« Les chefs d’entreprise du BTP, nos adhérents sont ressortis complètement boostés par la tonalité et l’ambiance de cette assemblée générale. » Samuel Lorin, délégué général du BTP de Moselle, résume à sa façon cette assemblée générale du 2 octobre, qui s’est tenue dans les locaux du Stade Saint-Symphorien en présence de deux invités de marque Julien Le Bras, le patron de l’entreprise de Jarny qui a grandement participé à la réhabilitation de Notre-Dame de Paris, et Philippe Dessertine, économiste chevronné, venu éclairer les entrepreneurs sur la conjoncture actuelle. Comme l’an passé, cette AG a pris l’allure d’un événement. D’abord parce qu’elle a drainé une foule dense d’entrepreneurs du bâtiment, près de 600 personnes ce qui est un record, venus littéralement se ressourcer à ce grand rassemblement. Ils en avaient bien besoin, semble-t-il, vu le climat ambiant des affaires qui n’a pas de quoi les enchanter.
Un propos clair et percutant
Mais heureusement à cette soirée ponctuée de débats, la table ronde des élus dont Cédric Gouth le conseiller régional, Jean-Luc Saccani, le conseiller départemental, François Grosdidier le maire de Metz et Julien Freyburger, président de la communauté de communes Rives de Moselle, les avait déjà un peu rassurés. De fait, nos élus ont pris soin de ne pas cultiver la sinistrose, laissant entendre que par-delà les prochaines élections municipales, ils ne se priveraient pas au sein de leur collectivité, d’engager des financements au sein de leur budget d’investissement dédiés au BTP.
Mais c’est surtout le préfet de Moselle, Pascal Bolot, que la plupart ont véritablement découvert ce soir-là, qui a fait forte impression. Dans un propos clair et percutant, très direct, il a fort bien su cadrer la situation actuelle, incitant nos entrepreneurs à garder confiance en l’avenir, dans leur entreprise. De quoi provoquer presque une ovation de toute la salle. C’était bien parti pour lancer cette soirée avec les interventions attendues de Julien Le Bras, qui a fort bien témoigné du travail mené par son entreprise à Notre-Dame, et Philippe Dessertine pouvait alors enrichir l’assemblée de ses analyses très pointues sur la situation économique du pays aujourd’hui. Ne restait plus qu’à Pierre Schaeffer, le président du BTP de Moselle, à égrener les nombreuses attentes du monde du BTP. Et il l’a bien fait, lui qui est engagé dans son dernier mandat à la tête des entreprises du bâtiment.
Équilibriste
Il a du reste joliment commencé son propos par un numéro… d’équilibriste. « Équilibriste ! Voici le nouveau métier des artisans et entrepreneurs du bâtiment. » Il l’a fort bien justifié : « Depuis plus d’une année, nous sommes confrontés à une instabilité politique et économique, tant au niveau de notre pays qu’au niveau mondial. Cette situation impacte notre activité mais aussi notre moral de dirigeant. » À l’évidence le fait de naviguer « entre les mesures prises en contradiction totale avec les propositions de notre fédération, celles qui sont suspendues presque immédiatement après leur entrée en vigueur ou les autres qui doivent être revues à un horizon indéterminé », il y a de quoi perturber les entrepreneurs. Sa réponse : « Il est nécessaire pour nous d’agir. Mais il faut le faire avec discernement, selon une trajectoire de moyen terme » dit-il. Et par ordre.
Le logement neuf
Il décline les étapes de son argumentation à partir de constats clairs. Le marché du logement neuf qui représente plus du quart de l’activité du secteur « peine à sortir de l’ornière. » Certes les crédits distribués progressent et les permis de construire accordés connaissent désormais une croissance : « C’est encourageant, mais largement insuffisant. » Il peut certes se satisfaire car « malgré l’adoption tardive du budget 2025, notre fédération a réussi à décrocher des avancées majeures en faveur du logement neuf. » Il s’agit notamment du rétablissement d’un PTZ (prêt à taux zéro) ouvert à tout le territoire et à tous les types de logements, individuels ou collectifs, jusqu’à fin 2027. Au niveau du logement social, l’allègement du rabotage de la réduction de loyer de solidarité permet de réattribuer 200 M€ aux opérateurs HLM pour investir. Mais pas de quoi redynamiser l’activité du secteur.
