autant l’agence de l’eau souhaite enrichir sa réflexion au contact des territoires.

7 rendez-vous sont proposés de 18 h à 20 h : deux heures dans chaque département pour expliquer, faire un point d’avancement des réflexions, partager, écouter. Les discussions se poursui­vront à l’occasion d’un temps de convivialité organisé à l’issue.

Ces rendez-vous sont ouverts aux élus, acteurs économiques, représentants du monde agricole et du tissu associatif.

Les dates à retenir :

• Jeudi 25 janvier 2024 à Charleville-Mézières (08) à l’Auditorium Médiathèque Voyelles, 2 place Jacques Félix.

• Mardi 30 janvier 2024 à Épinal (88), Centre des Congrès 7 avenue de Saint-Dié.

• Mardi 6 février 2024 à Strasbourg (67), Place du Quartier Blanc.

• Jeudi 8 février 2024 à Nouillonpont (55), Salle des fêtes rue Philippe Vayringe.

• Mardi 13 février 2024 à Augny (57), Salle des fêtes, 9 Chemin du Bois-Saint-Jean.

• Mardi 20 février 2024 à Colmar (68), Salle des Familles 19 place du Capitaine Dreyfus.

• Jeudi 29 février 2024 à Toul (54), Salle de l’Arsenal, 15 avenue du Colonel Pechot.

Bernard KRATZ