Grand Est Paru le 08 mars 2024
LES RENCONTRES DE LA CCI ENQUÊTE DE CONJONCTURE

Bilan 2023 et perspectives 2024, pour l’économie nationale et régionale

Dans un contexte international marqué par une succession de chocs (COVID-19, invasion de l’Ukraine par la Russie, crise énergétique), l’économie mondiale a résisté en 2023. L’inflation a reflué plus rapidement que prévu. Selon les projections macroéconomiques publiées par la Banque de France, l’activité resterait ralentie en 2024, avant de se raffermir ensuite. La CCI Alsace Eurométropole et la Banque de France ont présenté récemment la situation économique nationale et régionale.

Jean-Luc Heimburger, Président, et Christophe Weber, Directeur de la communication de la CCI Alsace Eurométropole pendant le temps des questions/ réponses.

La conjoncture nationale, présentée par Laurent Sahuquet,

Directeur Régional de la Banque de France

Inflation, pouvoir d’achat, hausse des salaires, taux d’intérêt, tréso­rerie tendue, prix de l’immobilier... Ils génèrent des répercussions sur la consommation.

L’inflation en France marque une baisse sensible (3,4 % à la fin janvier 2024)

Pendant longtemps, l’inflation en France était inférieure à celle de la Zone Euro, et ceci grâce aux boucliers tarifaires. Toutefois, sur 2 ans, l’inflation est globalement à peu près au même niveau en Zone Euro et en Zone Française. Par conséquent, nous pouvons raisonnablement penser que le pic de l’inflation est derrière nous. Pour mémoire, en un an, l’inflation a marqué une hausse de 20 % sur l’alimentation, et 5,2 % sur l’énergie.

Pour l’année 2024, l’inflation en France est prévue à un niveau rai­sonnable de + 2,5 %. C’est un succès important sur la lutte contre l’inflation. En parallèle, le pouvoir d’achat devrait évoluer, avec une hausse de 4,1 % des salaires, qui se répercutera positivement sur la consommation.

Concernant les taux d’intérêt

La BCE (Banque Centrale Européenne) a enregistré une augmenta­tion de 450 points de base, sur un peu plus d’un an. Nous pouvons donc espérer une baisse des taux d’intérêt sur 2024. Selon la BCE, le prochain mouvement, prévu pour juin ou peut-être déjà en avril, sera une baisse des taux d’intérêt, dont le tempo dépendra de l’évolution de l’inflation.

Si début 2022, le crédit à l’habitat s’affichait à 1 %, actuellement il varie entre 4 et 4,5 %. Nous sommes plutôt sur une phase de normalisation d’avant crise, car la moyenne des taux s’affiche en général à 3 %. De fait, nous avons enregistré une production de crédit immobilier à 40 %, avec des niveaux à 20 millions d’euros à fin 2022, alors que la norme habituelle est de 10 millions d’euros. Pour l’instant, les prix de l’immobilier restent à des tarifs élevés. Il faudrait que les prix de l’immobilier baissent de 20 % pour arriver à un équilibre, mais actuellement la baisse n’est que de 3 %. Le secteur de la construction immobilière va souffrir pendant les prochaines années.

La croissance en France : nous avons réussi à éviter le scénario noir !

Une inflation qui s’installe avec un risque de récession aurait été dramatique ! Heureusement, il n’a pas été noté de récession en 2023, et le taux d’inflation est modéré. Toutefois pour 2024, l’ac­tivité resterait ralentie.

Une caractéristique de l’économie française est la difficulté de recrutement. Actuellement, encore 41 % des entreprises indiquent avoir des difficultés à recruter le personnel souhaité. En 2023, les 300 000 créations d’emploi ont permis une baisse du taux de chômage, avec un seuil à 7 %. Les prévisions évaluent un taux de chômage de 7,5 % pour 2024, et de 7,8 % pour 2025.

Concernant la situation financière des entreprises, nous sommes dans une période où les trésoreries sont tendues. 2023 a été une année de remontée des défaillances au niveau national (+ 34 %, soit 55 492 entreprises), mais elle fait suite à la période COVID, pendant laquelle les défaillances étaient faibles. Évidemment, ce point sera suivi de près en 2024.

La conjoncture nationale, présentée par Valérie Bour,

adjointe au Directeur Régional de la Banque de France

Comme chaque année, la Banque de France a mené une enquête auprès de son réseau d’informateurs. Celle-ci permet d’obtenir une vision sur la projection entrepreneuriale. 1698 entreprises ont répondu à cette enquête.

