« Nous reprenons la gestion d’une partie stratégique du Réseau routier national pour y apporter des solutions concrètes en matière de sécurité, d’environnement et de fluidité du trafic. À travers cette expérimentation inédite, la Région Grand Est se positionne comme un acteur clé des mobilités du quotidien. » Franck Leroy, président de la Région Grand Est, résume la petite révolution qui vient d’être opérée en matière de gestion d’infrastructures routières. Mais elle ne s’y engage pas les mains vides. Ce transfert de compétences s’accompagne d’un projet attendu : la création d’une Éco-contribution Poids Lourds, qui devrait être instaurée en 2027 et concerne les poids lourds de plus de 3,5 tonnes (Lire par ailleurs). Elle ressemble à celle qui avait été contestée et finalement abandonnée sous la présidence Hollande, il y a une dizaine d’années. Elle devrait permettre de financer l’entretien, la rénovation de ces infrastructures. « L’éco-contribution poids lourds est l’outil qui nous permettra d’atteindre ces objectifs ambitieux sans peser sur les usagers locaux ni sur les finances régionales » indique encore le président de Région. Pour se faire une idée de l’impact de ce transfert, le budget alloué en 2025 reflète cette ambition : 92 millions d’euros en investissement soit trois fois plus que ce que l’État avait initialement prévu pour cet exercice. Ces moyens exceptionnels viseront prioritairement des travaux de rénovation, de modernisation et de sécurisation des infrastructures. À titre d’exemple, la Région engagera environ 34 M€ pour des travaux de régénération des chaussées, couvrant près de 75 km de routes dont 45 km sur la RN4 (axe Sarrebourg-Nancy) et ce pour la seule année 2025. Ce budget est constitué entre autres par la dotation de compensation de l’État versée annuellement (autour de 32 M€) et des emprunts d’équilibre.
Transfert de compétences inédit
Adoptée en février 2022, la loi 3DS (décentralisation, différenciation, déconcentration) permet aux régions volontaires de gérer une partie du réseau routier national. Ainsi au 1er janvier 2025, la région Grand Est a pris en charge la gestion de 525 km d’axes routiers stratégiques : R4, A33, RN44, A31, A313, RN431, A30, RN52 section Meurthe-et-Mosellane. De fait ces axes concentrent des flux de poids lourds importants, avec un taux de camions étrangers ou hors Grand Est variant de 60 à 90%. À y regarder de près on y trouve des routes nationales mais aussi des autoroutes et pas des moindres. L’A31, autoroute emblématique qui traverse tout le sillon mosellan, y figure en bonne place. Elle est surtout connue pour ses interminables bouchons. Ce transfert vers la Région représente une véritable opportunité de voir ce dossier, disons ce serpent de mer, aboutir.
Ce transfert repose sur le principe de substitution à titre expérimental, la Région prenant le relais de l’État pour l’aménagement, l’entretien et l’exploitation de ce réseau pendant les cinq prochaines années (2025-2029). Une partie des services de la DIR Est et de la DREAL Grand Est sera mise à disposition pour accompagner cette expérimentation, encadrée par une convention État-Région. Soulignons que cette expérimentation prévue jusqu’à l’horizon 2030, pourrait être pérennisée si la démarche s’avère concluante.
Un acteur clé
Depuis des décennies, ces infrastructures n’ont pu bénéficier de tous les moyens financiers nécessaires, ce qui a pu affecter parfois leur sécurité et leur capacité à répondre aux besoins croissants des usagers. Aujourd’hui plus de 50% des chaussées nécessitent un entretien de surface et 12% des ouvrages d’art requièrent des travaux lourds. En reprenant le pilotage de ce réseau, la Région ambitionne de devenir un acteur clé de la mobilité liant modernisation des infrastructures, sécurité accrue et soutien au développement économique. Surtout sa gestion pourrait sérieusement accélérer la modernisation de ce réseau ce qui ne pourra que satisfaire les entreprises de travaux publics. Nous avons souvent donné la parole dans ces colonnes aux entreprises de l’industrie routière. Bon an mal an, elles déplorent l’absence d’investissements nouveaux, d’engagement dans l’entretien des routes. Thierry Ledrich, président de la fédération lorraine des TP réclame en particulier, très régulièrement la relance du dossier de l’autoroute A31. (Lire un peu plus loin). Avec ce transfert il pourrait obtenir satisfaction, plus vite que prévu.
