Interview Paru le 28 avril 2023
JEAN-MARIE MIZZON, Président de l’Association des maires ruraux de la Moselle

« Être maire aujourd’hui, c’est un choix de vie ! »

Jean-Marie Mizzon, ancien maire de Basse-Ham dans le Thionvillois, et sénateur depuis 2017 a présidé en mars l’assemblée générale des maires ruraux de la Moselle. L’occasion d’évoquer les difficultés du monde rural déserté par les services publics, et le mal-être grandissant de certains élus face aux agressions verbales voire physiques dont ils font l’objet. Interview.

Le sénateur Jean-Marie Mizzon, président de l’association des maires ruraux de la Moselle

- Cette assemblée générale a réuni combien de maires ruraux ?

- Jean-Marie Mizzon : « Nous étions nombreux, près de 400 maires ruraux ont fait le déplacement. Le préfet Laurent Touvet était présent, tout comme Patrick Weiten, président du conseil départemental et une représentante du conseil régional du Grand Est. On parle de communes rurales en-dessous de 3500 habitants. Sur les 725 communes de Moselle, il y en a 670 qui ont moins de 3500 habitants. On en fédère un peu plus de 400. »

- Quels sont les principaux sujets qui tournent autour de la ruralité ?

- JM.M. : « Il y en a plusieurs. La question récurrente est bien celle des moyens octroyés aux communes rurales. Un sujet d’actualité alors que les communes sont en train de voter leur budget en avril. La DGF, la dotation globale de fonctionnement a été augmentée pour la première fois cette année, depuis 13 ans. Elle avait fortement baissé sous le quinquennat précédent. Elle vient à peine d’augmenter, et même pas du niveau de l’inflation. C’est moins pire que les autres années. Mais cette absence d’augmentation pendant des années a fait des dégâts dans les finances de nos communes rurales. »

« Il n’y a plus de marge de manœuvre fiscale »

- Et il n’y a plus de taxe d’habitation ?

- JM.M. : « La taxe d’habitation a été supprimée, mais l’État la compense. Il y a certes une perte car il n’y a plus de marge de manoeuvre fiscale, mais c’est compensé à l’euro près lorsque la suppression est intervenue. Il n’y a pas d’évolution. Une recette qui ne bouge pas, alors que l’inflation augmente, c’est un pouvoir d’achat qui diminue. À l’arrivée vous êtes perdants. Avec la taxe d’habitation, il y avait toujours une réévaluation des bases, du coup la recette augmentait quand bien même la commune n’augmentait pas ses taux. Aujourd’hui la compensation de la taxe d’habitation ne bouge plus. Cela coûte tout de même 25 milliards par an à l’État. Cela dit, la taxe d’habitation était entrée dans les moeurs. J’ai été maire pendant 28 ans, les gens ne sont jamais venus en mairie me voir pour dire que la taxe d’habitation n’est pas normale. Le gens consentaient à la payer partout. »

- Les communes rurales souffrent-elles du déficit de services publics ?

- JM.M. : « En matière de services publics, il y a la question qui domine : le réseau des finances publiques locales. L’État a supprimé progressivement, depuis une dizaine d’années, les perceptions. Il a tout recomposé, il y a de moins en moins de perceptions. Et vous avez moins accès à ces perceptions. Les maires en souffrent. Les informations, les renseignements que l’on pouvait obtenir des services fiscaux, ne sont plus contextualisés. Auparavant, le percepteur qui gérait les 20 communes de son secteur, connaissait ces communes et pouvait leur apporter les bonnes informations. Aujourd’hui, ça change tout le temps, les maires ne s’y retrouvent pas. C’est un des reproches forts des maires des petites communes à l’adresse des services fiscaux. »

« La fin des perceptions a été mal vécue par les maires »

- Est-ce que ça pénalise lourdement les communes ?

- JM.M. : « Tout à fait. Cela a été très mal vécu. En général ces perceptions on les trouvait dans les chefs-lieux de canton, parfois c’était encore plus proche. Pour les habitants de Basse-Ham, il faut aller à Hayange dans la vallée de la Fensch. Cette réorganisation a été faite avec le seul souci de l’économie, à partir d’un raisonnement exclusivement comptable. Du reste l’administration des finances est celle qui a fait le plus gros effort en matière de suppression de postes, dans le cadre de la politique de la RGPP (ndlr : révision générale des politiques publiques) qui a commencé sous le quinquennat de Sarkozy pour se prolonger ensuite avec celui du président Hollande.

