Interview Paru le 25 août 2023
ASSURANCE-MALADIE

La bonne santé du Régime Local

Le Régime Local vient de rendre son rapport d’activité 2022. Il démontre plus que jamais la bonne gestion de ce régime d’assurance-maladie d’Alsace-Moselle. Il développe un haut degré de solidarité et une politique de prévention en faveur de ses bénéficiaires. Son président Patrick Heidmann, dans une interview aux Affiches d’Alsace et de Lorraine, détaille les atouts du Régime Local.

Patrick Heidmann, président du conseil d’administration du Régime Local Alsace Moselle

« Solidarité, santé, efficacité et proximité sont les priorités du Régime local » rappelle le président Patrick Heidmann, dans sa présentation du rapport d’activité 2022. Un bilan qui met en exergue deux décisions importantes du conseil d’administration, mises en oeuvre au cours de cette année : d’une part le taux de cotisation salariale a été réduit de 1,5 à 1,3% le 1er avril 2022. Il en résulte une baisse des contributions par an de plus de 60 M€. D’autre part, le droit au Régime Local a étendu sa prise en charge des frais de santé aux jeunes ayants droit jusqu’à la veille de leur 24e anniversaire. Enfin pour confirmer la bonne gestion de ce régime, il termine l’année avec un excédent de 19,3 M€, en baisse cependant de 43 M€ par rapport à 2021. Le président Heidmann nous explique dans cette interview le choix de ces décisions.

Patrick Heidmann : « Nous rendons aux assurés la bonne santé financière de notre régime »

Le président du conseil d’administration rappelle dans cet entretien, l’attachement de la population d’Alsace-Moselle, à ce Régime Local, sa bonne gestion financière et sa stratégie en matière de prévention.

- Le Régime Local est-il clairement bien ancré et pérenne ?

- Patrick Heidmann : « Ce régime est lié à l’histoire de nos départements du Bas-Rhin, Haut-Rhin et de la Moselle. Pendant l’annexion des ces territoires à l’Empire Allemand, de 1871 à 1918, la population a bénéficié du système d’assurance maladie des lois de Bismarck. Ces lois allemandes assuraient une très forte socialisation de la prise en charge des dépenses de soins, laissant une fraction modeste à la charge des assurés. La loi de 1919 a maintenu le droit local et fixé un régime transitoire en Alsace-Moselle. Après la Seconde Guerre mondiale, lors de la création du Régime général de Sécurité sociale, la population s’est mobilisée pour conserver son régime particulier. En 1946 un décret l’a maintenu à titre provisoire. Le Régime Local a été pérennisé par une loi du 31 décembre 1991. Mais en raison des difficultés liées à sa gouvernance, en 1995, celle-ci a été confiée aux organisations représentant des salariés, les syndicats. »

- Il n’y a pas de représentant des employeurs dans ce conseil d’administration ?

- P.H. : « C’est en effet un système assez unique en Europe, voire dans le monde. Ce n’est pas une mutuelle ni un groupement d’associations sociales. Mais ce conseil fonctionne dans un cadre très légal. Il possède le pouvoir de fixer les taux de cotisation des ayants droit, le montant des recettes, et les prestations. Il a cette capacité de gestion du régime pour en assurer l’équilibre. Il existe ainsi une solidarité très forte en ce qui concerne les contributions, et le conseil fixe également le niveau des prestations qu’il peut prendre en charge, le tout dans un cadre légal avec l’obligation de maintenir un ticket modérateur à 10% pour ses assurés. On a un remboursement de 90% pour les soins de ville, à 100% pour l’hospitalisation y compris le forfait hospitalier. »

« Notre situation financière est très saine »

- Il n’y a pas de cotisation patronale ? Pourquoi ?

