Interview Paru le 10 novembre 2023
SOUTIEN AUX ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

Denis Camillini anime une cellule de GPA Grand Est en Moselle

Le Groupement de prévention agréé du Grand Est (GPA) dont le siège est à Schiltigheim dans le Bas-Rhin prend pied en Moselle. Denis Camillini, ancien directeur départemental de la Banque de France à Metz, en devient le délégué. Il nous explique la démarche et le sens de l’action de prévention du GPA.

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Denis Camillini, délégué mosellan de GPA Grand Est (Le Groupement de prévention agréé)
Denis Camillini, délégué mosellan de GPA Grand Est (Le Groupement de prévention agréé)

Denis Camillini est l’ancien patron de la Banque de France de Moselle. Il prend sa retraite en 2021. Mais son goût de l’économie ne l’a pas quitté pour autant. Il s’offre une seconde vie, plus posée certes, mais tout aussi passionnante. Il anime la délégation mosellane du Groupement de prévention agréé (GPA) du Grand Est dont la vocation est d’accompagner des chefs d’entreprise en proie à des difficultés dans la conduite de leur société. Une activité qu’il mène en bénévole. Et un sujet qu’il maîtrise parfaitement, qu’il a abordé très régulièrement lors des enquêtes annuelles de la Banque de France auprès des entreprises. Et il profite naturellement du bon réseau qu’il a su tisser pendant toutes ces années. Enfin, ce qui le pousse à s’engager dans cette mission, pourrait-on dire, est sa connaissance et son goût du monde de l’entreprise. Interview.

- Votre association n’est pas la seule sur ce type d’activité ?

- Denis Camillini : « Vous pensez à 60 000 rebonds. C’est une association qui traite du sujet de l’après, quand l’entreprise est à l’arrêt. Elle vient aider des chefs d’entreprise qui ont eu une liquidation pour leur permettre de rebondir. C’est un peu l’aval de ce qu’on fait au Groupement de prévention agréé, au GPA. On collabore avec 60 000 rebonds, mais on ne traite pas vraiment les entreprises, au même niveau. Il y en a d’autres, comme APESA, qui fait plutôt du soutien psychologique pour des entrepreneurs ébranlés par l’échec de leur entreprise. Ces associations oeuvrent en aval de ce que nous proposons. »

- Les défaillances d’entreprise repartent à la hausse ?

- D.C. : « Pendant le confinement ces associations ont eu moins de travail. Il y a eu nettement moins de défaillances. Bon nombre d’entreprises ont largement profité du soutien de l’action publique, « du quoi qu’il en coûte ». Il faut reconnaître que le confinement a sauvé même des entreprises qui étaient condamnées à mourir grâce aux aides. Elles n’ont pas seulement aidé les entreprises susceptibles de survivre. Entre 2020 et 2022 il y a eu très peu de dépôts de bilan. Certes ça redémarre, mais on n’est pas encore au niveau de 2019. Mais depuis, des entreprises ont mangé la trésorerie accumulée grâce aux aides. Et maintenant il faut rembourser. »

- Alors que fait précisément l’association GPA ?

- D.C. : « La démarche de GPA est de prévenir. C’est un autre registre. Nous menons dès lors le traitement-accompagnement des difficultés. Qui dit action de prévention dit action de commu­nication. Pour dire qu’on existe afin que les chefs d’entreprises en difficulté nous sollicitent. Nous travaillons avec les syndicats professionnels, les consulaires, les tribunaux. On essaie de se référencer auprès de tous les acteurs qui ont à connaître de ces difficultés, même les institutionnels : les Urssaf, le Trésor public, les banques. Le GPA Grand Est possède même un partenariat avec la Banque de France. »

« J’ai baigné dedans »

- Depuis quand existe le GPA Grand Est ?

