Dossier Paru le 20 juin 2025
Suspension de MaPrimeRénov’

L’inquiétude de la CAPEB et du BTP de la Moselle

L’annonce par le gouvernement de la suspension des aides de MaPrimeRénov’ suscite une profonde inquiétude du monde du BTP. En Moselle la CAPEB et la fédération du BTP « dénoncent un coup de poignard » pour l’une, et parlent de consternation pour l’autre.

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Le moins que l’on puisse dire est que cette annonce du ministre de l’Économie Éric Lombard début juin, a provoqué une belle unanimité dans les réactions des professionnels du bâtiment. La suspension des aides MaPrimleRénov’, qui représente tout de même quelque 3,6 milliards, pour financer les travaux de rénovation énergétique des logements, suscite colère, inquiétude dans les milieux professionnels.

Selon la CAPEB de la Moselle qui réunit les entreprises artisanales du bâtiment, « ce sont des centaines d’entreprises positionnées sur le marché de la rénovation énergétique qui vont être impactées. » Alors que le secteur du bâtiment (16 500 salariés en Moselle) souffre maintenant depuis plus de 2 ans d’un recul très significatif de son activité (-7% en un an dans le Grand Est, +17,4% de défaillances d’entreprises), suspendre et venir remettre en cause brutalement les aides de MaPrimeRénov’, qui soutiennent le marché de l’entretien rénovation, « sans aucune concertation », relève selon la CAPEB « à minima de l’incompétence, au pire de la mise à genou délibérée d’un secteur pourtant vital pour l’économie locale et pour la lutte contre le réchauffement climatique. »

« Une aberration… »

Émilien Gangemi, président de la CAPEB Moselle ne se prive pas d’exprimer le mécontentement de ses adhérents. « Cette décision constitue un véritable coup de poignard dans le dos des artisans du bâtiment… Voilà des années que la CAPEB Moselle demande que MaPrimeRénov’ soit réformée pour la rendre plus claire, plus stable et pour permettre à l’État de mieux lutter contre les fraudes. Malheu­reusement le dispositif est piloté à vue par des technos au sein des cabinets ministériels, qui ne cessent de changer les règles sans aucune considération pour les clients et les artisans. En réponse, et parce que le système n’est plus maîtrisé, on le suspend et on envisagerait de la supprimer ! C’est une aberration et un contre-sens. Il est temps que le gouvernement écoute les acteurs du terrain, et organise sans délai un Grenelle du Logement pour remettre à plat toute la politique du logement de ce pays. »

Pierre Schaeffer, président du BTP 57 : « Le bâtiment risque de s’enfoncer dans une crise profonde ! »

Le président du BTP Moselle, Pierre Schaeffer n’est pas en reste, il répond de façon forte aux questionnements des gens de la profession.

- Comment réagissez-vous à ce gel provisoire de MaPrimeRénov’ ?

- P.S. : « C’est une décision brutale et non concertée avec la profession. Depuis cette annonce, tous nos adhérents acteurs de la rénovation énergétique sont consternés. MaPrimeRénov’ est en effet un dispositif essentiel pour l’amélioration énergétique des logements. Les particu­liers vont à coup sûr stopper leurs projets de rénovation. »

- Quelles vont être les conséquences pour les entreprises ?

- P.S. : « Les artisans et entrepreneurs ne cessent d’appeler la fédéra­tion depuis cette annonce. Ils sont inquiets, désemparés et surtout très en colère. Le problème est que nous n’avons aucune visibilité ni information précise sur l’évolution du dispositif. Ces artisans et entre­preneurs ont tous investi dans la formation de leurs compagnons et dans du matériel, ont obtenu des labels et des certifications. Et du jour au lendemain, on leur dit vos marchés sont stoppés, attendez un peu et on verra ce que l’on vous propose… Mais comment gérer et piloter son entreprise dans ces conditions ? Dans un contexte de difficultés pour le logement neuf, la rénovation constituait le dernier segment de marché épargné. C’est désormais fini. Le bâtiment risque de s’enfoncer dans une crise profonde. Cette suspension met 100 000 salariés en danger ainsi que plusieurs milliers d’artisans. C’est une catastrophe ! »

- Et par rapport aux enjeux de réduction de la consommation énergétique des logements, pensez-vous que cela a du sens ?

- P.S. : « Absolument pas ! MaPrimeRéniov’ joue un rôle clé dans la lutte contre les passoires thermiques, qui sont encore au nombre de 5,2 millions de résidences principales en France. Il faut plutôt encourager la rénovation énergétique des logements. Le bâtiment représente 40% de la consommation énergétique nationale. C’est un véritable enjeu qui nécessite plus d’attention du gouvernement. » 

- Quelles sont vos demandes ?

- P.S. : « À court terme, notre fédération demande au gouvernement de revenir sur le gel appliqué aux travaux par gestes et de garantir que la réouverture des dépôts de demande de prime pour les rénovations d’ampleur interviendra dès début septembre. Si nous ne sommes pas entendus, nous n’excluons pas une large mobilisation. Nos artisans et entrepreneurs n’acceptent pas cette décision. Le gouvernement doit aussi mettre les moyens nécessaires pour assurer le traitement des dossiers mais aussi lutter contre les fraudes que nous dénonçons depuis plusieurs années. Plus globalement, il faut assurer une stabilité et une meilleure lisibilité du dispositif MaPrimeRénov’. C’est la quin­zième modification depuis le lancement officiel en 2020. Avouez qu’il devient difficile de s’y retrouver. Le budget consacré à MaPrimeRénov’ doit être stabilisé sur plusieurs années afin d’éviter les à-coups que nous connaissons chaque année lors du vote du budget. Notre fé­dération reste mobilisée pour défendre les intérêts des artisans et entrepreneurs du bâtiment face à cette situation. »