- P.H. : « Non, il n’y a pas de cotisation des employeurs. C’est du reste un bien pour un mal. Aujourd’hui cela nous donne une force, une stabilité… Je prends l’exemple de la crise Covid. Nous n’avons pas été touchés par les exonérations de cotisations, si ce n’est que par l’impact du chômage partiel. Les demandeurs d’emploi, les chômeurs à temps partiel, cotisaient sur les rémunérations qu’ils percevaient. En clair, notre régime n’est jamais touché par des décisions d’exonération de cotisations prises par le gouvernement. »

- Quel est l’avantage du Régime Local ?

- P.H. : « Notre régime garantit un bon accès aux soins plus facilement, puisqu’il y a moins de prestations ou de reste à charge pour les assurés. »

- Vous avez choisi de diminuer le taux de cotisation. Pourquoi ?

- P.H. : « Le Régime Local a une situation financière qui est très saine. On continue à accumuler les excédents d’année en année. En 2021 nous étions à plus de 60 M€ d’excédent. Nous avions ainsi près de 11 mois de prestations de réserve. Nous avons décidé de stopper cette accumulation de réserves, ça n’avait pas de sens. Et comme nous n’avons pas la possibilité d’augmenter nos prestations, nous avons décidé de baisser notre taux de cotisation, une façon de rendre aux assurés la bonne santé financière de notre régime, ce qui veut dire 60 M€ par an tout de même. »

« Il ne faut pas comparer les deux régimes »

- Peut-on comparer le Régime Local au Régime général ?

- P.H. : « Non. Il ne faut pas comparer les deux régimes. En effet le Régime général est financé quasiment à 50% par la CSG-CRDS. On est dans la Sécu, on n’est plus dans le même monde : il y a la CSG-CRDS, ensuite il y a les cotisations patrons employeurs, et ces cotisations sont largement financées par les dispositions d’exonération. Aujourd’hui, il faut le reconnaître, les employeurs ne financent quasiment plus la Sécurité Sociale. Je parle de l’Assurance-maladie, il n’en est pas de même pour l’assurance retraite. Je peux vous le confirmer car je fais partie du conseil de l’Urssaf. »

- Quelles sont vos relations avec le Régime général ?

- P.H. : « Le point fort du Régime Local, c’est un régime qui est géré par la Sécurité sociale dans la Sécurité sociale. Pour le fonctionnement quotidien, le Régime Local est adossé aux organismes de Sécurité sociale. Les CPAM affilient les assurés et leur servent les prestations du régime, la Caisse d’assurance retraite et de la Santé au travail (Carsat) vérifie les droits des nouveaux retraités et prélève leur cotisation. (Ndlr : Le rapport d’activité le précise : En contrepartie le Régime Local rémunère ces services en versant à la Caisse nationale d’assurance maladie une contribution égale à 0,5% du montant des prestations versées, et à la Carsat une contribution égale à 5% du montant des cotisations prélevées. Cette organisation permet de limiter les frais de fonctionnement. En 2022, cette rémunération s’élève à 2,6 M€ soit 0,5% du total des charges.)

« Nous consacrons 2,3 M€ aux actions de santé publique »

- Quelle est l’autre particularité du Régime Local ?

- P.H. : « C’est la possibilité d’agir sur les actions de santé publique et de prévention. On y consacre environ 0,5% du montant des prestations, soit 2,3 M€. C’est un bel effort. À mon arrivée nous avons consacré 600 000 euros à ces actions. Aujourd’hui c’est 4 fois plus. Nous avons un engagement très important en la matière. Du reste nous réclamons un élargissement de notre champ d’intervention dans le domaine de la prévention pour y consacrer au moins autour de 5 M€. Nos excédents nous le permettent. Mais pour cela il faut une autorisation légale, que le Code de la Sécurité sociale soit modifié. »

- Pourquoi y-a-t-il un attachement si fort à ce Régime Local ?