- D.C. : « Il a été créé en 2017. Cela correspond au premier mandat d’Emmanuel Macron. Cela remonte à la sortie d’un Livre blanc sur ce sujet. Il en est sorti deux résolutions concrètes : la création des GPA. On est agréé par la préfecture. On est labellisé et reconnu d’utilité publique. L’autre volet a été de créer un algorithme pour reconnaître les premiers signaux avancés de difficulté d’une entre­prise. Il est géré par les préfectures, la Banque de France et autres institutionnels. Le GPA possède le statut associatif Alsace Moselle. »

- Pourquoi avez-vous accepté cette mission ?

- D.C. : « La prévention des difficultés des entreprises, j’ai baigné dedans tout au long de ma carrière. La différence c’est que nous sommes dans le monde associatif, on est des bénévoles. On n’est jamais intéressé au dossier. En Moselle je suis tout seul. J’essaie de le développer. Lancé en 2017 le GPA Grand Est a moyennement marché. Il a été réactivé en 2021, essentiellement en Alsace. Il était présidé par l’ancien président du directoire de la Caisse d’Épargne de Bourgogne Franche-Comté, qui tenait à mailler tout le territoire et donc de proposer un responsable par département qui puisse promouvoir le GPA. »

« Il y a des réticences »

- Il a fallu se faire un nom, une place ?

- D.C. : « Clairement. Il y a d’autres réseaux : les chambres de commerce et d’industrie, la cellule de prévention du tribunal, de la chambre commerciale… tout le monde s’intéresse au sujet. Cela dit pour le chef d’une entreprise en difficulté, ce n’est pas forcément évident d’aller voir le juge de la prévention, ou un responsable du Trésor public. Il y a des réticences. Notamment pour les TPE, ce n’est pas facile. L’idée est d’avoir des bénévoles, donc pas de conflit d’intérêt potentiel possible. Bien sûr on signe une petite charte. On garantit à tout le monde une totale confidentialité. »

- Vous recherchez des bénévoles compétents ?

- D.C. : « On a une structure de bénévoles. Du reste, si des gens possèdent une expertise en économie d’entreprise, en analyse financière, s’ils n’ont plus d’activité et ont la vocation d’aider les entreprises, je suis preneur ! Cela peut être un juge consulaire à la retraite, un conseiller entreprise d’une banque à la retraite, un chef d’entreprise. C’est le profil recherché. »

Déjà une dizaine de dossiers

- La démarche doit-elle venir de l’entrepreneur ?

- D.C. : « Absolument. On essaie d’être connu par des partenaires, les banques, les institutionnels, pour qu’ils parlent de nous. Lorsqu’ils sentent qu’une entreprise a besoin de réfléchir et de se poser les bonnes questions, ils peuvent leur dire qu’on existe, charge pour eux de nous contacter. On ne peut aider que si l’entreprise a la volonté de se faire aider. Plus ça arrive tôt, mieux on s’en sortira. »

- Vous avez déjà des dossiers ?

- D.C. : « Oui. J’en ai une dizaine en cours. J’ai vu du monde, pour faire connaître le GPA. Les fédérations de patrons, du BTP et d’autres. Mais tous les contacts n’aboutissent pas forcément. Notre association est organisée : c’est une association avec un comité. En Moselle je suis encore tout seul, je peux encore gérer une dizaine de dossiers. L’idée c’est bien de suivre une entreprise. Je couvre également en ce moment le secteur de la Meurthe-et-Moselle. »

- Quel type d’entreprise est concernée ?

- D.C. : « Toute entreprise, toute activité, quel que soit le nombre de salariés, quel que soit le chiffre d’affaires, quel que soit le problème. »

- Comment êtes-vous financés ?

- D.C. : « Nous avons deux référents : la Région Grand Est qui nous subventionne, la DREETS, la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, qui nous finance également. On est agréé par la préfecture du Grand Est. »

« On l’aide à structurer sa gestion »

- Concrètement comment se déroule votre accompagnement ?

- D.C. : « On est sollicité par une entreprise, par mail, par télé­phone. En fonction de la problématique évoquée, on souhaite avoir un entretien, une rencontre avec le chef d’entreprise. C’est intéressant d’aller dans l’entreprise, de voir l’atelier… Cela donne très vite une indication sur l’entreprise. C’est la phase d’écoute. Il s’agit d’établir un rapport détaillé. On regarde aussi les chiffres, l’état de la trésorerie.»