Le SDI : « Cela va aggraver la crise »

Le Syndicat des indépendants (SDI) réagit également à cette annonce, alors que le secteur du bâtiment « traverse une crise sans précédent à la faveur d’un alourdissement de la fiscalité attachée à la détention ou à la vente d’un bien immobilier, de la fin des dispositifs d’incitation fiscale et d’un renforcement des normes environnementales. » Selon le SDI, une véritable hémorragie frappe tout le secteur de la construction, en particulier le second oeuvre qui a vu 8307 entreprises mettre la clé sous la porte en 2024 dans le pays (+21% par rapport à 2023). 1555 ont suivi au premier trimestre 2025. Pour Marc Sanchez, secrétaire général du SDI « la suspension voire l’annulation de MaPrimeRénov’ est un signal particulièrement négatif qui conduira nécessairement à aggraver le contexte de crise profonde vécue par les petites entreprises du bâtiment à savoir les plus investies sur le marché de la rénovation énergétique. Le SDI dénonce la vision économique absurde d’un gouvernement aux abois. Les quelques centaines de milliers d’euros d’économie espérée seront très largement compensés par la perte des ressources fiscales et sociales de milliers d’entreprises en liquidation judiciaire ou encore la prise en charge des indemnités d’autant de salariés au chômage. À la lumière de cette logique mortifère pour nos entreprises, le SDI se prépare à battre pied à pied dans le cadre du Projet de loi de finances 2026. »

Sylvain Gruelles : « La rénovation énergétique levier d’avenir ! »

Sylvain Gruelles est un entrepreneur visionnaire dans le secteur de la réno­vation et de l’agencement. À la tête de plusieurs entreprises spécialisées dans la réhabilitation de bâtiments, il met son expertise au service de la transition énergétique. Voici son approche de ce sujet d’actualité au moment où est évo­quée la suspension de MaPrimeRénov’.

À un moment où l’État cherche à rationa­liser ses dépenses en préparant un plan d’austérité pour 2026 avec des coupes budgétaires de 40 à 50 milliards d’euros, Sylvain Gruelles met en lumière une problématique essentielle pour l’avenir du pays : la rénovation énergétique. À l’évidence, la ré­duction des investissements dans ce secteur stratégique pourrait avoir des conséquences dramatiques pour l’environnement, l’économie et la société : « La crise budgétaire actuelle ne doit pas se traduire par un abandon de la rénovation énergétique, bien au contraire. Le bâtiment peut et doit être un levier pour stimuler la transition énergétique et soutenir l’économie locale » affirme Sylvain Gruelles, à la tête de plusieurs entreprises spécialisées dans la rénovation et la valorisation du patrimoine. « La rénovation énergétique est une urgence qui ne doit pas être sacrifiée » dit-il encore.

« Une opportunité de transformation »

La France compte encore 5,8 millions de logements énergivores, dont la majorité appartient à des ménages modestes. Ces bâtiments représentent non seulement une énorme quantité d’énergie gaspillée, mais aussi un fardeau financier pour les foyers qui vivent dans des conditions précaires.

Pour Sylvain Gruelles, cette situation constitue une véritable oppor­tunité de transformation, si des investissements sont maintenus pour la réhabilitation des bâtiments vieillissants. « Rénover ces logements n’est pas une dépense, c’est un investissement à long terme. Chaque projet de rénovation énergétique crée de l’emploi, réduit la consom­mation d’énergie et améliore la qualité de vie des Français » dit-il.

Il en vient à proposer des solutions concrètes pour répondre aux enjeux posés par le budget 2026 tout en restant fidèle aux objectifs écologiques :

• 1° Cofinancement public-privé : Le secteur privé, notamment les entreprises de rénovation et les acteurs locaux, doit être impliqué dans le financement de projets de grande envergure pour la transition énergétique.

• 2° Incitations fiscales renforcées : Selon Sylvain Gruelles il est impératif de maintenir les incitations fiscales pour encourager les propriétaires à rénover leurs bâtiments, particulièrement dans les zones rurales et les quartiers populaires, où l’impact de la rénovation sera maximal.

• 3° Création d’emplois locaux : Investir dans la rénovation énergé­tique permettrait de générer de nombreux emplois locaux, tout en améliorant l’attractivité des territoires. Le secteur de la rénovation est un véritable moteur pour l’économie verte, créant des perspectives pour les artisans et les jeunes travailleurs du bâtiment.

• 4° Valorisation du patrimoine immobilier : Sylvain Gruelles souligne également l’importance de valoriser les bâtiments anciens tout en respectant les exigences écologiques. En rénovant plutôt qu’en dé­truisant, on préserve le patrimoine architectural tout en réduisant l’empreinte carbone.

Une vision à long terme

Dans le cadre de ses engagements professionnels, Sylvain Gruelles mène plusieurs initiatives visant à promouvoir une rénovation respon­sable et durable. Il plaide pour une vision à long terme, où les choix de rénovation ne sont pas uniquement basés sur des considérations budgétaires immédiates, mais aussi sur des bénéfices écologiques et sociaux. « La rénovation est la clé de la transition énergétique. Si nous l’abordions comme un investissement plutôt qu’une dépense, nous pouvons bâtir une France plus verte, plus durable et plus inclusive. Il est temps de penser à long terme. »

Un point de vue que devraient partager sans difficultés les fédérations patronales du bâtiment.

Bernard KRATZ