Interview Paru le 09 décembre 2022
MAÎTRE LOMBARDI, PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE DES NOTAIRES DE LA MOSELLE

Le notaire est le magistrat de l’amiable

Me André Lombardi est le nouveau président de la Chambre des notaires de la Moselle. Il succède à Me Catherine Grandidier-Majercsik. Dans une interview aux Affiches d’Alsace-Lorraine, il se présente et évoque l’actualité de la profession qui vient de tenir son congrès à Marseille.

Me André LOMBARDI

- Pourrait-on connaître votre parcours ?

- André Lombardi : « Je suis natif de la région, issu d’une famille modeste. J’ai eu la chance de pouvoir faire mes études à la faculté de droit à Metz. Après mon année de maîtrise, j’ai fait mon service militaire. Je voulais devenir notaire. En conséquence, j’ai fait mon cursus au Centre de Formation des Notaires à Strasbourg parallèlement à mon stage dans une étude notariale messine. Après l’obtention du diplôme de notaire, j’ai passé et réussi le concours professionnel de droit local. J’ai postulé en 1992 à l’étude notariale de VIGY où j’ai exercé mes fonctions jusqu’en janvier 1999, date à laquelle j’ai été nommé notaire à la résidence de METZ.

- Comment se porte le notariat en Moselle ? En termes d’effectif notamment ?

- A.L. : « Nous constatons une augmentation des effectifs de la Moselle. En effet, nous comptons actuellement : 135 notaires en exercice dont 93 notaires titulaires et 42 notaires salariés exerçant au sein des 59 offices de la compagnie. Ces offices se répartissent de la manière suivante : 31 offices exploités sous forme de sociétés et 28 offices exploités sous forme individuelle.

Nos études comptent environ 550 collaborateurs. Cette dynamique est due au nombre toujours croissant d’accueil de notaires titulaires et de notaires salariés au sein de nos offices. En effet, depuis 2020, la loi a changé et a permis aux diplômés notaires, sans être titulaire du concours professionnel de droit local, d’être nommés notaires salariés au sein de nos études. Ils ont les mêmes compétences qu’un notaire titulaire, mais ils sont salariés. Nous avons actuellement trois études vacantes et 6 notaires suppléants dont le rôle est d’assurer la gestion de l’étude dans l’attente de la nomination d’un nouveau notaire. »

- Les notaires salariés ne sont-ils pas le plus souvent d’anciens clercs de notaires ?

- A.L. : « Non, le plus souvent ce sont des diplômés notaires qui n’ont pas réussi ou présenté le concours professionnel de droit local.

Dans de rares cas, cela peut-être un clerc habilité pendant une durée continue de 15 ans au sein de la même étude, qui a fait valider ses acquis de l’expérience et réussi un examen à cet effet. C’est plutôt rare mais la profession a voulu encourager des clercs compétents, qui avaient une longue expérience dans le notariat, qui de par la réforme avaient perdu leur habilitation à recevoir de la clientèle. »

« C’est devenu un métier complexe »

- Vous n’avez pas de difficulté de recrutement de collaborateurs ?

- A.L. : « Le problème n’est pas tant dans le recrutement, que dans la formation et la compétence. En effet, la profession de notaire est devenue tellement complexe, sur le plan technique et juridique, qu’il faut parfaire la formation des futurs collaborateurs, une fois accueillis dans nos études. Assurément dans cette profession, il faut un minimum de bagage juridique pour pouvoir débuter dans un poste de collaborateur.

- La profession de notaire est-elle suffisamment attractive ?

- A.L. : Les instituts de formation du Notariat forment suffisamment de futurs notaires chaque année. Notaire est une belle profession, et le notariat jouit d’une excellente image vis-à-vis du public. Les clients nous font confiance. Le notaire assure l’équilibre et la sécurité des contrats qu’il reçoit. Cependant la durée des études, à savoir un master 2 de droit notarial en 5 années plus 3 années de formation professionnelle soit 8 ans au total peuvent en décourager plus d’un !

Et cela demande beaucoup de travail.

« Le notariat se féminise »

- Quelle est la moyenne d’âge chez les notaires aujourd’hui ? Est-ce que la profession se féminise ?

- A.L. : « En Moselle, sur les 135 notaires, la moyenne d’âge avoisine les 50 ans. Oui clairement notre profession se féminise, au plan national, les femmes notaires représentent environ 51% des effectifs. En Moselle on recense 50 femmes titulaires d’offices, soit 58,29% et 29 femmes notaires salariés soit 69,25%. »

- Et qu’en est-il du personnel employé dans les études ?

- A.L. : « Nous avons 550 collaborateurs en Moselle. Nous sommes créateurs d’emploi. En Alsace-Moselle, nous représentons plus de 5% du notariat national en termes d’effectifs. »

- La loi Croissance ne concerne toujours pas la Moselle ?

