Grand Est Paru le 31 décembre 2024
CONGRÈS DES USAGERS DES TRANSPORTS

Le train à l’épreuve transfrontalière

Le congrès de la Fédération nationale des usagers des transports (FNAUT) s’est déroulé du 15 au 17 novembre 2024 à la Maison de la Région à Mulhouse. Les enjeux du futur RER trinational bâlois qui doit desservir, d’ici 2031, la région frontalière entre le Sud-Alsace et le secteur de Bâle ont été évoqués. Concernant les transports en commun en particulier, les usagers réclament davantage d’offres et une simplification de la billettique.

François Delétraz, président de la FNAUT, et André Lott, président de la FNAUT Grand Est.

À l’image de l’axe Strasbourg-Bâle, les lignes ferroviaires du Grand Est font partie des lignes les plus fréquentées de France. Ces lignes sont empruntées, entre autres, par les Alsaciens et Lorrains qui se rendent en train en Allemagne, au Luxembourg ou en Suisse pour y travailler. Ce trafic pendulaire arrive aujourd’hui à saturation nécessitant de développer une offre de transport adaptée. À partir de ce constat, les acteurs des mobilités transfrontalières ont été invités par la FNAUT à s’exprimer autour de la thématique : « Et si le train était vraiment transfrontalier ? ».

La région métropolitaine de Bâle est en forte croissance

« Aujourd’hui, le contexte nous oblige à travailler avec l’Allemagne, la Suisse et le Luxembourg et peut-être demain avec la Belgique », a fait remarquer Thibaud Philipps, vice-président de la Région Grand Est, en charge des transports et de la mobilité durable. « Il existe un flux important de frontaliers entre le Sud-Alsace et la Suisse et le sillon lorrain jusqu’à Luxembourg est un des territoires les plus fréquentés », a-t-il observé tout en reconnaissant que « nous avons un retard en France en termes d’infrastructures et d’offre de transport.» Certes, le TER Strasbourg-Bâle, dont la clé du succès repose sur la suppression des passages à niveau permettant de circuler à 200 km/h, a réussi à concurrencer la voiture. Mais les moyens ne sont pas forcément en adéquation avec la hausse de fréquentation qui se profile, en particulier entre la France et la Suisse, alors que la région métropolitaine de Bâle est en forte croissance. « Pour le futur, il s’agit de préparer une offre plus importante et capacitaire en tenant compte de l’enjeu du RER bâlois et dans l’objectif d’offrir la meilleure qualité de service possible », s’est projeté Thibaud Philipps.

Raccordement ferroviaire vers l’EuroAirport : « un montant financier inacceptable pour le citoyen »

Le projet de RER trinational bâlois se construira en deux phases. À l’horizon 2030, la ligne ferroviaire de 34 kilomètres entre les gares de Bâle et de Mulhouse sera élargie avec deux voies supplémentaires sur certains tronçons pour permettre aux différents types de trains de dépasser. Vers 2034/2035, ce tronçon du RER entre la Suisse du Nord-Ouest et l’Alsace sera raccordé à la future liaison ferro­viaire qui conduira vers l’EuroAiport de Bâle-Mulhouse-Freiburg. André Lott, président de la FNAUT Grand Est n’a pas manqué de pointer du doigt le coût de ce futur raccordement ferroviaire vers l’EuroAirport, estimé à 400 millions d’euros, « un montant financier inacceptable pour le citoyen ». André Lott aurait souhaité qu’une autre alternative soit étudiée : « La construction d’une passerelle vers la gare de Saint Louis La Chaussée, située à 600 mètres aurait pu être envisagée pour un coût de 60 à 80 millions d’euros. » Face à ces critiques, Emmanuel Barth, directeur de Trireno, l’instance réunissant les trois pays engagés dans le projet du RER trinational de Bâle, a rappelé les enjeux : « Nous sommes en présence d’un corridor européen, d’une ligne TGV, d’une ligne TER 200 et de la présence de l’aéroport. Nous disposons de suffisamment d’études. Il faut maintenant passer à la phase de réalisation. » La planification et la mise en service du RER transfrontalier entre la France et la Suisse a été confiée à EuroBasilea, société commune associant les Chemins de fer suisses (CFF) et SNCF Voyageurs. Son directeur Stefan Haas a insisté sur « le potentiel immense » que représente ce projet, sachant que « 30.000 frontaliers se rendent chaque jour vers la région bâloise et que l’EuroAirport attire 8 millions de passagers chaque année. » La plateforme aéroportuaire, qui accueille quelque 130 entreprises employant directement plus de 6.000 personnes, est l’un des plus gros employeurs de la région du Rhin supérieur.

