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Jean-Louis Kiehl, président de la Fédération Crésus

« Le désendettement n’enfonce pas la personne, il la protège »

La fédération CRÉSUS, elle-même née d’une initiative alsacienne datant de 1992, a fêté son vingtième anniversaire en 2024. Son combat : accompagner les personnes en difficulté financière et prévenir le surendettement. Les personnes qui s’adressent à elle n’ont jamais été aussi nombreuses. Rencontre avec son président.

Jean-Louis Kiehl, président de la Fédération CRÉSUS

Où en est la situation du surendettement, en France ?

Jean-Louis Kiehl : L’augmentation du nombre de dossiers de surendet­tement en France a été de l’ordre de 12% en 2024. Mais cela ne compte pas les centaines de milliers de personnes qui devraient déposer des dossiers et avoir recours à nos services, et qui ne le font pas parce qu’elles n’osent pas le faire. Il est donc urgent de développer des outils efficaces pour aider ces personnes de plus en plus nombreuses : des outils digitaux qui permettent de dresser un bilan financier personnel en quelques minutes.

Qui sont les personnes surendettées ?

J.-L. K. : Ce sont surtout les travailleurs pauvres, les personnes en instance de divorce, les seniors. Mais aussi de plus en plus, les classes moyennes : elles sont confrontées à la dureté du monde du travail, à l’inflation, elles aident leurs aïeux, elles financent les études de leurs enfants qui ne disposent d’aucune bourse… et elles ne reçoivent pas – ou très peu – d’aides sociales. Elles sont souvent dans une situa­tion fragile. Le revenu moyen des personnes que nous aidons via la plateforme de la Fédération CRÉSUS est de 2 700 € : ce ne sont pas forcément des gens pauvres, mais ce sont des gens qui ont un crédit immobilier à rembourser, des crédits à la consommation…

« La personne qui venait en larmes repart courageuse »

Très concrètement comment agissez-vous face à une personne surendettée ?

J.-L. K. : La personne prend rendez-vous dans une de nos antennes. Elle nous explique sa situation personnelle : avant même de parler d’argent, nous lui demandons d’exposer ses soucis personnels, fami­liaux, professionnels. Ensuite nous construisons un budget : ressources, charges et reste à vivre… qui bien souvent est négatif. Nous montons alors un dossier de désendettement, qui va protéger la personne et non pas l’enfoncer, la Banque de France monte un échéancier que nous aidons la personne à tenir… et la personne, qui venait en larmes, repart courageuse.

Vous parlez souvent d’inclusion financière. De quoi s’agit-il ?

J.-L. K. : Il s’agit de permettre à chaque citoyen, en fonction de ses moyens, de pouvoir utiliser les produits bancaires et assuranciels adaptés à sa situation. Certains publics n’arrivent plus à payer leur complémentaire santé : nous avons mis en place avec AXA une com­plémentaire santé solidaire. Nous avons aussi créé des dispositifs de microcrédits, qui permettent, par exemple, de financer l’achat d’une voiture pour une personne au RSA et en emploi intérimaire, qui doit se déplacer d’une ville à l’autre… et qui s’est heurtée au refus d’une banque classique. Avec les banques, nous avons également imaginé, pour leurs clients les plus fragiles, une carte de paiement avec un minimum d’outils financiers et un plafonnement des frais bancaires : c’est ça l’inclusion financière.

Innovations digitales

Vous faites beaucoup de curatif. Mais qu’en est-il de la prévention ?

J.-L. K. : Les gens viennent très tard chez nous. C’est pourquoi, en 2008, nous avons créé la Fondation CRÉSUS. Avec un objectif : faire de la prévention. Notre action se déroule autour de trois axes d’intervention. D’abord, nous avons mis en place une plateforme basée à Strasbourg, où une banque, un employeur, une institution publique ou privée, où qu’elle soit en France, y compris en outre-mer, se trouvant face à une personne en difficulté financière, peut nous saisir. Ainsi nous pouvons accompagner la personne à distance, sans qu’elle ait besoin de se déplacer. Cela permet de détecter beaucoup plus tôt les personnes en difficulté. Sur cette plateforme, nous avons accompagné soixante-dix-huit-mille ménages. Nous avons recruté des banquiers que nous avons formé à l’action sociale. Nous pouvons intervenir auprès des organismes créanciers pour qu’ils transforment les crédits renouve­lables en un crédit amortissable avec des taux d’intérêt beaucoup plus bas. Nous aidons les personnes à supprimer les dépenses inutiles. Ensuite, nous avons créé un programme d’éducation financière : c’est un jeu de plateau qui s’appelle Dilemme. Chaque année, cela nous permet de former 350 000 jeunes à la gestion de leur budget personnel. Nous allons dans les écoles, les CFA, les missions locales, les sorties de prison…

Et le troisième axe d’intervention ?