- P.H. : « Il y a un consensus global autour du Régime Local qui possède une puissance économique réelle, les employeurs ne s’y opposent pas, car cela leur coûte moins cher pour financer leur complémentaire santé. Économiquement, pour les entreprises c’est intéressant, les politiques quant à eux savent très bien qu’il y a un véritable attachement de la population à ce Régime Local, car la prise en charge est plus importante que dans le Régime général. »

- Vous faites des excédents ? Faites-vous des placements de vos réserves ?

- P.H. : « Bien sûr nous plaçons ces réserves, mais c’est une gestion de bon père de famille. On n’a pas le droit d’aller sur le marché des actions. On fait des placements financiers pour garantir le capital. On n’a pas les mêmes rendements. On a fait la demande aux pouvoirs publics pour accéder aux mêmes types de placements que les organismes de sécurité sociale, comme l’AGIRC-ARRCO, afin d’améliorer nos rendements. »

- Vous êtes un régime solidaire. Pourquoi ?

- P.H. : « C’est la cotisation. Elle porte sur l’intégralité du salaire, alors que celle de l’assurance maladie est plafonnée. C’est la première solidarité financière, quel que soit le montant de votre salaire. Autre vecteur de solidarité, toute personne qui n’est pas assujettie à la CSG-CRDS, est exonérée de cotisation. Ce sont des demandeurs d’emplois, des retraités aux revenus modestes. Ainsi 25% des retraités qui bénéficient du Régime Local ne versent pas de cotisation. Il y a une solidarité très forte dans le Régime Local. »

« Il y a consensus au sein du conseil d’administration »

- Le Régime prend en charge les jeunes jusqu’à 24 ans ?

- P.H. : « Auparavant la prise en charge allait jusqu’à 20 ans, après la mise en place de la PUMA, la protection universelle maladie. Le conseil d’administration a opéré ce changement. »

- Qu’en est-il des relations entre les représentations syndicales au sein de votre conseil d’administration ? Vous êtes le représentant de la CGT.

- P.H. : « On peut dire qu’il y a une forme de consensus au sein du conseil d’administration. C’est une des forces de notre gouvernance. Il n’y a pas de dissension majeure au sein de notre conseil. Chacun a sa sensibilité, mais généralement tout le monde va dans le sens de l’intérêt du Régime Local. Dans 9 cas sur 10 on parvient à un consensus dans nos décisions. Je ne serai plus président à la prochaine échéance, dans deux ans. Il y aura un nouveau conseil d’administration et un nouveau président qui sera peut-être un de mes vice-présidents. »

- Quel est votre regard sur les grandes problématiques de la santé en France : déserts médicaux, urgences, médecin généraliste ?

- P.H. : « Là je ne m’exprime pas en tant que représentant d’un organisme de couverture de santé, mais nous avons des membres du régime qui sont à l’ARS (Agence régionale de santé), pour ma part je siège au CESER, au conseil économique et social où je m’exprime sur ces sujets. Le point central reste le médecin généraliste. Aujourd’hui en Alsace, c’est moins le cas en Moselle, on n’est pas encore en difficulté sur cette question de la présence des médecins généralistes. Mais ça va devenir un problème avec les nombreux départs à la retraite qui s’annoncent. Il faut régler le problème de la formation des médecins. Il y aussi la question des infirmières : 25% des élèves infirmiers ne vont pas au bout de leur formation, ça interpelle. »

- Quel a été votre parcours professionnel ?

- P.H. : « J’ai travaillé au Groupe AG2R La Mondiale pendant 44 ans, une partie sur la retraite complémentaire, ensuite j’ai travaillé dans la complémentaire santé avec les entreprises, enfin j’ai terminé comme responsable du contrôle du recouvrement des cotisations sur l’AG2R La Mondiale sur la partie Prévoyance et santé. Autant dire que je connais suffisamment bien ce sujet. En parallèle j’ai eu un parcours syndical. »

Voir aussi le site https://regime-local.fr/

Le Régime Local en quelques chiffres

Le rapport d’activité recèle une mine d’informations et de chiffres. En voici quelques-uns qui illustrent toute l’originalité de ce régime d’assurance maladie.