Des retombées concrètes pour le Grand Est
En instaurant l’éco-contribution poids lourds à partir de 2027, la Région Grand Est se donne les moyens de mener une politique ambitieuse sur le réseau national dont elle vient d’hériter. La Région a du reste listé de façon détaillée les retombées et les améliorations concrètes attendues sur le réseau routier et autoroutier.
* Elles concernent en particulier l’autoroute A31. Nous le détaillerons un peu plus loin.
* Les premiers chantiers concernent aussi :
- La RN4 entre Gogney et Saint-Georges pour le démarrage de l’élargissement à 2x2 voies attendu depuis des années (opération évaluée à 70 M€). Début des travaux préparatoires également prévus pour la déviation de Saint-Dizier, évaluée à 18 M€.
- Études de sécurité et d’aménagement réalisées sur la RN44 entre Moncetz-Longevas et Châlons-en-Champagne pour permettre de finaliser la mise en 2x2 voies, une opération évaluée à 38 M€.
- Poursuite des études pour mettre en place en 2026 des protections acoustiques sur l’A31 pour les habitants de Maxéville et Champigneulles, dans un souci de confort et de réduction des nuisances (14 M€).
- Des aménagements de sécurité comme la construction d’un giratoire à Couvrot dans la Marne pour sécuriser un carrefour accidentogène (6,5 M€).
Ces engagements passeront par la mise en place de l’éco-contribution. Un tournant pour assurer le financement des infrastructures.
L’éco-contribution poids lourds : un dispositif innovant
Pour financer les investissements nécessaires, la Région s’appuie sur l’éco-contribution poids lourds. Ce dispositif repose sur une redevance kilométrique appliquée aux poids lourds de plus de 3,5 tonnes, transport de marchandises et circulant sur les axes routiers concernés.
« Avec l’éco-contribution poids lourds, nous prenons nos responsabilités en tant que Région et agissons concrètement pour moderniser notre réseau routier. Ce projet, pensé pour l’ensemble du territoire, contribuera à rendre le Grand Est plus attractif, plus sûr et plus respectueux de l’environnement. » Franck Leroy rappelle le fondement de cette nouvelle redevance, qui évoque immanquablement celle promue par le gouvernement de François Hollande afin d’alimenter l’AFIT, l’agence de financement des infrastructures de transport de France, chargée de coordonner le financement des grands projets d’infrastructures. Elle a été abandonnée en cours de route… Mais cette éco-contribution a rebondi au sein de la Communauté européenne d’Alsace qui la mettra en application sous forme de R-Pass au premier semestre 2027, sur 200 km de voies, essentiellement l’A35. La Région Grand Est la reprend à son compte afin d’entretenir le réseau routier dont elle a désormais la gestion. Elle permettra d’investir dans l’entretien des infrastructures routières en complément des dotations de l’État et dans le même temps d’accélérer la transition écologique en incitant les transporteurs à adopter des véhicules moins polluants, de financer aussi le report modal vers le ferroviaire et d’autres modes alternatifs, de réguler le flux des poids lourds en transit, en optimisant leur répartition sur les différents axes régionaux.
1 milliard d’ici 2035
D’ici 2035, ce dispositif pourrait générer jusqu’à 1 milliard d’euros d’investissements, dont une partie sera dédiée à des projets structurants, tels que la modernisation des pôles d’échanges multimodaux. En gros cela représenterait quelque 125 M€ par an engagés dans la rénovation du réseau routier. Son fonctionnement est simple :
- Les transporteurs réguliers seront équipés de dispositifs embarqués pour un paiement automatisé.
- Les utilisateurs occasionnels auront accès à une solution dématérialisée via une application mobile ou des bornes spécifiques.