25% de moins en Moselle
En Moselle, on en était à une production de 5 700 logements neufs par an en 2022, les mises en chantier se limitent aujourd’hui à 4200 unités par an, soit 25% de moins. « Le logement est un bien comme un autre. Il répond à l’un des besoins principaux de nous tous : avoir un toit au-dessus de la tête » rappelle Pierre Schaeffer. Au passage, il rectifie quelques idées reçues. Le logement ne bénéficie pas de trop d’aides : 43 milliards sont consacrées annuellement aux dépenses publiques destinées au logement, dont plus de la moitié sous forme d’aides personnelles ou sociales. En parallèle, les recettes fiscales du secteur s’élèvent à 96 milliards d’euros. « En réalité, ce sont plus de 50 milliards qui reviennent au budget de la nation. » Il attend avec la fédération des mesures « en faveur de l’investissement locatif après la fin du Pinel. Une véritable politique du logement neuf ne peut s’envisager sans les bailleurs privés. »
MaPrimeRenov’ : 15 réformes en 5 ans
« La rénovation énergétique continue d’être malmenée » dit le président. Il revient sur le feuilleton de MaPrimeRenov’, son gel provisoire au prétexte de fraude sur les aides. « Une décision qui a créé une onde de choc. » La réaction des fédérations du bâtiment a été cinglante au point de faire fléchir le gouvernement qui a limité ce gel aux rénovations globales, les plus énergivores avec des barèmes sérieusement diminués. Pour les rénovations par geste, les chaudières biomasse et les travaux d’isolation des murs seront exclus à partir de 2026. « C’est incompréhensible. Il faut retrouver une politique de décarbonation des bâtiments et d’adaptation au changement climatique ! » s’insurge le président du BTP de Moselle. Il ne comprend pas ces mesures : « MaPrimeRenov’ a connu 15 réformes depuis sa création en 2020 ! » En attendant, la fédération et ses adhérents « continuent de se mobiliser contre les écodélinquants qui sévissent sur le marché de la rénovation et ternissent l’image de notre profession. Un fléau que doivent combattre les pouvoirs publics. » Mais selon la fédération du BTP 57 « cette lutte contre la concurrence déloyale nécessite aussi de revoir le statut de la micro-entreprise. Un statut qui a offert un cadre légal à ceux qui ne déclarent qu’une partie de leur activité. » En outre, le secteur du bâtiment continue de défendre l’idée d’une TVA réduite pour le bâtiment à hauteur de 25 000 euros. Elle est pour l’instant repoussée à 2026.
Le non-résidentiel : -30%
Ce secteur connaît un recul de 30% des surfaces mises en chantier. Pour ce qui est de la commande publique, Pierre Schaeffer peut enfin un peu sourire : « nos entreprises ont bénéficié d’un certain dynamisme car des projets se sont concrétisés à l’approche des élections municipales. » Et ça profite au bâtiment et aux travaux publics. La fédération invite les élus « à conserver cette trajectoire en 2026. » Il affirme tout de même que « la réduction du déficit est la priorité que nous partageons tous. Mais elle ne saurait se faire sur l’investissement public qui prépare l’avenir et accompagne le développement des territoires. »
Le fiasco de la REP
Le monde du bâtiment s’interroge aussi sur la construction et l’urbanisme. Il a des propositions à formuler sur l’application du « Zéro Artificialisation Nette » des sols qui reste un point crucial à solutionner. En matière d’environnement, la fédération est convaincue de la nécessité de préserver les ressources naturelles et les matières premières et a accueilli positivement la mise en place de la REP Bâtiment, la responsabilité élargie du producteur, en 2023. « En s’acquittant d’une écocontribution à l’achat des produits et matériaux, nos entreprises financent en amont la collecte, le traitement et le recyclage des déchets de chantier. En théorie c’est séduisant, en pratique sa mise en place a tourné au fiasco le plus complet. Nous demandons une révision du dispositif de gestion des déchets. » La ministre démissionnaire Agnès Pannier-Runacher a entendu les entreprises et annoncé un moratoire sur le sujet. « Et il y a urgence à rebâtir un dispositif réaliste et opérationnel ! » La FFB (fédération française du bâtiment) a engagé un recours contentieux contre l’État pour le contraindre à agir en veillant à une reprise sans frais des déchets par éco-organismes.
Le recrutement reste difficile
Enfin en matière d’emploi, c’est devenu récurrent, mais le recrutement de personnel reste une difficulté majeure pour les artisans et entrepreneurs du BTP. Chaque année 1000 embauches ont lieu en Moselle. « Et c’est considérable » dit le président. La voie privilégiée pour rejoindre les métiers du BTP reste l’apprentissage. Les deux CFA de Montigny-lès-Metz et de Sarreguemines, lequel va étendre ses locaux, continuent sur cette bonne dynamique. « La demande des entreprises progresse malgré les incertitudes pour notre avenir. » Pierre Schaeffer peut se féliciter de voir la progression des inscriptions dans les CFA de plus de 10%, ce qui laisse espérer un effectif total de 1100 apprentis. Et l’offre de formation suit. Elle s’étoffe avec cinq ouvertures de diplômes en y intégrant les nouvelles technologies. Ces CFA se modernisent avec l’intégration des énergies renouvelables : 650 000 euros sont investis pour le seul renouvellement de machines et d’outillages. Il remercie la Région pour son aide et affirme haut et fort que « le CFA BTP de Moselle se positionne comme un acteur clé de la formation professionnelle, au service des jeunes, des entreprises et des territoires. »
De la stabilité
Pierre Schaeffer a une ambition claire : « former des professionnels compétents, fiers de leurs métiers et capables de relever les défis d’un secteur en constante évolution. » Mais pour qu’elle se réalise, le monde du bâtiment a un besoin vital « de stabilité : c’est le vœu le plus fort de tous les artisans et entrepreneurs du BTP. Sans cela il sera impossible de retrouver la visibilité et la confiance qui font actuellement défaut. Nous attendons des signaux rapidement. Mesdames et Messieurs les élus et responsables locaux, faites confiance aux solutions que nous proposons. » À l’évidence, l’économie, le bâtiment va quand la confiance règne !