Interview Paru le 07 avril 2023
BENOÎT HARTENSTEIN, PRÉSIDENT DE LA VOIX DE L’ARBRE

Un engagement «enraciné»

Benoît Hartenstein est un fervent défenseur de l’arbre, de son écosystème, au sein de l’association dont il est président, « La Voix de l’arbre », créée en 2017. Également notaire à Metzervisse, en Moselle, il fait partie d’un groupe de juristes français qui souhaite faire évoluer le statut juridique de ce végétal si important, emblématique des dangers qui pèsent sur notre environnement. Nous l’avons rencontré à l’occasion du 4ème anniversaire de la déclaration des droits de l’arbre, le 5 avril dernier et de la Journée nationale de l’arbre qui aura lieu le 28 avril.

« Mon père était menuisier, mon grand-père menuisier, mon arrière-grand-père bûcheron, mon arrière-arrière-grand-père fabricant de tonneaux. Tous savaient ce que signifiait respecter le bois, un arbre, une forêt. Ils savaient prélever ce qui était juste, sans excès, pour la pérennité de leur activité et du milieu naturel qui les entourait. Je pense qu’ils seraient tous abasourdis par ce que nous infligeons à notre planète, par le réchauffement climatique. Surtout par le comportement de prédateur de certaines entreprises forestières, pour parler du sujet qui me préoccupe. Les coupes à blanc que pratiquent certains en sont un bien triste exemple. C’est pour mes aïeux, mais aussi pour mes enfants, les générations futures que je suis devenu un militant de la cause de l’arbre. Nous pouvons continuer à prélever ces végétaux, mais de façon judicieuse et raisonnée. C’est tout l’enjeu des années, des décennies futures. » Dans le sang de Benoît Hartenstein coule la sève du passionné, engagé dans le combat écologique depuis plusieurs années. Un engagement qu’il déploie à deux niveaux. À travers l’association mosellane « La voix de l’arbre », qu’il a créée en 2017, suite à sa prise de conscience de l’état de dégradation des milieux naturels, de l’emprise humaine toujours plus forte. Son engagement fait surtout suite au visionnage d’un film, « L’intelligence des arbres », où interviennent Peter Wohllenben (1) et l’écologiste forestière Suzanne Simard (voir encadré), film qui a été pour lui un électrochoc.

Son militantisme se traduit aussi par son adhésion à un groupe de juristes à l’échelon national dont l’objectif est de faire évoluer le statut juridique de l’arbre, afin que les propriétaires n’en soient pas uniquement propriétaires justement, mais aussi responsables. « Il y a beaucoup de flou autour du statut de l’arbre. Les lois se sont empilées depuis le code Napoléon, et il est compliqué de s’y retrouver. Il faut savoir qu’à cette époque, dans les campagnes, l’arbre était considéré comme un ennemi, vu comme un apporteur de maladies par ses racines, faisant de l’ombre aux cultures, occupant trop d’espace. C’est depuis un bien immeuble, pas mieux considéré qu’un simple poteau électrique ! Hors code forestier, qui est très spécifique, avec ce groupe de juristes, nous avons réexaminé les codes civil, de l’urbanisme, du patrimoine, de l’environnement, pour retrouver tous les textes concernés. Avec pour objectif de faire des propositions de loi concrètes. L’an prochain, le sujet sera d’ailleurs au centre des débats lors du congrès des notaires. »

En tant que notaire, Benoît Hartenstein voit d’ailleurs passer beaucoup de dossiers de donations, de transmissions et il regrette que l’arbre et surtout ses bienfaits ne soient pas mieux pris en compte. Même si les choses avancent. Depuis 2019, « La Déclaration des Droits de l’Arbre » a été adoptées symboliquement par plusieurs communes, grâce à l’association A.R.B.R.E.S., dont Benoît Hartenstein est le correspondant en Moselle. Autre avancée, il est désormais possible d’établir des actes concrets de protection des arbres en limite de propriété ou encore à l’occasion de transferts de propriétés de bien immobiliers (cf. Les Affiches du 25 novembre 2022, pages 14 à 16).

Un climatiseur naturel

Car l’arbre est un organisme fabuleux, de par son fonctionnement, capable de subvenir à ses besoins par le seul phénomène de la photosynthèse. Une réaction chimique incroyablement efficace qui permet la synthèse de matière organique, notamment des sucres, à partir de l’eau puisée dans le sol par les racines et du dioxyde de carbone (CO2), capté dans l’air par les feuilles. Cette réaction produit de l’oxygène rejeté dans l’atmosphère. L’énergie nécessaire à cette transformation est fournie par la lumière du soleil. « Ce que les humains ne savent pas faire, obligés d’avoir recours à des aliments pour vivre», souligne Benoît Hartenstein. L’arbre est surtout un pourvoyeur d’ombre, de fraicheur, grâce à son imposant feuillage, jouant le rôle de climatiseur dans nos villes bétonnées et surchauffées l’été. Entre autres qualités, il capte le CO2, les particules fines nocives. Ses racines sont capables d’épurer les sols des polluants, d’absorber les nitrates. Il est aussi au centre de tout un écosystème, abritant oiseaux, chauves-souris, insectes, champignons sur ses racines. Mais quand il est maltraité, il peut se rebeller. « Le cas des infestations de chenilles processionnaires en est un exemple concret. Celles-ci prolifèrent en raison du réchauffement climatique et de la diminution des populations de mésanges, leurs prédateurs naturels. Couper les arbres pour se protéger des chenilles est une solution radicale mais dommageable pour l’environnement, quand on sait qu’en septembre, généralement, la pullulation est stoppée. Supprimer le ‘fauteur de trouble’ est un raisonnement à court terme qui ne résout rien, et surtout la perturbation de la chaine du vivant due au réchauffement climatique n’est pas solutionnée, regrette-t-il. Le problème des scolytes est également édifiant sur ce même sujet. »