- Est-ce que les maisons France Services permettent de compenser cette désertification des services publics en secteur rural ?

- JM.M. : « Oui, un peu. C’est un mieux, mais ça ne remplace pas. C’est bien vécu par ceux qui en accueillent, mais ça ne remplace pas la qualité du service que l’on pouvait avoir, notamment avec le réseau des finances publiques. France Services, ce sont un peu des guichets, qui reçoivent le public pour des renseignements ne relevant pas seulement des finances publiques, mais aussi de la Sécurité sociale, de la MSA (ndlr : sécurité sociale agricole) etc. Il y a au moins 9 partenaires pour qu’elle soit labellisée Maison France Services. Et ces guichets vous orientent vers d’autres services plus spécialisés, vers des personnes plus compétentes. Mais plus les territoires sont étendus, comme dans le Saulnois, plus vous avez des kilomètres à faire pour trouver un guichet de France Services. »

« Elles ne récupèrent plus la TVA… »

- Les maires ruraux sont-ils sensibles à ces questions ?

- JM.M. : « Pour revenir aux finances locales de nos petites communes, je voudrais citer cet exemple frappant. Les communes ont toujours récupéré la TVA sur les investissements qu’elles faisaient. Il y a deux ans, en 2021, l’État a modifié le fonds de compensation de la TVA, et introduit une donnée technique, l’automatisation du fonctionnement de la TVA. On s’est rendu compte l’année suivante, que l’État avait supprimé des opérations d’investissement qui étaient autrefois éligibles à la récupération de la TVA. C’est notamment le cas de tout ce qui concerne les travaux d’agencement et d’aménagement de terrains. Quand elle faisait un terrain de football, elle récupérait la TVA, sur le terrain de foot. Elle ne la récupère plus. Même chose quand elle faisait une piste cyclable, quand elle agrandissait un cimetière. Pour les communes concernées cela représente des pertes conséquentes. J’en connais une en Moselle qui a ainsi perdu presque 200 000 euros de TVA, qu’elle espérait retrouver. »

- Et où va cet argent ?

- JM.M. : « Cet argent va dans les caisses de l’État. Les communes sont lourdement pénalisées et les élus sont vent debout contre l’État. Je reçois régulièrement des courriers sur ce sujet. Et c’est paradoxal de constater que dans le même temps le gouvernement lance l’opération de 5000 équipements sportifs en zone rurale. On a demandé depuis que l’on subventionne une opération de ce type, qui n’est plus éligible à la TVA, qu’on le fasse, TVA comprise. Qu’on la subventionne sur le TTC. On attend toujours la réponse. »

- Les communes rurales ont aussi des problèmes de logements ?

- JM.M. : « On a évoqué ce sujet avec Mme Christelle Loria-Manck, présidente de l’association départementale d’information sur le logement, l’ADIL, précisément sur le thème comment agir contre les logements indignes et insalubres. C’est un dispositif qui préexistait, mais comme l’ensemble de la procédure a été revu, on l’a mis à l’ordre du jour afin que chaque maire se réapproprie la nouvelle procédure. De fait, dans toutes les communes on recense des logements qui ne méritent pas d’être appelés logement, qui sont complètement insalubres. »

« Il y a des logements insalubres dans les petites communes »

- Quelle est la solution proposée pour gérer ce problème ?

- JM.M. : « C’est une procédure très longue. Mais il y a désormais des possibilités ouvertes afin que les travaux soient réalisés par les propriétaires, car ce n’est pas normal de laisser des gens vivre dans de tels logements. Le conseil qu’on peut donner au maire c’est d’aller consulter l’ADIL, qui est une émanation du conseil départemental. L’ADIL se déplace avec les gens de la DDT, la direction départementale du territoire, de l’ARS, l’agence régionale de santé, pour appliquer des mesures appropriées. C’est un peu le rôle de notre assemblée générale des maires ruraux, afin de leur faciliter la tâche et de les mettre en relation avec les bonnes personnes.»

- C’est aussi lié à l’absence de services publics ?

- JM.M. : « Absolument, on a ressenti lors de cette assemblée générale, le fait que les maires ont besoin d’avoir l’interlocuteur approprié. Les gens ne savent plus qui appeler. Le maire, tout le monde vient le voir, mais il n’a pas réponse à tout. On va à nouveau éditer l’annuaire des maires des 725 communes de Moselle, avec des informations sur le conseil départemental, le conseil régional et sur les services de l’État. »

« Un drôle de mandat »

- Ce mandat avait débuté avec le Covid ?

