L’émotion était palpable lors de l’évocation des années passées à Saverne et de sa profonde complicité avec la Présidente Françoise Decottignies.
Cette dernière a résumé leur collaboration en ces termes éloquents : « Votre action s’est inscrite dans le respect d’une dyarchie à l’unisson que je pourrais ainsi définir : quand vous proposiez un nouveau projet, je disais oui, et quand c’était moi, vous ne disiez jamais non. Pour paraphraser Montaigne, notre collaboration a été fructueuse parce que c’était vous, parce que c’était moi. Ce fut un réel bonheur de travailler ensemble dans le respect mutuel, un enrichissement constant autour de nos valeurs partagées et de nos audaces. »
Dès le début de ses réquisitions, Aline Clérot a tenu à remercier chaleureusement l’ensemble des services de greffe, et plus particulièrement Madame Sophie Moog, directrice des services de greffe, ainsi que son adjointe Madame Clarisse Bachery.
Un parquet exclusivement féminin
Après avoir présenté Mme Anne Doerr nouveau substitut au parquet de Saverne, en charge de la lutte contre les stupéfiants, la délinquance routière et les contentieux techniques et avoir souligné la richesse de son parcours professionnel, Madame la procureure a évoqué le fait que depuis lors, on lui fait remarquer souvent que ce parquet est exclusivement féminin.
À ce sujet, elle fait remarquer : « La question que l’on peut sans doute se poser est de savoir pour quelle raison, finalement, nous étonnons-nous de cette féminisation de la magistrature quand il ne surprenait personne que ces fonctions soient exclusivement occupées par des hommes des siècles durant ! C’est qu’en définitive l’accès des femmes à la magistrature est, à l’échelle de l’histoire de notre civilisation, plutôt récent. »
Pour étayer son propos, elle a évoqué Madame Charlotte Béquignon-Lagarde, première femme magistrate intégrée par décret du 10 octobre 1946 à la Cour de cassation, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire en France. Elle a souligné qu’il est intéressant de noter que les hommes sont désormais minoritaires dans les lieux de justice, situation logique compte tenu de la sur-représentation des femmes dans les facultés de droit. Elle a conclu en précisant que la présence désormais ancienne des femmes dans la magistrature permet d’affirmer « que l’exercice sérieux de la justice ne doit rien au genre ».
Actions de proximité et réalités du ministère public
Madame Clérot est revenue sur les actions de proximité menées avec les élus locaux, les personnels soignants et les secrétaires de mairie pour lutter contre les violences conjugales. Elle s’est félicitée de l’existence de 12 places de logements d’éviction, de la création de 2 QR codes accessibles aux victimes et aux prévenus leur permettant d’avoir des informations sur leurs droits et leurs devoirs.
Afin de présenter à l’auditoire les réalités du ministère public, Madame la Procureure a évoqué le problème des centaines de milliers de procédures non traitées chaque année par les services d’enquête, faute de moyens. En effet, « Pas d’enquêteur : pas d’enquête ». Pour donner un ordre de grandeur, à fin 2022, 2.7 millions de procédures étaient en stock pour un flux annuel de 3.5 millions de faits constatés. Ainsi 40% des procédures ont plus de 2 ans.
Pour Madame Clérot, bien entendu, si toutes ces procédures devaient être traitées par les tribunaux, ceux-ci ne pourraient pas suivre, mais elle note tout de même que la justice doit rationaliser et faire preuve de productivité voire même de productivisme pour pouvoir maintenir des délais raisonnables. Mais s’interroge-t-elle, à quel prix pour les justiciables et pour l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale ?
Si cette situation n’est pas encore d’actualité à Saverne, elle pourrait le devenir dans le cas où les renforts attendus par la loi de programmation du 20 novembre 2023 n’arriveraient pas.
Elle a terminé son propos par des remerciements chaleureux envers toute son équipe avec qui elle a travaillé durant ses années à Saverne.
Comme un passage de relais, Madame Constance Champrenault désormais procureure par intérim a conclu ces réquisitions.