- A.L. : « Effectivement cette loi, dans sa rédaction actuelle, n’est toujours pas applicable en Alsace-Moselle en raison de la spécificité de notre droit local alsacien-mosellan.

Ces deux spécificités sont :

- L’absence de droit de présentation, autrement dit l’absence de patrimonialité des offices dans nos trois départements

La loi sur l’organisation du notariat, dans nos trois départements, n’a pas réintroduit les dispositions de droit général relatives à la cession à titre onéreux des offices de notaires.

- La seconde spécificité concerne l’existence d’un concours de droit local, concours professionnel spécifique dans nos trois départements.

Ce statut est d’une grande efficacité et donne entière satisfaction. Il n’a jamais été remis en cause. Bien plus, ce principe de non-patrimonialité est applicable dans tous les pays de l’Union Européenne et dans nos trois départements, à l’exception de la Belgique et de la « Vieille France ». D’ailleurs le Conseil d’État a suspendu depuis, dans nos trois départements, l’application de la loi Croissance en ce qui concerne la création d’études en Alsace-Moselle et la nomination des notaires par tirage au sort.

« Nous tenons à notre système »

- Est-ce qu’il y a des pressions des instances pour faire passer l’application de cet arrêté en Alsace-Moselle ?

- A.L. : « On perçoit une volonté forte de l’Autorité de la Concurrence de voir s’appliquer la loi Croissance également dans nos trois départements. Nous ne sommes pas opposés à la loi Croissance mais nous souhaitons que les règles d’accès à la profession et les modalités d’exercices soient modifiées afin de respecter les spécificités de notre statut de droit local. Nous tenons à ce système. En effet la gratuité des études permet à tout candidat notaire de pouvoir postuler à une étude existante, vacante.

- Que reprochez-vous au système de la vénalité des charges ?

- A.L. : « En Alsace-Moselle, l’attribution des études repose sur la réussite, après l’obtention du diplôme de notaire, à un concours professionnel de droit local contrairement à ce qui existe en « Vieille France » où la vénalité des charges s’applique. Notre système repose sur la gratuité des offices.

- Vous allez résister longtemps ?

- A.L. : « Les notaires d’Alsace-Moselle sont attachés au principe de la gratuité des offices et s’emploient à maintenir ce système. De plus, ce système est appliqué partout en Europe sauf en Belgique et en « Vieille France ». La France est le seul pays d’Europe où les notaires sont aussi nombreux, nous sommes 17 132 notaires. Le maillage territorial est très bien assuré. La profession emploie environ 67 540 collaborateurs dans le pays, et le nombre d’actes reçus par an s’élève à 5,8 millions d’actes. Le notariat collecte pour le compte de l’État les droits d’enregistrement, TVA.

« Une érosion de l’activité fin 2022 »

- Un mot sur l’activité du notariat cette année ?

- A.L. : « Après une période de crise sanitaire qui a paralysé l’activité économique, le nombre de transactions immobilières est reparti à la hausse. La demande par la clientèle de biens immobiliers appartements ou maisons a fortement augmenté, entraînant mécaniquement une hausse des prix de vente accentuée par les taux d’intérêts bas. Jusqu’en septembre 2022, l’activité est restée soutenue. Depuis, nous constatons un fléchissement du nombre des transactions et une stagnation des prix de vente accentuée par la remontée des taux d’intérêt et par le nombre de dossiers de financement refusés par les banques.

- 2023 sera compliquée dans l’immobilier ?

- A.L. : « On peut le craindre. En effet, la conjugaison de divers facteurs va certainement réduire le nombre de transactions immobilières. Dans le neuf, les difficultés d’approvisionnement en matériaux et l’augmentation de leur coût entraînent un ralentissement du démarrage des travaux. Si bien que certains promoteurs renoncent à leurs projets pourtant déjà commercialisés, ne pouvant maintenir les prix annoncés dans les contrats de réservation. De plus, nous constatons une baisse du nombre de permis de construire délivrés. La réglementation thermique RT 2020 entraîne également une augmentation du coût de la construction compte tenu des nouvelles normes d’isolation thermique et de dépenses énergétiques à respecter.

Dans l’ancien, l’entrée en vigueur progressive de la loi Climat et Résilience va entraîner une diminution du nombre de biens disponibles à la vente et à la location, sur le marché, répondant aux normes énergétiques. Ces nouvelles normes contraignent les propriétaires soit à faire des travaux de remise aux normes pour pouvoir vendre ou louer leur bien, soit à vendre à un prix inférieur, en cas d’impossibilité de réaliser lesdits travaux de remise aux normes. »

- Il y aura quand même encore les primo-accédants ?