- JM.M. : « Précisément. C’est un drôle de mandat. L’élection a eu lieu juste avant le premier confinement en 2020. Pour les anciens maires qui ont été réélus, ça ne posait pas de problème. En revanche pour les nouveaux maires, environ un tiers d’entre eux, qui ne connaissaient personne, c’était complexe. Il y a eu une période de flottement, on se réunissait en visio-conférence. Je n’ai jamais connu un mandat qui commençait de cette façon. Ce n’était pas évident. Mais nous avons toujours pu réunir nos assemblées générales des maires ruraux en présentiel, au cours desquelles nous avons pu évoquer tous les problèmes liés au confinement. »

- Où en est la population de ces petites communes ? Elle stagne, elle augmente, elle diminue ?

- JM.M. : « Cela dépend. La Moselle n’est pas un département homogène. Les communes du sillon mosellan, de la frontière jusqu’à Metz, en raison de leur proximité avec le Luxembourg, prennent de la population. Je pense à Zoufftgen, qui vient de vendre une parcelle de terrain à 50 000 euros l’are ! C’est pour les frontaliers, voire pour des Luxembourgeois. Ces communes-là n’ont pas de difficulté à accueillir de nouveaux habitants. Elles ont encore de la place. Mais avec la ZAN, zéro artificialisation nette, cela va réduire fortement la création de nouveaux terrains. »

« La ZAN va accentuer les prix ! »

- Qu’en pensez-vous ?

- JM.M. : « Je pense que ça va trop vite. On l’a dit au Sénat. On a en France une densité de 104 habitants au km², quand elle est deux fois et demi plus importante en Allemagne et au Royaume- Uni, en Belgique c’est quatre fois plus, au Pays-Bas six fois plus. On va essayer de faire rectifier cette loi. Le problème est que cette ZAN va encore accentuer les prix. C’est toujours le cas quand il y a moins de terrain disponible. »

- La problématique n’est pas la même dans le sud mosellan, dans le Saulnois ?

- JM.M. : « Ils ne subissent pas la même pression. Même si, selon certains élus du Saulnois, avec la crise du Covid, des fermes et des maisons inhabitées se vendaient plus que par le passé. Et il y a aussi des maires qui ne veulent pas que leur commune change, ils gèlent tout. Cela dit, les maires sont tout de même attentifs à ne pas fermer des écoles. Si la commune ne prend pas d’habitants, c’est l’école qui ferme. »

« L’intercommunalité dépend souvent de son président »

- Qu’en est-il de l’intercommunalité ?

- JM.M. : « C’est toute la différence. Les communes aujourd’hui coopèrent. Il fut un temps où la plupart ont choisi cette forme de coopération en fonction des besoins qui étaient les leurs. C’était alors une coopération choisie, délibérée. Aujourd’hui c’est différent, la loi oblige à coopérer. On a créé des EPCI (ndlr: établissement public de coopération intercommunale). Il en résulte un sentiment de dépossession de la commune par rapport à l’intercommunalité. Et cela dépend de la manière dont les présidents d’intercommunalité agissent. Si c’est de façon autoritaire, les communes le vivent très mal. Il faut leur rappeler que l’intercommunalité est une construction au service des communes. Et le président n’est pas forcément le maire de la commune la plus importante. C’est le cas de Bitche ou de Phalsbourg. À Sarrebourg c’est un adjoint-au-maire de Sarrebourg qui est à sa tête, dans le Saulnois c’est le maire de Vic-sur-Seille, alors que les plus grosses communes sont Dieuze et Château-Salins. »

- Mais les petites communes en profitent quand même ?

- JM.M. : « Il y a plus d’argent. Et pour mener à bien des grands projets, de gros investissements, l’intercommunalité est utile. Quand j’étais maire de Basse-Ham, l’intercommunalité a financé une piscine ce que la commune n’aurait pas pu faire. L’intercommunalité rationalise et mutualise un peu les territoires. On fait ainsi des économies d’échelle. Il existe des intercommunalités qui fonctionnent très bien car le président a un savoir-faire, il respecte, est à l’écoute. Mais il y en a d’autres, qui ne tournent pas si bien. C’est une affaire de personnes. »

- Qu’en-est-il de l’amélioration des réseaux d’eau dans les petites communes rurales ?

