Interview Paru le 17 octobre 2023
KRISTELL DICHARRY

KRISTELL DICHARRY, Présidente de la CRCC Ouest Atlantique

À partir du 1er janvier 2024, les grandes entreprises devront publier chaque année un rapport extra-financier certifié traduisant leur politique et performance en matière de RSE. Présidente de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes Ouest Atlantique, Kristell Dicharry nous éclaire sur les enjeux liés à cette nouvelle obligation destinée à engager le monde économique dans une véritable démarche durable.

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Quel est le contexte ?

Jusqu’à présent, seules les sociétés anonymes de plus de 500 personnes avaient l’obligation de produire des documents extra-financiers qui relatent l’impact de l’entreprise sur les aspects RSE. Sauf qu’il n’y avait pas de cadre réglementaire, donc chaque société pouvait produire des éléments selon son propre référentiel. Le régulateur européen a considéré que, dans l’objectif de transfor­mation durable qui nous occupe, il n’y avait dès lors pas de notion de comparatif possible entre des sociétés de secteurs industriels comparables. C’est ainsi qu’est née une directive européenne sur la durabilité, ratifiée en 2022. Celle-ci doit être transposée en France d’ici fin décembre 2023 par le biais d’une ordonnance.

Quelles entreprises vont être concernées et à quelle échéance ?

La directive européenne impose aux entreprises de plus de 250 salariés, au niveau groupe, de publier annuellement des éléments extra-financiers à partir de 2024 pour les entreprises soumises à l’obligation actuelle de publier des documents extra-financiers et 2025 pour les autres, c’est-à-dire quasiment demain. En Europe, cela devrait concerner environ 50 000 entités et en France, le Haut conseil du commissariat aux comptes considère que cela va concerner entre 6 000 et 7 000 entités, contre environ 500 au­jourd’hui. Sachant que, par effet de capillarité, ces sociétés vont demander à toutes leurs parties prenantes – clients, fournisseurs – des éléments extra-financiers, de manière à pouvoir avoir une certification pertinente. Et donc, à terme, cela concernera beau­coup plus d’entités.

Même si le texte français n’est pas encore finalisé, quel en sera l’esprit ?

L’Efrag1, l’institution européenne qui travaille sur le sujet, a défini douze principes sur trois thèmes : environnement, social et gou­vernance. Par exemple, sur l’environnement, quel est l’impact de l’activité de la société sur son écosystème ? Pour le définir, il va falloir qu’elle remonte toute la chaîne de valeur. Sur la partie so­ciale, on va retrouver le taux d’absentéisme, le bien-être au travail, l’égalité hommes-femmes… Enfin, pour la partie gouvernance, on s’interrogera sur l’éthique, une éventuelle charte. Chaque société va devoir se positionner parmi ces douze critères sur ceux qui sont les plus significatifs pour elle.

Comment les entreprises réagissent-elles ?

Beaucoup ne sont pas du tout sensibilisées sur le sujet et ne me­surent pas les conséquences de ce rapport de durabilité. L’enjeu, c’est de ne pas en faire une usine à gaz. Et donc, nous, ce que l’on prône, c’est de ne pas être dans une surtransposition, qui complexifierait encore plus le quotidien des entreprises et d’avoir une démarche de progrès menée ensemble. Certaines entreprises n’ont pas la ressource interne. Il faudra donc, je pense, être indul­gent au départ car elles partent toutes d’une page vierge. Charge à nous, commissaires aux comptes, d’être les plus pédagogues possibles, sachant que nous ne pourrons pas nous substituer au chef d’entreprise : nous ne pouvons être juge et partie.

Justement, ce rapport de durabilité devra faire l’objet d’une vérification. Qui sera habilité ?

On parle pour le moment d’une attestation et, à terme, en 2028, d’une certification car l’Europe est consciente que l’on part d’une page blanche. La certification étant, elle, beaucoup plus contraignante.

La France a fait le choix d’ouvrir cette attestation à d’autres profes­sionnels que les commissaires aux comptes. Trois autres profes­sions ont fait acte de candidature : le réseau Filiance (association qui fédère les cabinets de certification technique tels que Afnor Certification, Apave, Bureau Veritas…, NDLR), les avocats et les experts-comptables. Sachant que ces professions n’ont actuel­lement pas les contraintes qui pèsent sur les commissaires aux comptes en matière d’indépendance, de secret professionnel… Nous demandons à ce qu’elles soient soumises aux mêmes contraintes.

Quels conseils donner aux entreprises concernées par cette nouvelle obligation ?

Saisissez-vous du sujet le plus en amont possible pour ne pas vous retrouver démunies au moment de l’obligation ! Et faites-vous accompagner. Restez pragmatiques aussi : allez à l’essentiel pour vous améliorer progressivement. Au-delà de ce qui peut être vécu comme une nouvelle obligation, sachez que l’on rentre de toute façon dans une phase où le marché demandera ces éléments extra-financiers. C’est le sens de l’Histoire !

1. European financial reporting advisory group.

Nelly LAMBERT pour RésoHebdoEco – www.reso-hebdo-eco.com