Ce fut une bien curieuse cérémonie de remise du Prix Marianne de la Chambre des notaires de Moselle. Une manifestation presque immuable qui plante, bon an mal an, son décor dans les vieilles pierres du Grenier de Chèvremont au musée de la Cour d’Or de Metz. Nous disions presque, car l’édition 2025 ne s’est pas déroulée comme de coutume avec la déclinaison invariable de l’ordre des discours. De l’ouverture par le conservateur du musée Philippe Brunella, à Dominique Barberis, présidente du jury pour la présentation de l’ouvrage primé, via Aline Brunwasser, présidente du festival du Livre à Metz, Me Catherine Merlin, présidente de la Chambre des notaires de la Moselle et Patrick Thil, adjoint au maire de Metz, avant la clôture des discours par l’auteur. Or ce vendredi 4 avril tout a été chamboulé. Même la tonalité des propos en a été quelque peu atténuée comme tronquée… par l’absence de Clémentine Mélois, l’auteur de Alors c’est bien, récompensé par le jury du Prix Marianne. Osons le dire : alors c’était moins bien. Certes, elle est arrivée bien tardivement, presque hors délai, mais le souffle de cette cérémonie si attendue, cette petite tension qui l’anime quand l’expression du propos s’adresse à l’écrivain présent, tout ça était un peu retombé. Clémentine Mélois, malgré ce retard, a tenté de reprendre le fil de la cérémonie. De le renouer. Dominique Barberis était à deux doigts de refaire son bel exposé afin que l’auteur ressente l’effet de la lecture de son livre sur ce jury conquis. Finalement, Clémentine Mélois a choisi de dire ce que lui inspirait le monde des notaires avant d’échanger avec l’assistance au cours du cocktail qui a suivi. Que cela ne nous empêche pas de revenir dans le détail sur le contenu des propos, sur le contenu de ce livre primé par les notaires de Moselle.
Dans ce musée…
Philippe Brunella, le conservateur du musée de la Cour d’Or n’a pas son pareil pour ouvrir la cérémonie du Prix Marianne. « Vous êtes ici chez vous, au Musée de la Cour d’Or, chez vous dans ce musée qui nous parle de plus de 2000 ans d’histoire. Dans cet établissement où l’art, l’histoire et la culture se mêlent pour raconter des histoires. Il est donc tout naturel d’accueillir la remise du Prix Marianne ici. » Une entrée en matière tonique qui donnait envie de connaître la suite.
« Alors c’est bien » fait écho à la thématique du festival
« Je suis ravie d’être là » lance Aline Brunwasser, la présidente du festival du Livre à Metz. Ravie de remettre ce prix Marianne « tout à l’heure à la lauréate qui n’est pas encore tout à fait là, je crois. Qu’à cela ne tienne nous allons quand même parler de Clémentine Mélois, nous allons quand même parler de son livre Alors c’est bien. » Elle pouvait alors faire le détour des quatre prix décernés lors de ce festival : Le Prix Graoully Batigère Jeunesse, le Prix du Livre à Metz Marguerite Puhl-Demange et le Prix Frontière décerné par l’Université Metz Lorraine et ce Prix Marianne.
Aline Brunwasser a l’honneur de participer au jury de ce prix. Elle revient sur le thème de cette édition du Livre à Metz : tenir tête. « Contrairement aux apparences : Alors c’est bien fait parfaitement écho à cette thématique de résistance et de marche en avant. Avec un naturel irrésistible, avec drôlerie, avec sensibilité elle nous fait revivre les souvenirs d’avant, nous raconte l’histoire d’une mort annoncée, celle du père, irrésistible lui aussi, fantasque, artiste, entouré de l’immense amour de sa famille. Et ce qui aurait dû être un drame, qui l’a sans doute été, devient sous sa plume et sous nos yeux étonnés, la préparation d’une formidable fête familiale et collective, dont le père restera l’acteur principal et vivant, si j’ose dire, dans l’harmonie la plus totale entre celui qu’il était et celui que l’on accompagne à sa dernière demeure. C’est-à-dire, quand le bonheur, l’humour, l’amour se décalquent jusque dans la tombe. Ce récit très singulier restera une ode à la vie, à la filiation, à la fantaisie. Quelle meilleure façon que de tenir tête à ce qui doit advenir inexorablement. C’est un roman qui fait du bien. » Une bien jolie façon de donner envie de plonger dans ce récit.
La belle histoire
Me Catherine Merlin, présidente de la Chambre des notaires de la Moselle a bien fait de rappeler que ce prix Marianne possède une belle histoire. Il vient de fêter son 26e anniversaire. « C’est le seul prix littéraire en France créé et organisé par les notaires. » Elle n’oublie pas de souligner que « le notaire est un homme de l’écrit. Ce prix permet la rencontre des hommes de droit et des hommes de lettres. Ce prix est une action culturelle originale destinée à faire connaître le notariat autrement. » Cette année, sur les douze ouvrages sélectionnés, le jury a donc choisi Clémentine Mélois. Elle cite les dix membres du jury dont bon nombre de notaires sont des membres fondateurs de ce prix. Et bien sûr, elle remarque la belle et longue histoire qui lie ce prix à Madame Dominique Barberis, première lauréate de ce prix pour son livre L’Heure exquise chez Gallimard. Elle a depuis écrit onze ouvrages, dont le dernier Une façon d’aimer elle a reçu le prix du roman de l’Académie française en 2023.
