Interview Paru le 24 octobre 2023
MARC GILLMANN, PRÉSIDENT DE LA SATT CONECTUS

« Le transfert de technologie prend beaucoup de temps »

Comment fonctionne et comment se porte le transfert de technologies en Alsace ? Dans quels domaines compte-t-on le plus de transferts ? Une chose est sûre : le transfert de technologies nécessite beaucoup de temps. Éléments de réponses avec le nouveau président de la SATT alsacienne.

Marc Gillmann, Président de la SATT Conectus

Pouvez-vous présenter la SATT Conectus ?

Marc Gillmann : La SATT Conectus est une des treize Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies (SATT) françaises, créées en 2012 par le programme Investissements d’avenir. Nous avons deux missions principales : la maturation technologique et l’intermédiation entre les entreprises et les laboratoires de re­cherche. La maturation technologique commence par la détection d’inventions dans les laboratoires jusqu’à la vente de licences d’exploitation dans les entreprises ou les start-up, en passant par un ensemble d’opérations visant à dérisquer les projets et à démontrer les applications pratiques de l’invention. Quant à la deuxième mission, nous sommes positionnés comme un tiers de confiance, par exemple pour des entreprises qui sont en quête d’un laboratoire afin de réaliser une activité de recherche.

Au-delà de la mise en relation, la SATT Conectus investit-elle dans ces projets ?

M. G. : Pour les entreprises, nous sommes juste un tiers de confiance : cela veut dire que nous ne finançons pas. Vis-à-vis des laboratoires, notre rôle est bien de sélectionner des inventions et de les transférer, soit vers une entreprise existante, soit en créant une start-up : nous recourons à des expertises extérieures, nous réalisons des études de marché… et nous finançons à 100 % cette activité de maturation. Cela suppose d’être sélectif en amont et de pouvoir nous assurer que nous pourrons transférer le résultat à une entreprise.

Donc, à la fin vous vendez ?

M. G. : Il faut bien comprendre que le processus de maturation est très long. Cela prend au minimum quatre ans au bout desquels la SATT Conectus peut vendre la licence, soit à une entreprise exis­tante, soit à une start-up. Cela nécessite une forte technicité sur les questions tant de propriété intellectuelle, que de savoir-faire en matière d’assemblage ou de décryptage des opportunités scien­tifiques. Quand l’invention intervient dans le domaine du logiciel, cela peut aller plus vite. Après la phase de maturation, intervient celle du développement du produit, qui prend trois ans minimum et même dix ans dès lors qu’il s’agit de médicament.

Autofinancement à partir de 2030

Comment les projets arrivent-ils chez SATT Conectus ?

M. G. : Soit nous allons les chercher dans les labos. Soit les chercheurs s’adressent directement à nous, parce qu’ils nous connaissent : c’est le cas des serial inventeurs qui connaissent le système. Soit la détection est organisée en lien avec les établisse­ments de recherche et le nouveau Pôle Universitaire d’Innovation, créé par l’Etat et piloté par l’Université de Strasbourg, dont l’objectif est notamment d’aller dans les labos afin d’y détecter les inventions. Je veux insister sur un point : si le chercheur a publié, son invention ne peut plus être brevetable, elle ne peut plus être protégée et nous ne pourrons plus intervenir.

Comment est financée la SATT Conectus ?

M. G. : Nous sommes financés par l’État pour les cinq sixièmes de notre budget et la Région Grand Est pour le solde.

Où en êtes-vous dans vos objectifs d’auto-financement ?

M. G. : Compte tenu des durées de maturation et de développement que j’évoquais précédemment, l’autofinancement est envisageable à partir de 2030.

Quel est le bilan de la SATT Conectus, après onze années d’existence ?

M. G. : Depuis la création de la SATT Conectus en 2012, nous avons accompagné plus de 200 projets en maturation. Nous avons réalisé 150 transferts et créé 34 start-up, dont 31 sont toujours en activité. Enfin, nous avons 500 actifs de propriété intellectuelle en gestion pour le compte des établissements de recherche.

Dans quels secteurs industriels intervenez-vous le plus ?

M. G. : Nous couvrons l’ensemble des thématiques de la recherche, mais nous sommes bien sûr représentatifs des forces du territoire alsacien sur lequel nous intervenons. La santé, le médicament et les technologies médicales représentent environ deux-tiers de nos dossiers.

Suivez-vous des dossiers de transfert de tech­nologie dans les sciences humaines ?

M. G. : C’est un de nos leviers de progression, même s’il est complexe d’intéresser les chercheurs de ce domaine au transfert de technologies. Dans le domaine de l’éducation, nous suivons actuellement un dispositif d’apprentissage des langues, mais je ne peux pas vous en dire plus pour l’instant. Au sein du Pôle Universi­taire d’Innovation, une personne sera spécifiquement affectée à la détection de projets de transfert de technologie dans le domaine des sciences humaines et sociales.

On entend dire que les start-up rencontrent de plus en plus de difficultés pour se faire financer. Comment le vit la SATT Conectus ?

M. G. : Je rappelle que nous intervenons avant la création de la start-up. La levée de fonds est en fait préparée avec le concours de l’incubateur SEMIA, avec lequel nous collaborons très étroitement. Bien sûr, nous nous sentons très concernés par le succès – ou l’échec – de la levée de fonds. Et effectivement depuis un peu plus d’un an, le contexte est plus difficile : cela a commencé aux États-Unis et cela nous touche maintenant. Les bons projets continuent à bien se financer, même si parfois cela prend plus de temps pour boucler la levée de fonds. Il n’y a rien d’inquiétant à ce stade.

Point de contact avec l’écosystème français de l’innovation

Arrivé en janvier dernier à la tête de la SATT Conectus, Marc Gillmann s’est fixé deux principaux objectifs : « Nous vou­lons consolider notre position de référent de l’innovation de proximité, notamment vis-à-vis des entreprises innovantes qui cherchent à identifier une technologie de rupture. Et pour cela, nous travaillons avec les douze autres SATT françaises. Nous nous présentons aux entreprises locales comme le point de contact avec l’ensemble de l’écosystème académique d’innovation français. » Par ailleurs, le nouveau président entend augmen­ter de 30 % la détection au sein des laboratoires alsaciens.

Jean de MISCAULT