- A.L. : « On reviendra certainement à un nombre moyen de transactions correspondant à la moyenne des années passées. »

- Qu’en est-il des prix sur le marché immobilier ?

- A.L. : « Corrélativement à la baisse du nombre de transactions et du nombre de dossiers de financement accordés par les banques, on peut craindre une stagnation voire une baisse des prix. »

- Et les autres actes ?

- A.L. : « Nous n’avons malheureusement pas encore de données chiffrées concernant le nombre de PACS, de mariages ou de divorces pour l’année 2022 mais nous constatons une augmentation de ce nombre depuis la fin de la crise sanitaire. »

- Après la crise du Covid n’avez-vous pas enregistré davantage de testaments ?

- A.L. : « La crise sanitaire et le contexte anxiogène actuel entraînent un nombre croissant de consultations au sein de nos offices, de clients pour organiser la protection de leur conjoint ou partenaire ainsi que la transmission de leur patrimoine à leurs proches.

- Et pour les divorces ?

- A.L. : Les notaires ont toujours traité des dossiers de divorce et notamment du partage de communauté. La déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel a entraîné un changement de la procédure. En conséquence, la convention de divorce établie par l’avocat est dorénavant enregistrée chez le notaire et non plus auprès du juge.

- En dehors des actes, faites-vous beaucoup de conseil ?

- A.L. : « Oui, notre rôle ne se limite pas à la rédaction des actes. Le conseil est un préalable indispensable à la rédaction des actes. Dans la grande majorité des cas, le conseil n’est pas facturé. Dans certains cas particulièrement complexes, le notaire peut être amené à proposer une convention d’honoraires préalable, au client.

- Lors de votre congrès national, il a été question de numérisation ?

- A.L. : « En droit local, depuis de nombreuses années déjà, la profession a oeuvré pour la numérisation du Livre Foncier d’Alsace-Moselle. Nous pouvons aujourd’hui consulter en direct depuis nos études, le Livre Foncier nous permettant de connaître instantanément l’identité du propriétaire du bien et l’ensemble des charges susceptibles de grever ledit bien, à savoir : identité du propriétaire, hypothèques, servitudes, etc. Le numérique fait déjà partie de la vie quotidienne de nos études avec notamment la signature électronique des actes notariés, les rendez-vous en visioconférence. La profession met en place une plateforme de suivi des dossiers en ligne et un questionnaire qualité afin d’évaluer le taux de satisfaction des clients. Notre répertoire officiel de nos actes fera l’objet également d’une numérisation. »

- Quels sont vos projets à la tête de la Chambre des notaires de Moselle ?

- A.L. : « Mon mandat sera axé notamment sur quatre chantiers prioritaires, à savoir : la numérisation, la communication interne et externe, la médiation, et la défense du statut alsacien-mosellan. »

- Dans le détail vous ferez quoi ?

- A.L. : « Comme indiqué précédemment, nous allons continuer à dématérialiser la production des actes afin de tendre au zéro papier. Ceci dit, le notariat est déjà bien avancé sur ce plan. À la Chambre des notaires, nous avons un délégué au numérique.

- Le passage à la signature électronique s’est passé sans problème ?

- A.L. : « Nous n’avons pas connu de problème particulier. Mais il est vrai que la crise sanitaire a accéléré le passage à la signature électronique et à la visioconférence. »

Un délégué à la communication

- Et pour la communication ?

- A.L. : « Je viens de nommer un délégué à la communication à la Chambre des notaires. Nous utilisons de nombreux vecteurs de communication comme le salon de l’immobilier, le salon du mariage pour aller à la rencontre du grand public. Nous organisons chaque année des évènements comme le prix Marianne. Nous étudions actuellement d’autres vecteurs de communication comme les réseaux sociaux. Nous avons également lancé des campagnes de communication sous forme de clips, ou de mini-séries. Nous publions régulièrement des articles juridiques dans les journaux locaux.

Le conseil supérieur du notariat a organisé les Trois jours de la famille, les 7, 8 et 9 décembre 2022. Un événement d’ampleur nationale pour aller à la rencontre des familles qui a été décliné au niveau local.

- Qu’avez-vous prévu pour la médiation ?

- A.L. : « C’est un chantier qui nous tient à coeur. En Alsace- Moselle nous sommes également précurseurs puisque des confrères alsaciens-mosellans ont suivi la formation de la médiation. On est en phase active de mise en place de la cellule de médiation dont le lieu est à la chambre. Cette cellule sera bientôt active et opérationnelle

- Concrètement comment s’engage la Chambre ?

- A.L. : « La Chambre s’est engagée dans la médiation dès 2016. Elle s’est associée aux départements alsaciens voisins. À cet effet il a été créé une association de droit local avec siège à Metz à la Chambre. Nous avons signé les statuts et dénommé cette cellule de médiation : le Centre de médiation des notaires des cours d’appel de Colmar et de Metz. Un bureau a été formé et un président, un vice-président, un trésorier et des membres du bureau ont été élus.