Comment l’année 2023 s’est-elle clôturée pour les entreprises ?

Le secteur de l’industrie (760 entreprises interrogées) enregistre globalement une progression de 1 %, avec toutefois une baisse du volume des ventes. La construction automobile se relève, suite aux changements de gammes de construction, et aux aides accordées par l’État pour les véhicules électriques. Par contre, l’industrie chimique a beaucoup souffert.

Le secteur de l’industrie se voit obligé d’investir dans des énergies plus propres, doit former des collaborateurs, modifier leur méthode de management pour conserver leur personnel, et doit faire face à de nombreux défis. La baisse de trésorerie devient inquiétante pour la plupart des entrepreneurs. Tout comme la difficulté de faire évoluer les entreprises, par manque de collaborateurs spécialisés à recruter.

Dans le secteur des services (490 entreprises interrogées), seul le secteur alimentaire note une progression de 2,5 %. Les services de transport et d’entreposage ont beaucoup souffert. À l’inverse, les services techniques, administratifs, de conseil, de communication et programmation enregistrent une hausse d’activité.

Pour le secteur de la construction (448 entreprises interrogées), le gros-œuvre enregistre une baisse importante (-4,2 %), avec une réduction du carnet de commande de 40 %. Ce qui impacte les effectifs de ces entreprises. Celles-ci ont essayé de maintenir les CDD et les CDI, mais les contrats d’intérim sont plus fluctuants. Et avec toujours une difficulté de recrutement en matière qualitative.

Au niveau des investissements en 2023

Il y a une hausse d’investissement dans certains domaines d’acti­vités, mais cela est dû également à un effet de rattrapage. Ainsi, le secteur de l’industrie enregistre une hausse du montant des inves­tissements de 17,4 %, sauf au niveau des fabricants de matériel de transport qui accusent une baisse de 21,5 %. Le secteur des services marque une hausse d’investissement de 12,5 %, surtout pour les activités spécialisées. Par contre, la construction note une baisse de 9,8 %. Pour 2024, les investissements seront orientés vers les économies d’énergies, et les prévisions s’annoncent plus mitigées, avec une baisse de 7 % pour le secteur de l’industrie.

En termes de rentabilité des entreprises

Les entreprises des secteurs de la construction et de l’industrie indiquent maintenir le seuil de rentabilité pour 2023. Pour la com­munication et l’information, c’est même une hausse de 40 % qui a été relevée. La projection pour 2024 s’annonce plutôt sur un maintien du niveau de la rentabilité, tous secteurs confondus.

Même si cela semble paradoxal, le maintien en progression de rentabilité s’annonce avec optimisme par les entreprises, et ceci pour diverses raisons. Mais surtout parce que la projection de rentabilité ne s’inscrit pas dans une plus grande production (au moment du questionnaire soumis aux entrepreneurs, le souhait d’investissement n’était pas soulevé).

Le chiffre d’affaires du commerce de détail est en baisse

Seuls 16 % des chefs d’entreprise sont satisfaits de leur chiffre d’af­faires, ainsi que de leur carnet de commande (en baisse de 4 %). Leur trésorerie est également en forte baisse : 50 % des dirigeants sont insatisfaits du niveau de leur trésorerie. Et 90 % des commerçants observent une baisse du panier moyen, qu’ils lient essentiellement à l’inflation. Ces éléments indiquent que les ingrédients d’une crise majeure sont réunis. Les commerçants attendent des ajustements, qui ne verront probablement pas le jour avant 2025.

Faut-il avoir des craintes sur la solidité économique des banques ?

Laurent Sahuquet et Valérie Bour : « Quelques petites banques européennes et américaines sont actuellement en difficulté. La BCE suit cette situation de très près, et il n’y a pas d’inquiétude relevée pour l’instant. Toutefois, la BCE a demandé la réalisation d’un état de leur situation, et le cas échéant les banques augmenteront leurs provisions si cela s’avère nécessaire. Les banques françaises ont une grande solvabilité. Elles ont enregistré une rentabilité, et ont constitué des réserves, tout comme les réseaux mutualistes. La hausse des taux d’intérêt a permis de rendre de la rentabilité aux entreprises (via les placements), et aux particuliers (via le livret A et le Livret d’Épargne Populaire). Pour que les banques se retrouvent en difficulté, il faudrait que le coût du crédit et du Livret A soit in­férieur à 1 %, ce qui est loin d’être le cas actuellement».

