Interview Paru le 06 janvier 2023
CHRISTOPHE BERGHAUS

Président de la Délégation Lorraine de Routes de France

Il succède à Nicolas Vallone. Christophe Berghaus vient d’être élu président de Routes de France Délégation Lorraine. Dans une interview aux Affiches d’Alsace et de Lorraine, il parle des métiers de la route et des entreprises de l’industrie routière en Lorraine.

Christophe Berghaus le nouveau président de Routes de France Délégation Lorraine.

Le conseil d’administration de la Délégation Lorraine de Routes de France réuni fin novembre à Montenach, a élu Christophe Berghaus à la présidence du syndicat d’entreprises de l’industrie routière. Il succède à Nicolas Vallone. Tous deux ont le point commun d’appartenir à la même entreprise, Eurovia. Le nouvel élu a du reste rendu hommage à son prédécesseur en réaffirmant sa « volonté de maintenir un syndicat actif et représentatif de la profession où tous devront oeuvrer ensemble. »

Ingénieur diplômé de l’École des mines de Douai, ce Forbachois de 51 ans a fait toute sa carrière au sein d’Eurovia Alsace Lorraine. Il a été embauché en 1994 comme ingénieur des travaux, puis chef de secteur en 2000 au sein de l’agence Eurovia de Forbach (le groupe s’appelait Cochery Bourdin Chaussé jusqu’en 1997). En 2003 il est nommé chef d’agence de Yutz et en 2012 à la tête de l’agence de Ludres.

Routes de France en Lorraine réunit 37 entreprises qui représentent 3000 emplois. La Délégation mobilise également les membres partenaires de la construction des infrastructures routières : carriers, fournisseurs de matériaux, entreprises de signalisation, loueurs de matériels. Dans son propos de nouveau président, il a évoqué « les chantiers communs qui sont encore nombreux, notamment le recrutement et l’attrait des métiers pour lesquels beaucoup a déjà été fait, mais où visiblement nous allons devoir être plus imaginatifs. La transition écologique est un autre axe stratégique dans lequel nous devons investir davantage ensemble. »

« Tout chantier est une nouvelle aventure »

- Vous avez fait toute votre carrière dans la même entreprise ?

- Christophe Berghaus : « Précisément chez Eurovia, dont je suis chef d’agence. Avec Nicolas Vallone, lui aussi chez Eurovia Alsace Lorraine, nos chemins se sont croisés à Forbach où j’étais moi-même conducteur de travaux puis chef de secteur au moment où lui était chef d’agence, dans les années quatre-vingt-dix. J’ai quitté Forbach en 2003 pour prendre l’agence de Yutz avant de rejoindre en 2012 Ludres. »

- Quelle est la vocation de Routes de France ?

- Ch. B. : « Avant de s’appeler Routes de France notre groupement s’appelait le SPRIRE, syndicat professionnel régional de l’industrie routière. Routes de France parle davantage au public. Ce syndicat regroupe toutes les entreprises qui tournent autour de la route, comme les Eurovia, Colas ou des PME qui construisent. Mais on a aussi parmi nos adhérents des gens qui fournissent, comme les carriers, des vendeurs de bitume… »

« La route est un organe vivant »

- Comment se portent ces entreprises ?

- Ch. B. : « Nous avons 37 sociétés adhérentes qui représentent 3000 emplois directs et autant d’indirects chez les sous-traitants, soit en fait près de 6000 emplois. Notre activité aujourd’hui est stable. Notre chiffre d’affaires ne baisse pas, même si on ne construit malheureusement plus beaucoup de routes, à l’exemple de l’A 31 bis qui a du mal à voir le jour. On est surtout sur l’entretien, la rénovation de nos infrastructures. Et c’est un travail perpétuel. Une route est un organe vivant. Il faut être à son chevet en permanence. Le moindre trou dans une route doit être rebouché, sinon elle se détériore et ça coûte beaucoup plus cher de la rénover. On milite beaucoup au sein de notre syndicat pour que les maîtres d’ouvrage entretiennent régulièrement leurs ouvrages. »

- Et ces donneurs d’ordre vous donnent-ils suffisamment de travail ?