Circonscription : La circonscription d’Alsace Moselle de 14 496 km2 compte 1605 communes soit 3 millions d’habitants, ce qui représente 54% de la population de la région Grand Est. Sa densité est de 206 habitants au km2 quand la moyenne du Grand Est est de 97 et celle de la France métropolitaine est de 121. Quelque 92% des bénéficiaires sont affiliés à une Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) d’un des trois départements d’Alsace-Moselle, 8% relèvent d’une autre CPAM.

2 millions de bénéficiaires : Le Régime Local compte un peu plus de 2 millions de bénéficiaires (salariés, chômeurs, invalides, retraités ainsi que membres de leur famille à leur charge) dont 1,6 million d’assurés (77%) et 474 000 ayants-droits (23%). Plus de la moitiés des bénéficiaires sont des actifs, 23% des retraités. En Moselle, le nombre de bénéficiaires du Régime Local est de 559 119 (60% de la population du Régime général) dont 52% de salariés, 24% d’ayants-droits et 24% de retraités et d’invalides. Dans le Bas-Rhin, ils sont 800 754 (70%) dont 55% de salariés, 23% d’ayants-droits, 22% de retraités et d’invalides. Dans le Haut-Rhin, ils sont 480 108 (64%) dont 52% de salariés, 24% d’ayants-droits et 24% de retraités et invalides. En Alsace Moselle, 65% des assurés du Régime général sont bénéficiaires du Régime Local. Les assurés du Régime général intègrent les travailleurs indépendants depuis le 1er janvier 2020.

Les dépenses du Régime Local : En 2022, les dépenses du Régime Local se sont élevées à 494,5 M€ soit une augmentation de 4,2% par rapport à 2021. Cela s’explique par une forte croissance des remboursements des dépenses hospitalières qui résulte de la facturation directe depuis le 1er janvier 2022 du ticket modérateur par les établissements de Soins de Suite et Réadaptation et les établissements de psychiatrie. 99% des charges servent à financer les dépenses de santé des assurés, qui s’élèvent en moyenne à 241 € par personne en 2022. Seulement 0,7% des charges est consacré au fonctionnement du régime. Le Régime Local emploie une douzaine de personnes.

Les produits perçus par le Régime Local : Le Régime Local est financé par une cotisation payée par les salariés, les retraités et chômeurs sur leurs revenus déplafonnés. Les retraités et chômeurs les plus modestes sont exonérés de cotisation. Le taux de cotisation est passé de 1,5% à 1,3% le 1er avril 2022. Cela impacte le produit perçu par le Régime Local qui est d’un montant de 517,5 M€ en 2022, en baisse de 3,9% par rapport à 2021.

L’excédent du Régime Local : En 2022, le résultat d’exploitation (différence entre d’une part les cotisations perçues et d’autre part les prestations remboursées et dépenses courantes, est excédentaire de 19,3 M€, en baisse de 43 M€ par rapport à 2021. « Le résultat d’exploitation 2022 s’explique principalement par l’inflation de la masse salariale qui a atténué l’impact de la baisse du taux de cotisation, et l’augmentation importante des dépenses de santé, notamment hospitalières (…) » détaille le rapport d’activité.

Actions de prévention : En 2022, le conseil d’administration du Régime Local a émis 37 délibérations favorables et a financé 55 actions de prévention à hauteur de 1,75 M€. Ces actions sont en forte hausse depuis 2020.

Le conseil d’administration : Il est composé de 33 membres titulaires et 23 suppléants. Son mandat est de 4 ans. Patrick Heidmann (CGT) en est le président. Il a trois vice-présidents : Jean-Martin Adam (CFTC), Yves Bernauer (FO), Alain Monpeurt (CFE-CGC).

Bernard KRATZ