Interview Paru le 02 juin 2023
CHAMBRE RÉGIONALE DES COMPTES DU GRAND EST

Interview de Christophe Strassel, président

Alors que les Chambres Régionales des Comptes célèbrent, cette année, leur quarantième anniversaire, le législateur vient de leur confier une nouvelle mission : évaluer les politiques publiques des collectivités territoriales en amont ou en aval de leurs décisions. Explications avec Christophe Strassel, président de la Chambre Régionale des Comptes du Grand Est.

Christophe Strassel, président de la Chambre Régionale des Comptes du Grand Est

À quoi sert la Chambre Régionale du Grand Est ?

Christophe Strassel : Les Chambres Régionales des Comptes ont été créées lors des lois Defferre de décentralisation de 1982. Leur rôle est d’examiner la bonne gestion des deniers publics par les collectivités territoriales. Ce sont des juridictions financières, qui font juridiquement partie du même ensemble que la Cour des Comptes. Avec la loi NOTRe et la réduction du nombre de Régions, celui des Chambres Régionales des Comptes est passé de vingt-deux à treize. Les trois anciennes Chambres d’Alsace, de Champagne-Ardenne et de Lorraine n’en font désormais plus qu’une et elle est installée à Metz. Ces institutions sont donc relativement jeunes : elles vont fêter, cette année, leur quarantième anniversaire. La Cour des Comptes avait, elle, été créée par Napoléon en 1807, laquelle trouvait ses racines dans l’Ancien Régime et l’ordonnance de Viviers-en-Brie, en 1320, qui décrit les statuts de la première chambre royale des comptes.

Une centaine de contrôles par an

Quelles sont les missions de ces Chambres ? C. S. : Elles sont très proches de celles que la Cour des Comptes assure à l’échelon national. On en compte trois principales. D’abord, elles contrôlent les comptes et la gestion des collectivités territoriales de leur ressort : il s’agit d’un contrôle de régularité et d’efficience de l’utilisation des deniers publics. Nous vérifions que les résultats que se fixe la collectivité sont atteints avec la plus grande économie de moyens. Chaque année, nous exerçons une cinquantaine de contrôles de ce type. Cette mission représente environ les trois quarts de notre activité. Ensuite, nous exerçons un contrôle budgétaire lorsqu’une collectivité connaît une situation de déséquilibre financier ou lorsque le budget n’est pas voté à temps, c’est-à-dire au-delà du 31 mars. En 2022, nous avons exercé cinquante-deux contrôles de ce type. Nous pouvons être saisis par le Préfet, et nous avons alors un mois pour répondre et préconiser des mesures d’urgence. Enfin, nous disposions, jusqu’à cette année, d’une mission juridictionnelle : nous contrôlions les comptes des comptables publics. Et si nous observions des manquements à la réglementation, nous prenions des dispositions de justice qui s’imposaient au comptable, afin qu’il rétablisse le compte. Clairement, il s’agissait pour lui de rembourser et il pouvait s’agir de sommes considérables. Depuis le 1er janvier 2023, cette mission a été confiée à la Cour des Comptes. Et du coup le législateur nous a confié une nouvelle mission.

Quelle est cette nouvelle mission ?

C. S. : Depuis le 1er janvier dernier, la loi nous a confié une mission d’évaluation des politiques publiques. C’est une forme de contrôle s’appuyant sur une méthodologie très particulière : la politique publique contrôlée doit être clairement identifiée et ses résultats chiffrables. On doit pouvoir mettre en relation les sommes d’argent engagées et les résultats eux-mêmes. Cela suppose un travail important reposant sur des objectifs de quantification. La méthodologie est beaucoup plus contraignante que celle du contrôle de gestion. L’aspect le plus novateur tient au fait que cette évaluation peut nous être demandée directement par la collectivité elle-même, en amont, pendant ou après une décision. Par exemple, nous pourrons mener des études d’impact sur des projets d’investissement.

Vous auriez pu être appelés en amont du projet du Contournement Ouest de Strasbourg ?

C. S. : Oui, tout à fait. Nous aurions posé des chiffres sur la table et ces chiffres auraient été incontestables. Cette nouvelle mission vise à objectiver les choix publics. Bien sûr, in fine, la décision appartient au politique.

Avez-vous déjà été saisis pour de telles évaluations ?

C. S. : Non pas encore. Mon travail, c’est d’aller voir les élus de la région, des départements et des métropoles, qui sont pour l’instant les seules collectivités territoriales éligibles à ce nouveau dispositif, et de leur présenter cette nouvelle mission qui s’offre à eux. C’est à eux de se saisir de cette nouvelle possibilité.

Ne courez-vous pas le risque de devenir partie prenante de décisions que vous auriez à contrôler ultérieurement ?

C. S. : C’est la raison pour laquelle nous ne dirons jamais qu’il faut faire ou ne pas faire tel investissement. Nous serons juste là pour en dresser les conséquences possibles. Et encore une fois, personne ne sera lié par nos observations. Ce sont les politiques qui décideront.