- Ch. B. : « Cette année on progresse en chiffre d’affaires de 5%. Et les donneurs d’ordre publics y ont une grosse part d’environ 65%. En revanche, on a une inflation sous-jacente dans nos prix de 10%, cela signifie qu’en termes de volumes, nous sommes en baisse cette année. On dira que les volumes stagnent et nous craignons qu’en 2023, ils continuent de stagner voire de baisser. De fait, nos donneurs d’ordre ont les mêmes problèmes que nous, à savoir la hausse des coûts de l’énergie. Ils sont donc contraints de faire des arbitrages qui se font souvent dans les dépenses extérieures dans l’investissement. La route devient dès lors une variable d’ajustement. »

- Quel message leur adressez-vous ?

- Ch. B. : « Notre syndicat doit en effet leur faire comprendre de ne pas faire passer la route au second plan, et qu’il est primordial d’y consacrer un investissement minimum. Les retours que nous avons sont plutôt positifs. Les donneurs d’ordre publics s’appliquent à conserver les mêmes montants. Mais à l’évidence, ces montants ne signifient pas les mêmes volumes de travaux. »

« Un niveau d’investissement honorable »

- Et qu’en est-il en Moselle ?

- Ch. B. : « Mais globalement la Moselle se comporte bien. Elle a maintenu un niveau d’investissement honorable, malgré les augmentations de coût que le Département doit enregistrer. »

- Est-ce que vos entreprises répercutent la hausse des coûts ?

- Ch. B. : « Nous avons la particularité d’avoir toute une partie de nos chantiers publics qui disposent de systèmes de révision avec des indices, auxquels on n’a pas trop prêté attention lorsque l’inflation était très faible. Mais aujourd’hui c’est plus prégnant. L’Insee a fait évoluer cet indice en prenant en compte le gaz. Malgré tout, les maîtres d’ouvrage n’ont pas forcément tous les bonnes formules de révision. Notre combat est qu’ils adoptent les bons indices. C’était un problème : nous avions des indices qui n’étaient pas à la hauteur de l’augmentation de nos coûts. Et c’est encore plus compliqué dans les chantiers privés, quand ils ont été contractés en 2019, 2020 ou 2021, avant la flambée des coûts. Il est très compliqué de revenir vers un maître d’ouvrage privé comme un lotisseur. »

- Vos entreprises ont-elles bien surmonté la crise sanitaire ?

- Ch. B. : « Oui. On a bien été aidés avec le système d’activité partielle, avec l’application d’un protocole de protection sanitaire dans le BTP qui nous a permis de redémarrer très vite, dès fin avril 2020. Nous avons également été bien aidés par de nombreux maîtres d’ouvrage qui ont pris en compte les surcoûts générés par notre protocole. Sans compter la période de post-covid, qui a été celle d’une forte reprise. Elle s’est ressentie dans nos métiers. Elle est aujourd’hui malheureusement freinée par la hausse des coûts de l’énergie et des matériaux. »

« Il y a de nouveaux challenges »

- Est-ce que vous regrettez l’absence d’investissements dans de nouvelles routes ou autoroutes ?

- Ch. B. : « On peut le regretter, mais nous sommes des entreprises agiles. On a compris qu’il y avait des nouveaux marchés comme la désimperméabilisation. Il s’agit de mettre un peu plus « de vert », de capacité d’infiltration pour les eaux. Il y a de nouveaux challenges et des créneaux de croissance, sans forcément construire de nouvelles autoroutes. »

- Votre croissance passe-t-elle par davantage de développement durable ?

- Ch. B. : « Tout à fait. C’est lié au développement durable, aux mobilités douces. Les mobilités ont changé. Les pistes cyclables se développent, les trams dans les villes, la désimperméabilisation dans les cours d’école, sur les places où l’on implante des îlots de fraîcheur. Cela passe aussi par ces process intégrés à la route qui permettent de produire de l’énergie. Certaines marques ont développé ces systèmes qui permettent de produire de la chaleur avec la route. On utilise les surfaces de la route, on y met des serpentins comme dans un chauffage au sol, dans une maison. Avec ces serpentins on peut récupérer de la chaleur quand il y a du soleil et on la stocke pour la renvoyer vers un réseau de chauffage. On peut ainsi imaginer de le faire sur un parking à proximité d’une piscine pour la chauffer. »

« L’enrobé de 2022 n’est plus le même qu’il y a quelques décennies »

- Y-a-t-il de l’innovation dans vos métiers, dans vos produits ?