J.-L. K. : Enfin nous avons créé un laboratoire qui travaille sur les inno­vations digitales. Sur ce troisième axe, nous avons déjà trois initiatives à notre actif : BGV – Budget Grande Vitesse –, grâce auquel tout un chacun peut disposer, en toute sécurité, d’une vision de son budget ; un autre dispositif permet à une personne de vérifier si elle a droit par exemple à la prime pour l’emploi, c’est une façon d’éviter le non recours aux différentes aides sociales ; et enfin un troisième outil envoie des alertes lorsqu’il y a risque de dérapage du budget avant que le rejet bancaire n’intervienne. Aujourd’hui, grâce à une IA développée par nos soins à Strasbourg, et que nous avons appelée Phenix, à partir des trois derniers relevés bancaires d’une personne, nous sommes en mesure de la conseiller sur la gestion de ses finances. Bien sûr, tout ce qui est développé par la Fédération est au service des associations sur le terrain, qui, elles, font plutôt du curatif.

L’Éducation nationale joue-t-elle suffisamment son rôle en matière d’éducation budgétaire des enfants ?

J.-L. K. : Les Français entretiennent un vrai tabou avec l’argent. Nous avons peur de parler d’argent. On aime l’argent mais on n’aime pas en parler. Certaines tentatives louables ont lieu avec l’Éducation nationale. Mais il conviendrait de structurer une réelle formation des jeunes à la gestion de leur budget futur.

Pour les entrepreneurs aussi

Vous avez beaucoup travaillé sur la législation des crédits à la consommation. Où en est-on aujourd’hui ?

J.-L. K. : Une première directive européenne votée, il y a déjà quelques années, a permis de réguler le crédit renouvelable en réduisant no­tamment les taux d’intérêt souvent astronomiques pratiqués par les organismes prêteurs. Une deuxième directive européenne a été votée l’année dernière et est en cours de transposition en France : elle traite de la problématique du paiement fractionné, afin qu’il soit vraiment considéré comme un crédit et donc pris en compte dans les règles de vérification de solvabilité de l’emprunteur.

Intervenez-vous également en faveur des entrepreneurs en difficulté ?

J.-L. K. : L’Ordre National des Médecins, la Confédération des Buralistes nous transfèrent les dossiers de leurs ressortissants rencontrant des difficultés financières. Et nous faisons le même travail qu’avec les ménages : nous étudions le modèle économique de l’entreprise et, quand nous le pouvons, nous intervenons auprès des créanciers. Nous parvenons à sauver près de 40% des entrepreneurs qui nous sont adressés. Les entrepreneurs ne peuvent pas s’adresser directement à nous. Nous recherchons d’autres organismes professionnels qui puissent nous signaler ces entrepreneurs en difficulté.

La « petite » association alsacienne, qui aide les Français à se désendetter

L’association SOS Surendettement a été créée il y a 34 ans, à la Montagne Verte, à Strasbourg. « Au début des années 1990, alors que les procédures de surendettement explosaient, il devenait urgent d’aider les personnes qui en étaient victimes, raconte aujourd’hui Jean-Louis Kiehl. À l’époque de très nombreux frontaliers alsaciens et mosellans perdaient leur travail en Allemagne et ne pouvaient plus faire face à leurs crédits immobiliers. Nous avions donc déposé des délais de grâce, qui permettaient aux personnes de suspendre le prêt pendant deux ans, de retrouver du boulot et de ne pas subir la déchéance du terme et le risque de saisie de leurs biens. »

Face à la multiplication des cas de surendettement, l’association initialement créée pour une durée de deux ans, est devenue la Chambre Régionale du Surendettement Social : CRÉSUS. Acronyme qui tombe pile poil, mais qui est le « pur fruit du hasard », insiste le président de la Fédération CRÉSUS. Petit à petit, le modèle alsacien a essaimé d’abord dans l’Est, puis en région parisienne et dorénavant dans toute la France. Aujourd’hui, la Fédération CRÉSUS réunit vingt-sept associations locales, qui comptent deux cent-vingt points d’accueil : leurs cinq cents bénévoles accompagnent chaque année vingt-trois mille nouveaux ménages en difficulté.

La Fédération CRÉSUS est aidée par de nombreuses fondations, elles-mêmes hébergées par la Fondation de France.

Jean de Miscault