Difficultés de recrutement et bilan chiffré
Après ses mots d’accueil, Madame la Présidente Françoise Decottignies a souligné d’emblée les difficultés rencontrées par la juridiction en matière de recrutement. En effet, les restrictions budgétaires ont bloqué l’embauche de nouveaux juristes assistants mais aussi de certains contractuels. Si les effectifs de magistrats sont au complet, ceux des services de greffe restent préoccupants.
Madame Decottignies a également remercié longuement la direction des services de greffe ainsi que Monsieur Olivier Frank qui quitte la juridiction pour prendre en charge le secrétariat général du Conseil Départemental d’Accès au Droit du Bas-Rhin.
Madame la Présidente a également présenté à l’auditoire, le nouveau juge de l’application des peines, Monsieur Najib Smaili qui a également un parcours professionnel riche et varié.
Sur le plan de l’activité pénale, Françoise Decottignies note que la saisine du cabinet d’instruction reste importante. Il y a eu une augmentation des décisions des juges de l’application des peines. Les procédures pénales transmises au juge des enfants sont en augmentation de 9% et enfin l’activité du Juge des Liberté et de la Détention a été dense avec près de 284 décisions rendues ; elles étaient au nombre de 200 en 2023.
En ce qui concerne l’activité civile, celle-ci a été également importante puisque la juridiction a été saisie de 2233 affaires tous services civils confondus et a rendu 2296 décisions. Le service des affaires familiales a connu une hausse des affaires nouvelles. En ce domaine, la moyenne de traitement est d’un peu plus de 7 mois.
Quant à l’activité de la chambre commerciale, celle-ci a augmenté de manière importante avec 192 procédures contre 149 en 2023.
On constate également une baisse de 10% du nombre d’ordonnances d’inscription au livre foncier.
Nouveautés et défis pour 2025
La nouveauté en 2024 a été la mise en place des audiences de règlement amiable. Il s’agit d’une audience où un juge désigné va proposer aux parties de trouver un accord, ensemble et sous sa direction. Avec un taux de réussite de 50%, Madame la Présidente a affirmé : « Il nous appartient de développer ce mode de règlement qui s’avère efficient même pour des litiges très anciens. »
C’est dans ce contexte qu’elle a souhaité remercier, comme l’avait fait Madame Clérot auparavant, Madame le bâtonnier Noémie Gross ainsi que le nouveau bâtonnier Madame Aurélie Diebolt pour leur implication dans ces audiences mais aussi dans les relations avec les magistrats de ce tribunal.
Pour la Présidente, de nombreux défis attendent la juridiction. Il y a tout d’abord la déjudiciarisation des saisies des rémunérations avec un transfert de compétences aux commissaires de justice.
D’autre part, sur le plan civil, le projet concernant la procédure de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux, qui pourrait se passer exclusivement devant le notaire, comme cela se fait en Alsace-Moselle pourrait aboutir. Ainsi dit-elle, cette « proposition qui souligne la force de notre droit local est enfin une source d’inspiration ».
Un autre défi, plus technologique celui-là, sera l’émergence de l’IA avec l’utilisation en open data des décisions de justice qui permettront gratuitement à tout un chacun de consulter ces décisions anonymisées.
À ses yeux, un autre défi attend l’institution judiciaire dans son ensemble, il s’agit de la défiance envers l’institution et ses moyens. Il faut combattre la lenteur qui est l’un des reproches les plus fréquents faits à cette institution. Elle rappelle que cela n’est pas le cas à Saverne et annonce l’analyse des enquêtes de satisfaction faites l’automne dernier auprès des justiciables.
Enfin, la juridiction en partenariat avec les acteurs de la convention de partenariat de justice restaurative a concrétisé, avec le Centre de détention d’Oermingen, la première mesure de Justice Restaurative, Rencontre Détenus/Victimes.
Madame Decottignies a terminé son propos par une citation de Ruth Bader Ginsburg « je crois fermement qu’il faut écouter et apprendre des autres ». Elle a conclu : « C’est ce que nous faisons à Saverne, avec un plein engagement pour une justice de qualité et de proximité. Cet engagement doit être soutenu par de vrais moyens, pour ne pas perdre le sens de nos missions ».