Grand Est Paru le 30 janvier 2024
EAU, NEIGE, FORÊT, LOGEMENT...

Les élus de la montagne défendent le particularisme de leur territoire

La commune de Munster avait accueilli le 39e congrès de l’Association nationale des élus de la montagne (ANEM), fin octobre 2023. À cette occasion 500 congressistes étaient réunis, dont des élus locaux représentant les massifs et collectivités de montagne. Le thème de cette édition 2023 portait sur « La Montagne : haut potentiel de ressources ». Les enjeux climatiques étaient au cœur des discussions.

La station du Schnepfenried.

Des retenues collinaires pour sécuriser les ressources en eau

La question de l’eau et de sa gestion avait alimenté les débats, en particulier au cours de la table-ronde sur « Les stratégies d’adap­tation des territoires de montagne au changement climatique ». Ces discussions intervenaient alors que le transfert obligatoire des compétences «eau potable» et «assainissement», des communes vers les communautés de communes, a été repoussé au 1er janvier 2026. Dans ce domaine, les élus de montagne veulent rester maître du jeu, comme l’a souligné Jean-Pierre Vigier, secrétaire général de l’Anem : « Laissons les élus gérer l’eau sur leur territoire parce qu’ils la connaissent ! Laissez-les s’organiser comme ils le souhaitent, selon les spécificités des territoires ! » Jean-Luc Boch, président de l’Association Nationale des Maires des Stations de Montagne (ANMSM), voit dans les retenues collinaires, une solution pour sécu­riser les ressources en eau. Contrairement aux bassines, « remplies grâce au pompage dans la nappe phréatique, les retenues collinaires sont remplies grâce au ruissellement, dans un contexte où l’eau est en surabondance », a-t-il expliqué, en rappelant que les premiers barrages créés par l’homme existent depuis 5.000 ans. « L’eau, quand elle est en surabondance, pourrait être redistribuée sur les territoires. », a proposé Jean-Luc Boch. Pierre Bataille, président de la communauté de communes des Pyrénées catalanes, s’ins­crit dans cette logique, convaincu qu’un barrage comme celui de Puyvalador est utile : « Nous avons vécu une sécheresse importante au printemps. Ce barrage a permis d’irriguer la plaine. » Jérôme Matthieu, 1er adjoint de la commune de La Bresse et président de la Chambre d’agriculture des Vosges a insisté sur la nécessité de « créer ou renforcer des retenues collinaires » ou de procéder à la rehausse des digues de barrages, en particulier pour desservir les fermes-auberges en eau où elle est utilisée pour « l’alimentation, l’élevage des bovins ou encore pour lutter contre le risque incen­die. » Car « L’eau en montagne a toujours été multifonctionnelle, y compris pour la neige de culture.», a fait remarquer Jérôme Matthieu qui défend cette dimension multi-usage de l’eau de montagne « au service des territoires ». 

Trouver un modèle économique destiné à compenser le manque de neige

L’enneigement est un autre enjeu pour les communes de montagnes gestionnaires de domaines skiables. Concernant le massif vosgien, l’étude Climsnow, dont les résultats ont été livrés au printemps 2023, apporte une vision sur la fiabilité de l’enneigement à court, moyen et long terme. L’étude prévoit, notamment, une baisse de la durée de la saison d’enneigement et surtout une fin plus précoce de celle-ci, en raison d’une hausse de la température hivernale. Ainsi, à titre d’exemple, entre 750 et 1050 mètres d’altitude, la température moyenne hivernale à l’horizon 2041-2060 serait de 3°C, dans le cas d’un scénario d’émissions de gaz à effet de serre modérées, soit une hausse de 1,3°C par rapport à la période de référence 1986-2005. Face au réchauffement et à la raréfaction de la neige, certaines stations de ski ont cessé leur activité, à l’image de la station vosgienne du Ventron en 2022. D’autres ont trouvé des solutions pour survivre. « Au cours des dix dernières années, une partie des stations vosgiennes a réussi à s’adapter en produisant de la neige de culture et en optimisant le stockage », a souligné Denise Buhl, vice-présidente de la Région Grand Est, déléguée à la montagne, et présidente de la Commission permanente du Massif des Vosges. Pour Denise Buhl, il s’agit désormais de « trouver un modèle économique destiné à compenser le produit neige ». La Région Grand-Est accompagne les 23 domaines skiables et les élus vosgiens dans leur réflexion visant à construire leur projet de territoire en y incluant la dimension ingénierie et tourisme.