- Ch. B. : « Il y a beaucoup d’innovations. Si l’on considère les produits, on pense aux enrobés. Un enrobé de 2022 n’est plus du tout l’enrobé d’il y a quelques décennies. Aujourd’hui on a un fort taux de recyclage. Sur l’autoroute A 10 on a fait des planches d’enrobés sur plusieurs kilomètres avec 100% de recyclés. Plus localement nos installations industrielles comportent jusqu’à 70% d’enrobés recyclés. On déconstruit la route en la rabotant, les fraisats issus des rabotages sont réincorporés dans nos usines d’enrobés. »

- On conçoit des enrobés de plus en plus performants ?

- Ch. B. : « Justement. On a plusieurs types d’enrobés. Dans une démarche de développement durable, on joue sur la température des enrobés. On arrive à les tiédir, en y ajoutant des additifs pour les chauffer moins. On peut avoir des enrobés à 130° qui ont les mêmes performances mécaniques que d’autres à 160°. On s’est aussi lancé dans des enrobés esthétiques, avec des couleurs. Enfin on a remis au goût du jour des enrobés qui permettent l’infiltration de l’eau. Il faut de plus en plus garder l’eau. Aujourd’hui on conçoit de plus en plus des chaussées avec des enrobés drainants. Je peux vous citer un exemple Eurovia : la piste cyclable de la rue Jeanne d’Arc de Nancy est faite en enrobé drainant de couleur, avec en dessous, la structure dans un matériau ouvert qui permet de stocker en sous couche granulaire, l’eau, pour qu’elle puisse s’infiltrer tranquillement. »

- À quand du bitume d’origine non pétrolière ?

- Ch. B. : « On a des labos de recherche performants, mais pour l’instant on n’y est pas encore. On va tendre vers cet objectif. Déjà avec l’apport de fraisats on peut économiser jusqu’à 50% de bitume, puisqu’on récupère également le bitume présent dans ce fraisat. C’est une véritable économie de la ressource. »

« Nos métiers ont complètement changé »

- Est-ce que vous avez des problèmes de recrutement dans vos métiers ?

- Ch. B. : « C’est un de nos fers de lance. Comme dans beaucoup de professions, on a de grandes difficultés de recrutement, malgré de nombreuses campagnes de communication. Nous faisons des opérations de visites de nos chantiers, de présentation de nos entreprises dans les collèges, les lycées. On redynamise le stage des élèves de 3e. La fédération a proposé des parcours alternatifs, en faisant le tour de nos métiers dans plusieurs entreprises. C’est fait sous l’impulsion de la FRTP (ndlr : fédération régionale des travaux publics de Lorraine). Ainsi des élèves de 3e d’un collège de Metz, grâce au CFA de Montigny-lès-Metz, ont pu voir tous les jours un autre chantier. »

- Est-ce que vos métiers manquent d’attractivité ?

- Ch. B. : « On a peut-être un manque d’attractivité en raison d’une image erronée. Aujourd’hui nos métiers sont complètement différents. Nos chefs de chantier sont équipés de tablettes, on a sur les mêmes chantiers des cannes GPS, nos engins ont des guidages 3D. On creuse des trous près des réseaux avec des aspiratrices excavatrices. Notre métier a complètement changé. On reste certes à l’extérieur, c’est son charme. Tout chantier est une nouvelle aventure, et c’est à chaque fois un autre lieu, et c’est une autre expérience. »

- Est-ce que vous recrutez tous les ans ?

- Ch. B. : « On voit encore des jeunes très intéressants venir vers nos métiers. On recrute bon an mal an quelque 300 personnes, des emplois directs, en raison de la pyramide des âges, et les départs à la retraite plus nombreux. La profession est très impliquée dans les CFA. Et elle recrute à tous les niveaux de formation, du sans diplôme à l’ingénieur. Et l’apprentissage est une bonne porte d’entrée pour démarrer. »

Propos recueillis par Bernard KRATZ