Un autre sujet désole ce militant de la cause forestière : « Pour ce qui est de compenser les abattages, mettre en place quantités de jeunes plants, c’est se donner bonne conscience. Car qui dit plantation, dit nécessairement arrosage. Un non-sens écologique dans le contexte de réchauffement climatique actuel. Il vaut mieux miser sur les individus actuels, les protéger pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, pour que leurs feuilles rendent tous les services attendus. Pour compenser vraiment, il faudrait planter des centaines de jeunes arbres pour remplacer un seul arbre mature. Il faut plutôt protéger ces derniers, respecter leurs besoins, ménager le sol pour préserver les racines, ne pas blesser les troncs, ne pas pratiquer de taille radicale, facteur de stress. À pratiquer seulement pour des questions de sécurité, lorsqu’un individu menace par des branches qui risquent de tomber par exemple. »

Un cours sur la protection juridique

Benoît Hartenstein, on l’aura compris, milite pour le temps long. Pas le temps court du profit que recherche malheureusement l’homme dans beaucoup de ses activités. Ou le politique dans l’exercice de son mandat. Le président d’association défend aussi un engagement concret, des actions de terrain, peut être à la portée limitée, mais efficaces. « Je me méfie des discours, des verbiages, précise-t-il. Il faut juger par les actes. Même si je ne verrai sans doute pas la portée de mon engagement, rien ne remplace le labour patient, même à l’échelle d’un modeste champ. »

Benoît Hartenstein intervient ainsi dans les lycées de la région en compagnie de scientifiques, pour montrer le film « L’intelligence des arbres ». Avec pour objectif de susciter le débat avec les jeunes et leur faire prendre conscience des dangers qui menacent Dame Nature. Autre engagement, il donne un cours depuis la rentrée de septembre 2022 auprès des étudiants de la Faculté de Droit, auprès de ceux qui sont dans le cursus « Diplôme Supérieur du Notariat ». « Un cours novateur, portant sur la protection juridique des arbres, en terrain privé, explique-t-il. Les futurs diplômés notaires y sont sensibilisés sur le rôle fondamental des arbres dans l’équilibre écologique de notre planète. Notamment pour souligner le décalage actuel entre la réalité biologique et notre Droit commun ».

« Le cartésianisme a fait beaucoup de mal, insiste-t-il, car il oppose la nature et l’être humain, avec l’idée qu’il fallait s’en protéger. Or nous sommes LA nature, nous sommes fondus dedans. C’est pourquoi, nos pratiques, nos comportements, surtout depuis l’industrialisation, la révolution énergétique, nous menacent en même temps que notre environnement. Mais hélas c’est un message encore difficile à faire passer. Certains pays l’ont déjà bien compris. En Inde, par exemple, tout est déjà fait pour favoriser l’intégration des arbres dans les projets de construction publics ou privés. Les routes sont déviées pour ne pas avoir à les abattre, les murs des maisons sont construits autour d’eux, pour les inclure et les conserver. Pour les Hindous en particulier, les arbres sont sacrés. Au-delà d’organismes vivants, les arbres sont considérés comme des êtres sensibles ayant même une conscience... En France, si nous sommes encore très loin de cette dévotion envers les arbres. Mais cessons enfin, de toute urgence, au XXIème siècle, d’être le meilleur ennemi de notre meilleur ami. »

(1) Forestier en Allemagne, Peter Wohlleben est l’auteur du best-seller « La Vie secrète des arbres ».

Punaises « punies »

Benoît Hartenstein rapporte une histoire curieuse, mais qui permet de comprendre l’incroyable capacité d’adaptation d’un écosystème forestier. Karel Slama est un scientifique américain qui travaille dans un laboratoire de physiologie des insectes, à New York. Il a étudié plus spécifiquement les punaises, ces insectes piqueurs-suceurs, dont certaines espèces aiment particulièrement « picorer » dans les troncs d’arbre. Il les élevait dans l’équivalent de grosses boîtes de pétri, tapissées au fond de papier journal. Or dans une des boîtes, les punaises dépérissaient. Le scientifique a donc recherché la raison de cette différence de comportement, alors que les conditions d’élevage (lumière, température, nourriture,…) semblaient identiques. Il a comparé les encres utilisées dans les différents journaux utilisés, le Herald Tribune, le New York Times,… encres qui se sont révélées identiques. Il a poussé plus loin ses recherches et a découvert que le papier qui servait à imprimer le New York Times, utilisé dans la boîte « à problème » provenait d’arbres d’une région précise des États-Unis. Ces arbres émettaient des substances pour lutter contre la prolifération de punaises qui les parasitaient. Substance qui s’est retrouvée dans le papier et qui a perturbé aussi le développement de la petite colonie d’insectes.

« L’intelligence des arbres », un documentaire édifiant

Un forestier en Allemagne, Peter Wohlleben, a observé que les arbres communiquent les uns avec les autres et prennent soin de leur entourage. Le film inspiré de ces observations, « L’intelligence des arbres », montre le travail minutieux et passionnant des scientifiques. Un travail nécessaire à la compréhension des interactions entre les arbres ainsi que les conséquences de cette découverte. En introduction, « Les trésors cachés des plantes » emmène à la découverte des facultés de certaines espèces végétales. Elles perçoivent et réagissent au son, à la lumière, à leur environnement. Entre science et spiritualité, les chercheurs dévoilent les secrets d’un monde si riche et varié. Le DVD du documentaire contribue également à la plantation d’arbres (1 DVD acheté = 1 arbre planté), grâce à l’action de l’association Reforest’Action, partenaire de l’éditeur, Jupiter Films.

Dominique PERONNE