Avec les beaux jours, il semble que les touristes soient de retour en Alsace. Quelle est la situation des entreprises de l’hôtellerie, de la restauration et des débits de boisson dans le Bas-Rhin ?
Véronique Siegel : Dans l’hôtellerie, l’activité revient clairement en force depuis le début du printemps. La clientèle française et européenne est de retour. Les Américains reviennent. En revanche nous accueillons encore très peu d’Asiatiques. L’Alsace a effectivement fait le plein lors du week-end de l’Ascension. A Pâques le taux de remplissage des hôtels de l’Eurométropole était de 93 %. Les gens ont besoin de sortir et de quitter leurs maisons qu’ils ont trop vues pendant deux ans. Nous constatons également un léger rallongement de la durée des séjours : nous passons de 1,2 à 1,7 jour.
Faites-vous le même constat sur le tourisme d’affaires ?
V. S. : Sur le Parlement Européen, le retour de la première vraie session en présentiel date seulement du mois de mai, nous avons donc encore peu de retour. Idem pour le Conseil de l’Europe.
La clientèle d’affaires a beaucoup changé ses modes de fonctionnement : pour les grosses convention ou congrès, il faudra attendre près de deux ans, compte tenu des délais d’organisation.
En revanche nous nous attendons à voir disparaitre les allers-retours à la journée, dont le nombre avait de toute façon déjà beaucoup diminué depuis l’arrivée du TGV. Donc, pour l’instant les taux de remplissage en semaine, sur la partie « affaires », sont quelque peu en retrait.2
Quelle est la situation dans la restauration et les débits de boisson ?
Jacques Chomentowski : Même durant la période COVID, quand nous étions ouverts, nous avons plutôt bien travaillé. Pour la reprise après COVID, la clientèle locale est toujours au rendez-vous et en plus les touristes reviennent. Globalement, l’activité est très bonne.
80 % des entreprises ont souscrit un PGE
Quel est le bilan des deux années de COVID en matière de disparitions d’entreprises ?
V. S. : Au moins 80 % des hôtels ont souscrit un Prêt Garanti par l’État (PGE). Les premières échéances de remboursement tombent maintenant. Le montant du prêt octroyé pouvait représenter jusqu’à 25 % du chiffre d’affaires annuel à rembourser sur quatre ans. Certains ont complété avec des « PGE saison », des prêts rebonds… Si cela s’ajoute à des dettes historiques, cela risque d’être compliqué pour un certain nombre d’entreprises, d’autant plus que les marges se réduisent très sérieusement à cause de la hausse du prix des matières premières et de l’énergie.
J. C. : La situation est très disparate d’un établissement à l’autre, d’un secteur géographique à l’autre. Certains ont même déjà remboursé ou commencé à rembourser. Pour ceux qui étaient en bonne santé avant la COVID, il n’y aura pas de souci. En revanche ceux qui étaient précédemment en mauvaise santé risquent de disparaitre ou d’être rachetés. Je tiens à insister sur un point : l’État a fait ce qu’il fallait pour qu’il y ait le moins de casse possible.
L’après COVID a fait apparaître de nombreuses difficultés de recrutement dans vos métiers. Que faites-vous pour y remédier ?
V. S. : Ces difficultés ne sont pas nouvelles. Et d’autres corps de métiers que les nôtres sont impactés. Ce sujet nous préoccupe depuis fort longtemps : déjà en 1995 j’avais été chargé par la branche professionnelle de rédiger un plan emploi pour revaloriser les métiers. Les raisons ne sont pas nouvelles : nos métiers sont formidables mais ils connaissent deux inconvénients. Nous travaillons en horaires décalés, comme un actif sur trois en France. Et, dans l’esprit de trop nombreuses personnes, nos métiers seraient encore réservés aux personnes en échec. C’est pourquoi nous ne cessons de nous battre pour faire reconnaitre les compétences de nos métiers qui donnent aussi accès à un vrai ascenseur social. Nous payons aussi les frais du décrochage par rapport au sens du travail. Cela change la donne pour bon nombre d’entreprises : quand vous ne trouvez pas de collaborateurs et que vous ne pouvez plus ouvrir que quatre jours par semaine, cela impacte forcément votre business plan.
J. C. : Les minima de la grille salariale ont été réévalués de 16 % en janvier et nous rémunérons bien souvent nos collaborateurs bien au-dessus. Cela permet de limiter le nombre de professionnels voyous, mais cela ne résout pas nos difficultés à trouver des collaborateurs.
Conditions de travail
Une négociation est en cours sur les conditions de travail, notamment sur la fameuse coupure de la journée. Qu’en attendez-vous ?
J. C. : Personnellement, j’estime que cette négociation sur les conditions de travail devrait se passer entre les patrons et leurs employés. Il n’existe pas deux affaires qui fonctionnent de la même manière : certaines peuvent ne pas faire de coupure, d’autres donneront quatre jours de travail consécutifs et trois jours de congés consécutifs… Selon que vous êtes à la campagne ou en ville, selon qu’il s’agit d’un bar de nuit ou d’un bar de jour, c’est à chaque entreprise de gérer au mieux ses conditions de travail si elle veut conserver ses collaborateurs ou en recruter de nouveaux. Ce n’est pas la peine d’en rajouter dans le code du travail déjà bien assez épais comme ça.
Êtes-vous impactés par les tensions inflationnistes ?
V. S. : Dans l’hôtellerie, nous sommes surtout concernés par la hausse du prix de l’énergie : c’est monstrueux. Nos marges sont rognées. Cela affecte forcément nos capacités d’investissement ou notre niveau de service.
J. C. : Clairement, je pense que dans la restauration et les débits de boisson, ne pas augmenter les prix est une erreur. On ne peut pas augmenter les salaires de nos collaborateurs, subir une inflation de nos matières premières de 5 à 20 %... sans augmenter nos prix. Personnellement, c’est ce que je fais.
On constate de plus en plus de conflits d’usage entre vos métiers, le développement du tourisme et l’aspiration au calme des riverains de vos établissements. Comment y remédier ?
J. C. : Nous travaillons sur cette question depuis maintenant vingt ans. Strasbourg a même été une des premières villes à mettre en place une commission réunissant professionnels, riverains et représentants de la Ville. Les nuisances sonores sont rarement dues à nos terrasses mais à des incivilités. Notre intérêt, c’est que tout le monde s’entende. À Strasbourg, j’estime qu’il existe entre 15 000 et 20 000 places de terrasses, très majoritairement fréquentées par les Strasbourgeois eux-mêmes. Or nous enregistrons à peine quelques dizaines de plaintes. Les terrasses représentent un service pour la vie de nos concitoyens, elles sont adoubées ; cela ne veut pas dire qu’il faut laisser les propriétaires faire n’importe quoi. Nous n’avons jamais défendu les professionnels qui ne respectent pas la loi.