Comment évaluer le risque lié à la baisse de trésorerie des entreprises ?

« Depuis un an, l’on constate une baisse de trésorerie des entre­prises. Les causes sont multifactorielles : remboursement du PGE, hausse des taux d’intérêt qui pèsent sur les services financiers des entreprises, et coûts liés à l’inflation. Mais il n’y a pas péril en la demeure, indique Laurent Sahuquet. La difficulté pour l’entreprise apparaît lorsqu’il y a un besoin d’investissement ».

Confronter les chiffres à la réalité du terrain

Suite à cette présentation économique, une table ronde était orga­nisée. Deux entrepreneurs, Jean-Luc Peter, Président de MENICON Pharma et Nicolas Koenig, Directeur général de Gustave MULLER SAS, ont fait part des décisions qu’ils ont été amené à prendre, consécutivement à cette conjoncture particulière. Pour compléter cette transmission d’information, Laurent-Yves Garnier (Directeur Régional des Finances Publiques) et Jacques Bourgeaux (chef du service économique de l’État en Région Grand Est, chargé de mission économie et innovation), ont apporté des précisions sur les mesures de soutien et d’aides financières proposées aux entreprises.

 

Jean-Luc Heimburger :

Le Pôle Énergie de la CCI

La gestion des contrats d’énergie doit être traitée avec plus de sérieux, pour trouver des solutions et gérer cette hausse de tarifs. La CCI a développé un Pôle Énergie, pour accompagner les entrepreneurs dans les démarches d’économie d’énergie.

Les normes

Une sur-normalisation est subie par de nombreuses entreprises. Actuellement, 60 à 80 milliards d’euros sont perdus chaque année en France, à cause de la sur-normalisation.

La gestion des talents

Pour les salariés, il faut développer la capacité à se former et à s’adapter, par le biais de formations plus courtes et plus précises. Améliorer l’emploi des seniors, car ils ont des compétences particulières.

On sait ce qu’il faut faire, mais rien ne se fait !

Jean-Luc Heimburger, président de la CCI Alsace Eurométropole a clôturé cette rencontre :

« 2020 a été l’année du COVID, 2021 l’année de la sortie de crise, 2022 l’année de l’incertitude, et 2023 une année contrastée ! Je reste dans un optimisme mesuré pour 2024. Nous subissons le paradoxe français d’un taux de chômage élevé et des problèmes de recrutement. Nous constatons une baisse de moral et une grande fatigue des chefs d’entreprises. Certains lâchent prise, en annon­çant ne plus vouloir se lever le matin pour gérer les problèmes des autres (normes et injonctions contradictoires imposées par l’État ; contraintes financières dictées par les banques, les financiers et les actionnaires ; lourdeur administrative ; salariés en manque de qua­lifications ou d’autonomie, ou encore collaborateurs démotivés…). On sait ce qu’il faut faire, mais rien ne se fait ! Cela engendre une baisse du moral des entrepreneurs. En Alsace, le nombre de dé­faillances d’entreprises est en hausse de 34 %.

Et pourtant, l’Alsace reste un territoire très attractif. Nous avons un écosystème qui se soude, qui sait travailler ensemble.

Sans les entreprises, le pays ne pouvait que mourir pendant le COVID. Nous en avons pris conscience. Il faut continuer à passer les messages à nos gouvernants !

La transformation numérique

L’Intelligence Artificielle est applicable dans tous les domaines, et il faut s’y intéresser, car elle va s’intégrer rapidement dans l’entreprise. Par ailleurs, la cybercriminalité est un point important à traiter actuellement.

Les projets soutenus par France Relance

Le Gouvernement a lancé, le 3 septembre 2020, un plan de relance historique de 100 milliards d’euros pour redresser l’économie et faire la « France de demain ». Inscrit dans la continuité des mesures de soutien aux entreprises et salariés lancées dès le début de la crise de la Covid-19, ce plan vise à transformer l’économie et créer de nouveaux emplois. Il repose sur trois piliers : l’écologie, la compétitivité et la cohésion. Dans le Grand Est, plus de 330 projets ont été soutenus par cette aide de l’État, depuis sa création il y a 2 ans et demi. Cela représente 700 millions d’euros d’aide remboursable.

CH. BE