Grand Est Paru le 28 juin 2024
CONGRES

Le doux murmure du droit local à l’oreille du droit général

Le 17 juin dernier, le Conseil interrégional des notaires des Cours d’appel de Colmar et de Metz a fêté – en grandes pompes – les 100 ans du droit local d’Alsace et de Moselle. Avec un slogan en tête : « Un siècle de modernité au cœur de l’Europe ». Mais, au-delà, des grandes déclarations et des feux d’artifice, qu’est-ce vraiment que le doit local et quel est son avenir ?

Éric Ricou, président du Conseil interrégional des notaires des Cours d’appel de Colmar et de Metz

 

Environ 700 notaires d’Alsace-Moselle et leurs collaborateurs ont pris place dans la grande salle du théâtre du Maillon, à Strasbourg. Ils sont venus pour fêter les 100 ans du droit local. Le film introductif donne le ton : « un siècle d’excellence juridique », « innovations juridiques continues », « droit proche des citoyens », « nouveaux horizons pour les centaines d’années à venir ». Mais le droit local d’Alsace-Moselle, ce ne sont pas que des slogans tonitruants. C’est au contraire « un murmure », ose Éric Ricou, président du Conseil interrégional des notaires des Cours d’appel de Colmar et de Metz. Et il poursuit : « Le droit local intrigue. Il incite à tendre l’oreille. »

Pas un droit identitaire

En effet voici un droit français d’application territoriale, qui, selon la loi de 1924, au lendemain de la première guerre mondiale et du retour de l’Alsace et de la Moselle à la France, ne devait être que d’une durée « transitoire » de dix ans… et dont on fête, cette année, le centième anniversaire. Et s’il dure et est appelé à durer, c’est bien parce qu’il doit servir à quelque chose et présenter quelques avantages. Si le droit local ne se résume pas à des slogans, « il n’est pas non plus un folklore, insiste Éric Ricou. Le droit local, ce ne sont pas que deux jours de congés payés en plus, la sécurité sociale qui rembourse mieux et les trains qui roulent à droite. Ce n’est pas un droit identitaire. »

Droit des associations, partage judiciaire, livre foncier numérisé… quelques-uns des piliers du droit local alsacien et mosellan sont assez connus. « Bon nombre de ses dispositions ont cours dans la plupart des pays européens, précise le président du Conseil interrégional. Le droit local n’est pas marginal. Il embrasse le droit européen. » Et l’amateur de musique de souhaiter que cette « partition bien écrite, qui a séduit son auditoire, poursuive son murmure à l’oreille du droit général. » 15

Alors, s’il n’est pas un folklore, le droit local a-t-il un avenir ? C’est là que le politique intervient. André Reichardt, sénateur du Bas-Rhin et président du Conseil représentatif du droit local, com­mence par sonder les premiers concernés, les habitants des trois départements d’Alsace et de Moselle. Selon un sondage réalisé ce printemps, 60% d’entre eux souhaitent conserver le droit local, 37% souhaitent le voir évoluer et 3% seulement le voir disparaître. Cela ressemble à un plébiscite. Par ailleurs, on peut dire qu’en 2011, le Conseil constitutionnel, par la « décision Somodia », a garanti son avenir en en faisant un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

« Il faut qu’on se bouge ! »

Mais si le droit local ne veut pas devenir une pièce de musée, il doit aussi être en mesure d’évoluer. Le peut-il ? Petit hic, souligné par Éric Sander, secrétaire général de l’Institut du droit local : « Selon le Conseil constitutionnel, aucune évolution du droit local ne peut augmenter la différenciation avec le droit général. » Autant dire qu’on fait du surplace. C’est là que le politique revient : « On peut faire évoluer le droit local, si cela apporte quelque chose à la population, avance André Reichardt. On peut le faire évoluer, si la population le souhaite vraiment. On peut le faire évoluer si les parlementaires d’Alsace et de Moselle sont unis. On peut le faire évoluer si on entre dans une nouvelle étape de la décentralisation. Il faut qu’on se bouge ! »

En tout cas, les notaires d’Alsace et de Moselle et autres défenseurs du droit local devant l’Éternel ont trouvé un solide appui en la per­sonne de Sophie Sabot-Barcet, présidente du Conseil supérieur du notariat : « Je défends et défendrai toujours les spécificités du droit local. » Elle va plus loin : « J’aimerais que nous puissions introduire dans toute la France un schéma inspiré du partage judiciaire que vous pratiquez ici. Et je compte bien remettre l’ouvrage sur le mé­tier. » C’est aussi une manière de préserver l’avenir du droit local : transférer certaines de ses dispositions au droit général.

Après un joli feu d’artifice de clôture, Éric Ricou peut se réjouir : « Aujourd’hui, le droit local a vécu les premiers jours du reste de sa vie. » Espérons que cela ne soit pas que du cinéma.

Jean De MISCAULT