Une affaire de mots
Patrick Thil, adjoint au maire de Metz, a ensuite commenté à sa façon ce prix Marianne 2025. En glosant sur les mots. « Les temps sont difficiles pour les mots » constate-t-il. « Nous avons besoin des mots, pour les appliquer au droit. Souvent, il faut rechercher le mot juste, le mot précis pour décrire l’état des choses. Vous êtes de plus en plus prolixes, car il y a de plus en plus de mots dans vos actes. Et de pages. » Il compare l’acte notarié des années soixante-dix, de quelques pages, à celui d’aujourd’hui « qui est un véritable bouquin, tant les actes sont longs, et leurs annexes. » Il remarque que « le roman, le récit peut désormais être plus court que l’acte notarié. »
Il se désespère de voir qu’il « y a de moins en moins de mots dans le français courant, y compris hélas, dans la presse écrite. De ce fait, on connaît moins la nuance. Le dictionnaire des synonymes est de moins en moins employé, pour trouver le juste mot, la juste nuance. C’est ça le bon usage du dictionnaire des synonymes. » Il en tire une conclusion aussi évidente qu’inquiétante : « Moins on a de mots pour exprimer les nuances de la pensée, plus la pensée elle-même se réduit. » Et de glisser vers le concept suivant : « Plus la pensée se réduit, plus les personnes ne se comprennent plus. D’où l’effet d’une société où le langage est de moins en moins un langage commun. Chacun est dans sa bulle, certains s’enferment, dans leurs écouteurs, dans les algorithmes, dans ce monde parallèle. Les algorithmes vous embrassent, vous enferment dans vos croyances, vos opinions. On ne se parle plus, on ne s’entend plus et on communique mal. Même au sein des familles. Le repas de famille existe de moins en moins… on se retrouve non pas devant un écran unique, mais chacun devant son écran. » Il appelle alors à « retrouver des moments de communion. À résister, à tenir tête. » Le thème du jour. Belle démonstration.
« Un livre plein d’énergie et de drôlerie »
Dominique Barberis, présidente du jury ne pouvait s’y résoudre, mais elle a fait avec : « J’espérais moi aussi m’adresser à la lauréate. Clémentine Mélois est la 26e lauréate du Prix Marianne pour un livre plein d’énergie et de drôlerie, bien qu’il traite du sujet le plus douloureux qui soit, la mort de son père, le sculpteur Bernard Mélois, survenue en 2023. » Elle décline alors son portrait qui se dessine au fil du livre. « Ce fils de paysan de Malestroit dans le Morbihan, passé par les beaux-arts, inclassable, sa vie fantaisiste d’artiste total, bricoleur inspiré, avec sa femme Michèle et ses filles dans la maison de Ferté-Milon dans l’Aisne, où Clémentine a passé son enfance. » Une maison doublée d’un atelier que Clémentine compare à « la grotte de Gaston Lagaffe. » Dominique Barberis, décèle « cet humour plein d’auto-dérision, qui est la marque de fabrique de Bernard Mélois, qui éclate dans ses œuvres dont Clémentine donne de nombreux exemples. »
« On rit beaucoup »
De fait « on rit beaucoup en lisant ce texte. » Elle parle de ce livre comme d’un tombeau. Au sens propre comme au figuré. « Ce qu’elle nous raconte, c’est la réalisation concrète, préparée avant la mort de son père avec son plein assentiment, de son monument funéraire, même au-delà, de cette fête d’enterrement conçue comme une œuvre totale. Le chagrin y est converti en action. Elle annonce la couleur dès la première page : avec ce bleu, j’ai peint le cercueil de papa. Elle va aussi trouver la croix, qu’elle va chercher au cimetière de Saint-Quentin, qu’elle émaille en bleu outre-mer, la couleur du tablier de la laitière de Vermeer, en rappelant que c’est la laitière reproduite sur les pots de yaourt.» S’ensuit une description détaillée de la palette des cercueils proposés. Elle définit l’humour de l’auteur : « décalé et saugrenu. L’humour, dit-elle, est comme un feu de camp qui tient à distance les bêtes sauvages. » Mais quelque part, elles sont toujours là car « derrière ce livre plein d’humour on devine le chagrin, le calvaire de la maladie. Son pessimisme anxieux, la force de ses attachements, à sa femme, sa famille, à ses origines à cette commune bretonne de Malestroit. » Enfin Dominique Barberis affine sa perception du livre qui « témoigne, dit-elle, d’une certaine foi, et même d’une grande foi, dans le pouvoir que l’art peut avoir sur la mort. » Elle va plus loin, estimant que « Clémentine Mélois donne à son père les moyens de transformer sa mort en l’ultime œuvre de sa vie. Et de couronner ainsi sa vie d’artiste. Et ça ne manque pas de panache. Pour la paraphraser je dirai : alors c’est vraiment bien. »
« Désolée, je saute du train… »
On aurait aimé entendre Clémentine Mélois revenir sur ces moments qu’elle décrit, raconter ce vécu, de vive voix. On se contentera de la lire. Au lieu de cela, une fois présente, elle a toutefois joliment exprimé « sa surprise d’être honorée par ce prix. » Elle qui n’avait eu à ce jour que deux fois l’occasion de rencontrer des notaires dans sa vie : la première fois lors de l’achat de sa maison, la deuxième lorsqu’elle a perdu son père. « Je me suis dit que les notaires, finalement étaient là, lors des moments importants de ma vie, de notre vie. C’est aussi un métier d’écriture. Ils notent des choses à des moments importants de nos vies. C’est un peu ce qu’on fait en tant qu’écrivain, peut-être pas avec le même imaginaire, mais on note des choses, on écrit des livres. Finalement, tout ça était assez lié, je trouvais que ça avait du sens. Je ne vous ai pas encore remercié. Désolée, je saute du train… »