- JM.M. : « Cela dépend des territoires. Il faut rappeler que la loi a prévu des pénalités si votre réseau d’eau n’a pas un rendement de 80%. Il y avait des situations où les rendements étaient inférieurs à 50%. On a relevé une amélioration en la matière. Dans les communautés de communes, le transfert de la compétence eau ne sera obligatoire qu’à partir de 2026. Dans les communes membres d’une communauté d’agglomération ou d’une métropole, comme à Metz, le transfert est déjà effectif. Je connais beaucoup de communes rurales qui ont un prix très faible de l’eau et qui souhaitent garder le système actuel. Elles sont conscientes que si l’on mutualise, à terme le prix de l’eau sera réajusté par le haut pour ces communes-là. »

- Mais quelle est la qualité de leur réseau d’eau ?

- JM.M. : « C’est variable. Je ne connais pas leur situation exacte. Celles qui ont un bon réseau souhaitent que ça reste en place. Les autres attendent d’être mutualisées pour que les travaux se fassent, sachant que si leur réseau a des fuites, elles risquent des pénalités. Elles ont tout intérêt à investir pour rénover leur réseau d’alimentation en eau potable. Il y a aussi la prise de conscience sur le fait que la ressource en eau est trop précieuse, et ça change l’approche de cette question. Du reste, le préfet réunit ces jours-ci le comité sécheresse. Le faire au début du printemps, c’est très rare. »

« Être maire c’est chronophage ! »

- Que dites-vous de la difficulté d’être maire, ou élu de nos jours, face à des administrés de plus en plus exigeants, voire agressifs ?

- JM.M. : « Il n’y a jamais eu autant de violences verbales et physiques en direction des maires, depuis ces dernières années. Et ça se banalise, au point que quelque 910 maires ont démissionné dans le pays depuis le début du mandat, en 2020. Le président de la fédération des maires de France, David Lisnard, maire de Cannes, parlait d’une hausse de plus de 25%. C’est un véritable sujet de préoccupation. Les maires sont parfois menacés pour un rien, agressés. Le pire c’est que ça va jusqu’à l’agression physique. Il y a des maires qui ont peur pour leur famille, leur bien… alors certains démissionnent. »

- Est-ce qu’il y a des solutions à cette situation ?

- JM.M. : « La loi a changé tout récemment. Elle permet de protéger les maires comme les gendarmes ou les policiers, qui sont porteurs de l’autorité publique. La sévérité est plus forte. La circulaire du Garde des Sceaux invite les parquets à se montrer plus sévères. Tout dépend des cas. Je relève celui d’un administré du maire de Guessling-Hémering qui a été sévèrement sanctionné. »

- Parmi les maires ruraux, avez-vous déjà enregistré des démissions ?

- JM.M. : « Non, pas à ma connaissance. Il y a eu des démissions, mais elles n’étaient pas liées à des agressions. »

- Être maire aujourd’hui c’est une grande responsabilité ?

- JM.M. : « Je dirais même que c’est un choix de vie. C’est vrai que c’est une activité prenante, palpitante où l’on apprend beaucoup de choses, mais à côté de ça, c’est tellement chronophage. On passe à côté de bien des choses, de la famille. Certes, de nos jours, les maires ont droit à une formation, mais en général, l’élu apprend dès les premiers mois sur le terrain. Et plus la commune est petite, moins il y a de services, et plus il doit mettre la main à la pâte avec son conseil municipal. Être le maire d’une grande ville, c’est lourd certes, mais être maire d’une petite commune c’est aussi lourd, car vous n’avez pas les services qui vous préparent le travail. »

- Quel est le prochain grand chantier que vous allez engager au sein de votre association ?

- JM.M. : « Ce n’est pas un grand chantier. On va s’engager sur la question des zones à faibles émissions. Il y en a dans les grandes villes. Mais ça concerne les habitants des petites villes qui vont dans ces grandes cités soit pour leur travail, soit pour faire leurs achats, ou les services qu’on y trouve. Il faut aussi que ça ne pénalise pas ceux qui ne peuvent se déplacer qu’en voiture. Si les villes se referment ainsi, cela va poser des problèmes. Naturellement cela concerne la ville elle-même, mais il ne faut pas qu’elle le fasse, sans tenir compte de l’avis de ceux qui se rendent dans la ville. Cette question ne nous laisse pas indifférents. Les maires ruraux appellent les grandes villes à ne pas faire que de l’entre-soi, mais d’associer les habitants des autres territoires, très concernés et dépendants par les équipements et les services de ces villes. »

Bernard KRATZ