Autonomie de programmation

Qui contrôlez-vous ?

C. S. : La Région, les dix départements de la région, les communes, les établissements publics de coopération intercommunale, les hôpitaux, et tout organisme recevant de l’argent public, comme les grandes compagnies de transport public. Dès lors qu’un organisme bénéficie de concours financiers publics, il peut être contrôlé par la Chambre : c’est donc également valable pour les associations. C’est par exemple à ce titre que nous avons contrôlé l’Office de Tourisme de Strasbourg. Nous pouvons même contrôler l’emploi qu’a fait une entreprise d’une subvention qu’elle a reçue d’une collectivité territoriale.

Qui vous saisit ?

C. S. : Nous avons une autonomie de programmation, c’est-à-dire que personne ne peut nous enjoindre de lancer un contrôle. Chaque année, nous élaborons un programme de contrôle. Généralement, chaque grande collectivité – la Région, les départements, les communes principales, les grands EPCI, les grands hôpitaux… – est contrôlée tous les quatre ou cinq ans. Par ailleurs nous exerçons des contrôles sur des thématiques précises, comme les transports, la gestion de l’eau… C’est donc de l’auto-saisine. Nous pouvons également recevoir des signalements de la part des citoyens, des oppositions politiques siégeant dans les conseils. Nous en recevons une dizaine par an filtrés par la Cour des Comptes.

Avez-vous des antennes dans les anciennes régions ?

C. S. : Non, nous n’avons pas d’antennes. Mais les magistrats de la Chambre et les vérificateurs se déplacent en permanence. Nos contrôles sont répartis de façon homogène sur l’ensemble de la région. Je souhaiterais par ailleurs que nous tenions des audiences délocalisées dans différents lieux du territoire. La prochaine audience pourrait se tenir à Colmar ou à Strasbourg. C’est l’occasion de rencontrer les élus du territoire.

75 % des recommandations mises en œuvre

Comment s’exercent vos contrôles ?

C. S. : Nous commençons par envoyer à la collectivité une lettre d’ouverture de contrôle. Les magistrats envoient ensuite des questionnaires, demandent la production de pièces justificatives, se rendent sur place, discutent avec les personnes concernées. Nos procédures sont toujours contradictoires. Au bout de six mois, nous remettons à la collectivité un rapport d’observations provisoire et confidentiel. Ce rapport donne lieu à une réponse écrite de la collectivité dans le délai d’un mois. Nous examinons ensuite les réponses et nous produisons un deuxième rapport d’observations définitives. Dans le délai d’un mois, la collectivité nous fait part de sa réponse définitive. Et c’est alors que nous publions notre rapport définitif avec la réponse définitive de la collectivité. Ce rapport définitif doit faire l’objet d’un débat au sein du conseil de la collectivité concernée. En tout, cela prend un an. L’objectif est de réduire le délai à huit mois.

Vos avis s’imposent-ils ?

C. S. : Non. Nous formulons des recommandations et des rappels au droit. En 2022, nous avons formulé deux-cent-cinquante-neuf recommandations. 75 % de nos recommandations sont mises en oeuvre. Dans certains cas, très rares, nous pouvons aussi transmettre au système judiciaire.

Comment les citoyens ont-ils accès aux avis que vous rendez ?

C. S. : Tous nos rapports, dès lors qu’ils sont définitifs, sont publiés sur notre site internet. C’est le minimum prévu par la loi. Ensuite, il se peut que nous souhaitions attirer l’attention de la presse et des citoyens sur telle ou telle affaire, par exemple, en raison de sa thématique. Je souhaite que nous soyons plus présents sur les réseaux sociaux, par exemple sur LinkedIn.

Contrôles aux frontières

Compte tenu de la situation transfrontalière de la région Grand Est avec ses voisines de Wallonie, du Luxembourg, de Sarre, de Rhénanie-Palatinat, du Bade-Wurtemberg et de Bâle, Christophe Strassel imagine mettre en place des contrôles transfrontaliers de politiques publiques. « Je suis déjà allé voir mes homologues allemands et luxembourgeois, explique le président de la CRC du Grand Est. Ils sont d’accord pour coopérer. Il pourrait s’agir d’échanges sur nos méthodologies. Nous pourrions aussi nous intéresser à des objets communs. Mais surtout, nous avons des équipements communs, nous pourrions donc imaginer des contrôles, sinon communs, en tout cas étroitement coordonnés. » Et de citer en exemple : le tramway strasbourgeois et sa ligne qui va jusqu’à Kehl, les trains entre la Lorraine et le Luxembourg, le tramway de Bâle qui va jusqu’à Saint-Louis… « Il y a 30 000 Haut-Rhinois qui vont tous les jours travailler à Bâle, 110 000 Lorrains au Luxembourg, rappelle Christophe Strassel. Et cela devrait augmenter. Il y aura nécessairement des questions d’équipement ou de gestion des communes transfrontalières. »

Jean de MISCAULT