Un contexte inquiet et une promotion immobilière en retrait
Olivier Kinder, Président de la FPI du Grand Est, a commencé par souligner un paradoxe : bien que la baisse de l’inflation et des taux de crédit, ainsi qu’une croissance meilleure que prévue, apportent un vent d’optimisme pour les ménages, le contexte politique et international global demeure anxiogène.
Pour la profession, les indicateurs sont peu rassurants. Entre janvier et octobre 2025, on a enregistré 701 mises en vente, soit plus du double par rapport à 2024, mais une baisse de 27% par rapport à 2023. De même, le taux de retrait d’opérations immobilières — des projets mis de côté par les promoteurs — est tombé à 16% au 2ème trimestre 2025. Un chiffre en amélioration, mais à nuancer : au 4ème trimestre 2024, près de 30% des opérations avaient été stoppées.
Le décalage inquiétant entre offre et demande
Bien que ces chiffres pour l’Eurométropole puissent paraître positifs, ils masquent une inquiétude profonde. Seules 532 réservations ont été comptabilisées sur les dix premiers mois de 2025, contre 608 en 2024 et 729 en 2023.
Avec environ 600 réservations attendues en fin d’année, on est très loin des 3000 logements prévus dans le PLUI. Or, selon M. Kinder, ce seuil de 3000 est déjà insuffisant ; il faudrait en réalité au moins 4000 logements neufs par an pour faire face à la demande.
Le problème est donc double. La durée d’écoulement du stock est de plus de 22 mois sur le secteur de l’Eurométropole. Et un retrait certain des promoteurs. En effet, Olivier Kinder a souligné un changement radical sur l’acquisition de terrains : « Un fait très important... c’est qu’on n’est plus tellement en concurrence sur les fonciers. Donc j’ai un terrain qui m’intéresse, je suis tout seul, des fois à deux. Il y a encore deux ans, on était à cinq ou six promoteurs à se battre sur un terrain, voire plus. »
Malgré cette désertion des promoteurs, le prix du foncier et, par conséquent, celui du neuf ne baisse pas. Le prix au mètre carré dans le neuf continuera même d’augmenter en raison du coût du foncier et de la multiplication des normes. Sur le secteur strasbourgeois, le prix atteint les 5000 €/m², soit +4% par rapport à 2024.
Avec la fin du dispositif Pinel, les investisseurs particuliers ont quasiment disparu, et les ventes aux propriétaires occupants sont loin de compenser ce vide.
Hausse modérée des prix dans l’ancien
Maître Catherine Berthol, Présidente de la Chambre des Notaires du Bas-Rhin, insiste sur la nécessité d’une politique du logement efficace et rapide, car l’intégralité de la chaîne professionnelle est touchée par la tension du marché.
Dans l’ancien, les prix médians au mètre carré varient de 1810 € (Hautepierre) à 4930 € (quartier Mairie), marquant une faible hausse de +1,3% depuis début 2025. Bien que le volume d’actes progresse de près de 7% par rapport à 2024, la conjoncture est comparable à celle de 2019, loin des pics de 2022/2023.
De plus, l’augmentation des droits de mutation en mai 2025 n’a pas aidé à redynamiser un marché déjà morose. Maître Berthol a rappelé que la création d’un statut du bailleur privé était déjà une demande formulée lors du 119ème Congrès des Notaires en 2023.
Le secteur du bâtiment en grande difficulté
Frank Maire, Président Pôle Habitat FFB 67, a rappelé que depuis septembre 2022, la production de logements neufs a fortement chuté. Le besoin estimé est de 420 000 logements par an pour les 10 prochaines années. Et le nombre de logements mis en chantier en 2024 et 2025 ne sera que de 260 000 par an. Ceci représente déjà un déficit cumulé de 320 000 logements en seulement deux ans (2024/2025).
Sur cette période, l’activité du bâtiment a reculé de 9,5% en volume au niveau national, une baisse similaire en Alsace. Cela se traduit par une perte estimée de 70 000 à 75 000 emplois dans l’ensemble du secteur de la construction sur trois ans. Il plaide lui aussi pour une politique du logement ambitieuse et pérenne, citant l’Allemagne en exemple, pour que le bailleur privé soit enfin traité comme un acteur économique à part entière.
Tensions sur le marché locatif
Frédéric Bernhard, Co-président de la FNAIM 67, a mis en lumière les chiffres alarmants du locatif. L’offre de logements a diminué de près de 32% depuis fin 2021. Parallèlement, la demande a augmenté de 45%.
Cette tension se ressent bien entendu sur Strasbourg : « lorsqu’on a une petite surface à louer sur Strasbourg, l’offre est diffusée non pas en jours, mais ça se compte en heures. Et au bout de quelques heures, on peut se retrouver avec 50 dossiers de candidature… »
Cette pénurie s’explique par la fin du Pinel dans le neuf, et dans l’ancien, par les nouvelles interdictions de louer (logements classés G interdits depuis janvier 2025, classe F à partir de 2028). Les classes F et G représentent 18% du parc locatif. Enfin, le coup de frein donné à MaPrimeRenov’ freine l’effort de rénovation nécessaire.
Un levier pour la relance : le statut du bailleur privé
Pour l’ensemble de ces professionnels, l’instauration d’un statut du bailleur privé* pérenne et protecteur est la solution pour relancer l’intégralité du marché immobilier.
Frank Maire rappelle que ce statut, préconisé par le rapport Cosson-Daubresse (juin 2025), propose un amortissement fiscal annuel incitatif et aligne l’abattement des locations nues sur celui des locations meublées, rendant ainsi l’investissement locatif attractif à nouveau.
Voici le détail de la proposition pour ce statut :
- Amortissement forfaitaire : 5 %/an pour le neuf et 4 %/an pour l’ancien (avec 15 % de travaux).
- Relèvement du plafond du micro-foncier à 30 000 € avec un abattement de 50 %.
- Imputation des déficits fonciers portée à 40 000 € par an (contre 10 700 € actuellement).
- Exclusion des locations longue durée de l’assiette de l’IFI (Impôt sur la Fortune Immobilière).
- Exonération totale des plus-values immobilières ramenée à 20 ans (au lieu de 22-30 ans).
Les quatre organisations soulignent que ce statut est soutenu par l’ensemble des forces politiques. Il est crucial, cependant, qu’il soit voté en l’état, sans être édulcoré, afin de garantir son efficacité pour relancer l’ensemble du marché.
* Note de la rédaction : vendredi 14 novembre, les députés ont effectivement approuvé la création d’un statut du bailleur privé. Les modalités exactes du dispositif seront connues après son passage en commissions et au Sénat.