- Quel est l’intérêt de développer la médiation ?

- A.L. : « Les gens se demandent souvent ce qu’est la médiation par rapport à la conciliation. La médiation offre la possibilité d’apaiser un conflit, en permettant à chacun de s’expliquer, d’exprimer ses ressentis, et d’écouter pour essayer de comprendre la position de l’une ou l’autre des parties, afin de participer à la restauration du dialogue et la préservation des relations futures. Le médiateur aide à trouver la meilleure solution acceptable pour les différentes parties. À la différence de la conciliation, il ne propose pas lui-même une solution pour régler le différend. Le médiateur n’est pas interventionniste, son travail consiste à conduire les parties vers la solution qui viendra d’eux. Pour la conciliation, c’est le conciliateur qui propose la solution. »

- Pourquoi êtes-vous précurseur en Alsace-Moselle ?

- A.L. : « Chaque profession organise la médiation. En tant que notaire, nous nous devions de mettre en place un centre de médiation au sein de nos instances. Le notariat d’une manière générale met en place la médiation au sein de ses instances. La médiation fait partie intégrante de l’activité notariale, nous avons toujours pratiqué la médiation dans la mesure où le notaire est un magistrat de l’amiable. Cette pratique permet aux clients de renouer le dialogue et de proposer une solution qui vient d’eux-mêmes sans avoir recours aux Tribunaux.

- Le dernier axe c’est la défense du statut ?

- A.L. : « En effet nous tenons à préserver les particularités du statut de notaire alsacien-mosellan ainsi que le livre foncier, le partage judiciaire et la procédure d’exécution forcée qui présentent de nombreux avantages en termes de rapidité et de fiabilité. Nous avons même proposé d’étendre notre système de partage judiciaire à la « Vieille France ». Suite à un divorce ou à une succession, et en cas de mésentente, les parties déposent une requête au Tribunal Judiciaire et le magistrat nomme un notaire qui convoque les parties afin de trouver une solution amiable. Cette procédure judiciaire permet au notariat alsacien-mosellan de régler de nombreux conflits. »

- Que dites-vous de la défense des arbres pour laquelle milite Me Hartenstein ?

- A.L. : « La Chambre des notaires de la Moselle s’est engagée dans cette démarche et soutient bien volontiers Me Hartenstein dans cette initiative. Le but est de créer un statut juridique protecteur de l’arbre. Dans le cadre des transactions, le but est de signaler dans le contrat, l’existence d’arbres remarquables et d’amener les parties à s’engager à les préserver et à les entretenir, ce qui participe à la protection de la nature dans le cadre d’une démarche écologique.

Des propositions pour simplifier le droit

- Quelles sont ces 15 propositions pour simplifier le droit, évoquées lors du congrès de Marseille ?

- A.L. : « Le notariat est une force de proposition pour simplifier le droit en matière de droit de la famille, de l’immobilier, en droit des affaires, le droit fiscal. L’objectif est d’améliorer le service rendu aux usagers. Le notariat a notamment proposé de simplifier le formalisme du testament notarié, autoriser l’adoption simple de l’enfant majeur du conjoint et de l’étendre au partenaire pacsé, par acte notarié. Nous avons également proposé de simplifier la procédure de transformation de bureaux en logements.

- Que dites-vous de la consultation prénuptiale gratuite ?

- A.L. : « Il s’agit d’une initiative du notariat qui propose aux clients de les recevoir en amont, dans le cadre d’une consultation pour un projet de mariage, achat, etc. Le but est de collecter un maximum d’informations et de documents utiles pour bien préparer le dossier.

Le toilettage du code de déontologie

- Qu’en est-il de votre code de déontologie ?

- A.L. : « La réforme de la discipline et de la déontologie voulue par le notariat en partenariat avec la Chancellerie est entrée en vigueur le 1er juillet dernier. Elle vise à améliorer le traitement des réclamations afin d’améliorer le service rendu aux clients. Notre code de déontologie a été remanié et réactualisé puisqu’il reposait sur des règles datant de 1945, lesquelles n’étaient plus adaptées à notre droit et à la société actuelle. Il est actuellement en phase d’approbation par la Chancellerie et les pouvoirs publics. La profession évolue constamment et se modernise, elle est en phase avec l’évolution du droit et de la société. Dans une société qui s’accélère constamment et dans laquelle le client attend une réactivité sans faille, le notariat a su s’adapter tout en préservant la sécurité juridique et l’équilibre des contrats qu’il reçoit dans le cadre de sa mission de service public. »

Propos recueillis par Bernard KRATZ et Frédéric CHALAYE