Introduire des essences plus résistantes et encourager la fusion des parcelles

Autre sujet de préoccupation, la forêt de montagne, composée à 75% de résineux, est fortement impactée par le dérèglement climatique et la sécheresse qui a pour conséquence d’aggraver le fléau des scolytes. Résultat, dans le Grand-Est, « il y a obligation d’abattre les arbres malades qui n’ont plus de valeur sauf pour la pâte à papier. », a déploré Philippe Beignier, président des proprié­taires forestiers privés de Haute-Loire, qui ne peut que constater que « la forêt a perdu 50% de sa capacité de stockage de CO2 ». Une gestion durable des forêts s’impose. « Comme faisaient les anciens, on enlève le bois mort, on tond et on dégage pour laisser la place et favoriser une régénération naturelle», a préconisé Philippe Beignier plaidant pour l’introduction d’essences plus résistantes comme le sapin de Bornmüller originaire de Turquie. Philippe Beignier a, également, évoqué la question du morcellement de la forêt française détenues à 75% par des propriétaires privés et composée en grande majorité de petites parcelles : « Les coupes se font selon les héritiers avec une gestion qui n’est plus possible économiquement. Il faut encourager la fusion des parcelles ac­compagnée d’avantages fiscaux. »

La fiscalité alourdie sur les meublés de tourisme classés risque de fragiliser les territoires

Le problème des tensions sur le marché du logement en montagne a été abordé par Pascale Boyer, présidente de l’ANEM. De nom­breuses communes de montagne ont été classées en zone tendue par le gouvernement dans le but de réduire l’inflation sur les prix de l’immobilier. Les meublés de tourisme classés verront leur charge fiscale s’alourdir, puisque l’abattement passera de 71% à 50%, comme c’est déjà le cas pour les meublés de tourisme non classés. « L’alignement sur la fiscalité du meublé ne sera pas la solution pour répondre à la crise du logement. Un studio dans une station de ski ne deviendra pas une résidence principale », a réagi Pascale Boyer. La présidente de l’ANEM redoute que les propriétaires de logements classés en catégorie tourisme se désengagent et que les communes classées soient à leur tour déclassées. Ces dernières ne pourraient plus prétendre aux aides financières spécifiques. « Cela risque de fragiliser les territoires », s’est inquiétée Pascale Boyer qui estime nécessaire de « prendre en compte la spécificité montagnarde qui n’a rien de commun avec les territoires du littoral » concernés par les mêmes mesures.

« Travailler sur des schémas de massif à l’horizon 2050 »

Dominique Faure, alors ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la ruralité, était présente à ce congrès. Elle a par­ticipé à la table ronde dont la thématique portait sur «Les stratégies d’adaptation des territoires de montagne au changement clima­tique» avant de clore le congrès. Face au dérèglement climatique, elle a évoqué l’importance d’une « transition ambitieuse » qui doit passer par des « schémas disruptifs ».

Concernant les territoires de montagne, la ministre a rappelé que la loi Climat et résilience votée en 2021, a fait l’objet d’un amen­dement dont l’objectif est de se projeter « sur une vision à long terme partagée, co-construite et spécifique à chacune de nos montagnes ». Cela « nous oblige à travailler sur des schémas de massif à l’horizon 2050, notamment, pour les territoires dépendant économiquement de la neige mais aussi sur des sujets concernant la gestion de l’eau.» Sur la question du financement, Dominique Faure a souhaité redynamiser les Contrats de relance et de tran­sition écologique (CRTE) qui constituent le « cadre du dialogue entre les porteurs de projets locaux et les services déconcentrés de l’État ». Elle compte pour cela sur la réactivité de l’État et des préfets, alors que « les besoins en financement des projets en transition écologique portés par les maires sont bien identifiés ». La ministre déléguée a souligné les efforts engagés par « un État pragmatique » pour dégager des aides financières nécessaires à la transition écologique. « De l’argent pour l’investissement, il y en a ! », a-t-elle déclaré. Dans le cadre de la loi de finance 2024, « 90% des communes verront leur dotation globale de fonctionnement augmenter ». De quoi activer les « leviers d’actions » à l’échelle des territoires et permettre aux politiques publiques de « s’appuyer sur des expérimentations » initiées localement. Les communes et communautés de communes de petites tailles peuvent, par ail­leurs, bénéficier de l’accompagnement de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), a rappelé la ministre. L’ANCT propose une aide opérationnelle gratuite en ingénierie de projet pour répondre aux grands enjeux auxquels les élus locaux et les collectivités font face. Elle s’est exprimée au sujet du transfert, aux intercommunalités, de la gestion de l’eau potable et de l’assainisse­ment destiné à mutualiser les réseaux. Le transfert de compétences est imposé par la loi Notre qui a connu quelques aménagements. Face à la crispation des élus, la ministre a indiqué vouloir en discuter avec Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, pour « réfléchir dans quelle mesure on peut encore relâcher sur la contrainte de ce transfert obligatoire ». Parmi les autres sujets d’agacement, figure la loi du 10 mars 2023 qui obligeait les élus à fournir aux préfets, avant la fin de l’année 2023, un descriptif des zones sur lesquelles pourront être installées des énergies renouvelables. « Je ne peux pas toucher à la loi. », a déclaré Dominique Faure. « Mais je propose que vous écriviez un courrier aux préfets en leur disant que vous avez bien mené une réflexion à ce sujet, mais que vous n’avez pas eu le temps de prendre une décision. Cela évitera qu’un investisseur privé ou un agriculteur implante des énergies renouvelables et contre lequel vous n’aurez aucun recours. »

Christophe LUDWIG