« Sur le trajet Mulhouse-Bâle, les gares de Rixheim, Habsheim, Sierentz et Bartenheim bénéficieront de travaux d’extension dans le but de bien organiser le réseau de transport périphérique qui agira comme un accélérateur », a souligné Stefan Haas. Ces stations intégreront une offre multimodale d’ici 2030 : « le réseau de bus sera réorganisé pour être connecté avec le RER trinational et une tarification facile à comprendre sera mise en place. Cela permettra de générer un véritable choc d’offres », a complété Emmanuel Barth.

Changement de tension du réseau électrique côté suisse en 2031

Dans cette perspective, les CFF ont fait l’acquisition de 33 véhicules de type Flirt Evo fabriqués par le constructeur zurichois Stadler. Sept rames seront confiées à la Région Grand Est qui en assurera la gestion sur le réseau français. Le projet s’inscrit dans le cadre du dispositif de Service Express Régional Métropolitain (SERM) dont l’objectif est de proposer aux habitants des territoires en lien avec les métropoles, des solutions de mobilité alternatives à l’automobile, performantes et attractives. Thibaud Philipps voit dans cette opé­ration franco-suisse l’occasion de sortir « du paradigme habituel » qui doit conduire à une « homogénéité du parc ferroviaire » entre les deux pays. « Ce sont des choses qui permettent d’avancer. », a-t-il ajouté. En 2028, les CFF mettront les premières rames Flirt Evo en circulation. De son côté, la Région Grand Est doit prendre en compte, dès à présent, le changement de tension du réseau électrique qui sera effectif à partir de 2031 du côté suisse. On sait déjà que le constructeur Alstom ne sera pas en mesure de livrer du matériel compatible avant cette date. « Des discussions sont en cours avec le constructeur Siemens pour acquérir des motrices compatibles avec ces nouvelles normes électriques », a précisé Thibaud Philipps qui prévoit le remplacement des locomotives B 26000 actuellement en circulation tout en souhaitant garder les wagons corails. Une autre solution consisterait à mettre en place de nouvelles caténaires combinant les deux normes de tension électrique.

Acheter son billet « partout et simplement »

Sur le plan national, les représentants des usagers des transports ont listé une série de doléances. François Delétraz, président de la FNAUT, a évoqué la pénurie d’offre ferroviaire en France : « La demande est tellement forte que le train n’arrive plus à suivre. Il faut des trains, et les trains, on les a pas ! Mais demain, il faut qu’il y ait de l’offre pas chère et il faut que l’État remplisse son rôle.» Le président de la FNAUT s’insurge contre les prix dissuasifs pour les voyageurs : « Pour le TGV, sur un billet à 100 €, il est inad­missible que le passager reverse la moitié de son billet à l’État.» François Delétraz dénonce la position de l’État qui « veut tout et son contraire », à savoir décarboner le transport tout en limitant les dépenses dédiées au transport ferroviaire : « L’État essaye de faire financer le réseau par le passager, et même pire que ça !

Il exige que la SNCF fasse des bénéfices en fin d’année. On est en France le pays d’Europe le moins disant. À savoir que par Français, l’État met 50 € dans le système ferroviaire. En Allemagne, c’est plus de 100 € et en Suisse c’est 450 €.» Résultat : En France, « 82% des déplacements se font en voiture et 12% en train ». À l’échelle du Grand Est aussi, l’offre de transport pourrait être enrichie ou réactivée sur certains secteurs. Ainsi, la FNAUT défend l’activation des liaisons bus ou train Colmar-Fribourg, Bollwiller-Guebwiller ou Fontoy-Esch-Belval. La fédération attend également davantage de fiabilité : « Les usagers demandent un service robuste de la part de la SNCF », explique André Lott. « Un train qui est annoncé doit rouler. Le voyageur qui prend le train tous les jours est confronté à la suppression d’un train toutes les deux semaines. » Les reven­dications portent aussi sur la billettique qui doit être simplifiée en donnant la possibilité aux usagers d’acheter leur billet « partout et simplement », y compris pour les voyages transfrontaliers, souligne André Lott. Enfin, François Delétraz dénonce une « balkanisation » du système de transport : « Fluo, Rémi, Zou... Chaque région a mis au point sa propre appellation, ses propres cartes jeunes ou senior. Or la facilité d’usage, c’est l’arme essentielle pour que les gens abandonnent leur voiture. » Une autre suggestion consiste à démocratiser le paiement par carte bancaire directement à bord des bus. Dans le Haut-Rhin, Mulhouse Alsace Agglomération a choisi de suivre cette voie. Tous les bus du réseau Solea seront équipés d’un terminal carte bancaire en 2025.