À l’évidence cette éco-contribution ne fera pas forcément l’affaire des transporteurs routiers. Mais la Région s’est engagée dans une démarche concertée et équilibrée pour faire passer cette contribution. « La Région a initié une large concertation avec les acteurs concernés : transporteurs, chargeurs, représentants agricoles, collectivités locales et associations. Cette approche garantit que les préoccupations et suggestions des parties prenantes soient prises en compte dans la mise en oeuvre du projet » précise la Région.
Une étude est en cours
La Région a pris les devants en lançant une étude pour mesurer l’impact de l’éco-contribution sur l’attractivité et la compétitivité de l’économie régionale secteur par secteur. Le rapport Deloitte sera présenté au monde économique. Thibaud Philipps, vice-président du conseil régional, chargé des mobilités a rappelé dans les colonnes du Républicain Lorrain que la « Région a demandé que soit élaboré des scénarios avec des taux kilométriques différents. » Les résultats guideront l’ajustement du dispositif afin d’en maximiser les bénéfices pour le territoire et proposer des alternatives pour la compétitivité des entreprises. La région a instauré un budget annexe spécifiquement dédié à la gestion expérimentale du Réseau routier national, garantissant ainsi une transparence et une traçabilité exemplaires. Ce dispositif assure que les recettes issues de l’éco-contribution, ainsi que les dotations de l’État, seront intégralement réinvesties dans les infrastructures de transport.
Aligné sur les pratiques des voisins
La Région rappelle à bon escient que les poids lourds étrangers ou extérieurs au Grand Est représentent entre 60 et 90% du trafic sur certains axes. Ces poids lourds qui utilisent intensivement le réseau usent jusqu’à 100 000 fois plus une chaussée qu’un véhicule léger. Elle estime ce dispositif équitable car « il s’aligne sur les pratiques des voisins européens. La Belgique, l’Allemagne, le Luxembourg, la Suisse appliquent déjà des dispositifs similaires avec des résultats probants en termes de sécurité et de maintenance. »
Quant à l’impact sur les entreprises locales, la Région prévoit des mesures spécifiques pour accompagner les acteurs économiques dans le verdissement de leurs flottes, plus généralement dans l’optimisation de leur outil productif. Cela inclut des aides financières pour l’acquisition de véhicules moins polluants, notamment électriques ou à hydrogène.
En clair, cette éco-contribution a été conçue pour qu’elle bénéficie avant tout aux habitants et aux entreprises du Grand Est. En attendant de connaître le montant de l’éco-contribution au kilomètre, les transporteurs sont dans l’expectative. En revanche, les entreprises de travaux publics se félicitent de voir émerger ce mode de financement pour l’entretien des routes et la construction de nouvelles infrastructures.
Vers l’élargissement de l’A31 entre Metz et Nancy
Le transfert vers la Région de routes du réseau national fait rebondir la perspective de l’élargissement à 2x3 voies de l’autoroute A31 entre Metz et Nancy. Un montant de plus d’1M€ a été réactivé dans ce sens pour relancer les études.
Verra-t-on enfin des travaux de modernisation de l’autoroute A31 entre Metz et Nancy ? La Région l’annonce d’emblée avec le lancement d’études et travaux pour fluidifier le trafic entre Metz et Nancy et améliorer la qualité de vie des riverains. Dans le même temps, dès cette année des études sont poursuivies pour les protections acoustiques sur l’A31 à hauteur de Maxéville et Champigneulles. Mais le plus important reste la relance de ce vieux dossier du passage à 2x3 voies entre Metz et Nancy. Thibaud Philipps l’élu régional en charge des mobilités l’a confirmé courant janvier dans les colonnes du Républicain Lorrain : « L’A31 fait d’ores et déjà partie des gros investissements programmés. » Il évoque ainsi le segment central mais aussi les études autour du plateau de Brabois pour préparer l’avènement du nouveau Centre hospitalier régional universitaire (CHRU). Il n’oublie pas de citer le projet d’A31 bis avec le contournement de Thionville, un projet mené par l’État. Selon l’élu « l’idée est d’avoir 2x3 voies sur toute la distance. » La Région sur ce tracé envisage également la rénovation des ouvrages d’art de Richemont, de Belleville notamment. Avec un certain optimisme, le vice-président du conseil régional espère voir aboutir ce projet d’élargissement des voies à la fin de la décennie.
B.K.