Les frontaliers utilisent en majorité leur voiture pour aller au travail

D’après une étude réalisée par l’INSEE, entre 2010 et 2021, le nombre de travailleurs frontaliers a nettement augmenté (+37 %), notamment vers le Luxembourg et la Suisse. En 2021, les travailleurs frontaliers parcourent en moyenne 34 km pour se rendre à leur travail, et ont ainsi des trajets 2,5 fois plus longs que les autres actifs en emploi résidant dans les mêmes territoires. Leurs trajets durent en moyenne 34 minutes, sans compter les problèmes de congestion qui peuvent fortement rallonger les temps de trajets, notamment au niveau de la frontière luxembourgeoise et de la frontière suisse. Chaque jour, on dénombre ainsi 46.000 frontaliers qui se rendent au Luxembourg et 28.000 qui se rendent dans le nord de la Suisse. En moyenne, les travailleurs frontaliers parcourent autant de distance en France que côté étranger pour rejoindre leur lieu de travail. 88 % d’entre eux ont des trajets de plus de 10 km, et 18 % ont même des trajets très longs, d’au moins 50 km. Les actifs avec des trajets de 50 km ou plus sont plus nom­breux, avec une hausse de +63 %. Ces longs trajets ont très fortement augmenté vers la Suisse et le Luxembourg (respec­tivement +89 % et +75 %). Cette tendance peut s’expliquer en partie par la hausse des prix de l’immobilier observée dans la plupart des zones frontalières, en particulier proches de la Suisse. Une large majorité des frontaliers utilisent la voiture (82 %). Toutefois, ils sont relativement nombreux à utiliser les transports en commun (17 %), notamment le train via la ligne TER Metz-Hagondange-Thionville-Luxembourg. Ils travaillent principalement à Luxembourg-ville ou Esch-sur-Alzette. Ils sont le plus souvent employés (28 %) ou ouvriers (28 %). Les trajets sont moins longs pour les travailleurs frontaliers vers la Suisse. C’est le cas en particulier pour ceux qui résident dans la région Grand Est (35 km). Les actifs travaillant à Bâle utilisent un peu plus les transports en commun (13 % d’entre eux), le vélo (4 %, soit autant que les non-frontaliers) ou les deux-roues motorisés (4 %). Les travailleurs frontaliers vers l’Allemagne, résidant dans le nord de l’Alsace, prennent quasi exclusivement la voiture pour se rendre au travail à Sarrebruck, Karlsruhe, Kehl ou Rastatt.

Source insee.fr

La gare de Bâle se prépare à l’augmentation du trafic passagers

En forte croissance, la région métropolitaine de Bâle est la deuxième zone économique de Suisse. Elle constitue un im­portant pôle d’attractivité pour les travailleurs suisses et les travailleurs frontaliers en provenance de France et d’Allemagne. Le réseau ferroviaire suisse et la gare de Bâle, en particulier, sont confrontés à une hausse du trafic passagers voyageant en train. Des travaux ont été engagés en gare de Bâle pour contenir cette augmentation de fréquentation et répondre à l’amplification de l’offre de trains dans le nord-ouest de la Suisse.

D’ici 2025, deux quais supplémentaires seront aménagés et une nouvelle passerelle piétons, actuellement en cours de construction, sera érigée. Bien que provisoire, l’ouvrage devra rester en place pour les 20 prochaines années en attendant la création d’un passage souterrain prévu en 2040. Celui-ci permettra d’accéder à la gare souterraine de Bâle qui sera raccordée à la gare allemande de Bâle et à la gare Saint Jean. Le projet d’une 3e passerelle est, également, envisagé pour la période 2030/2037.

Christophe LUDWIG