- À partir de quand commence l’aide ?

- D.C. : « On fait preuve de beaucoup de pédagogie. On essaie de voir comment on peut l’aider à structurer sa gestion. Pour moi un entrepreneur doit avoir la culture du cash, savoir ce qui rentre, connaître sa trésorerie. Si vous ne savez pas ce qui rentre, si vous ne savez pas ce que vous avez à sortir à la fin du mois, un jour ou l’autre, l’entrepreneur aura des ennuis. Tant que ça marche tout va bien, mais quand ça s’arrête ça change la donne. À partir de là on fait une remise écrite par mail, de deux ou trois pages. Une sorte de synthèse. On pose un premier diagnostic. Pour aller plus loin, on propose à l’entreprise d’adhérer à l’association. »

« Une relation de confiance »

- Vos services sont payants ?

- D.C. : « En gros la cotisation pour un an de suivi, c’est 1 euro pour 1000 du chiffre d’affaires. La cotisation minimum c’est 150 euros soit un chiffre d’affaires de 150 000 euros. Ensuite tout dépend de ce que l’on met en place. S’il s’agit d’un suivi de trésorerie, je demande qu’il me l’envoie. Je le fais très sérieusement. On établit une véritable relation de confiance. On nous dit tout. Par rapport à mes références passées, pour les gens c’est peut-être plus facile, je suis plus crédible. Je leur fais comprendre, si vous voulez que l’on sache où on va, il faut tout me dire. Je pense que le position­nement associatif, bénévole, bien sûr les compétences, ça aide. »

- Que se passe-t-il après le diagnostic ?

- D.C. « Après l’étude, il y a deux ou trois catégories. Il y a l’entreprise en cessation de paiement, on va être honnête : la seule solution c’est d’aller au tribunal de commerce. On peut les accompagner dans les démarches pour aller devant le juge. C’est le cas quand il n’y a aucune pérennité possible. La deuxième est intermédiaire, en cherchant des voies plus amiables, conciliation, sauvegarde, mais encadrées quand même, en évitant la case procédure. Le troisième cas, c’est l’entreprise qu’on estime pérenne sous réserve de mener à bien des restructurations. Un trou d’air de trésorerie peut se régler avec un étalement de la dette, une renégociation des emprunts. Ou alors faire des économies. Cela peut aussi passer par des recherches de financements, d’autres partenaires.

Nous n’avons pas d’argent à mettre, on n’est pas courtier, on peut les aiguiller, les accompagner, en calibrant bien la demande. Il faut apprendre à parler correctement à un banquier, ne pas être dans l’exigence… »

« Un positionnement hors institution »

- Mais l’entreprise peut se passer de vous après le diagnostic ?

- D.C. « Tout à fait. Si elle se contente de mes conseils et choisit de négocier seule avec le banquier, elle peut le faire. Mais je peux fort bien l’accompagner chez le banquier. Pour moi, c’est plus compliqué d’aller au tribunal, n’étant pas un spécialiste. Mais dans l’association il y a d’anciens juges consulaires qui savent le faire. »

- Cette mission est passionnante ?

- D.C. : « J’y trouve mon compte. J’ai accepté pour ça, parce que c’est un positionnement hors institution. Et ça peut décider le chef d’entreprise à faire appel à nous. Ce statut hors institution rend plus facile le contact. De mon côté, je n’ai pas d’obligation de résultat. Je peux aider, donner un avis, mais je ne suis pas là pour leur refaire leur business plan. »

- Qui vient vers vous? Des jeunes, des chefs d’entreprises plus aguerris?

- D.C. : « Il y a des TPE, mais aussi de petites PME qui connaissent une crise de croissance. Les paliers sont parfois compliqués à vivre dans l’entreprise. Ce n’est jamais simple. Il y a bien sûr de jeunes entreprises, une start-up. Il faut les amener à comprendre cette culture du cash. Quand on a été une start-up, on est habitué à ce que l’argent tombe du ciel, les subventions, les appels de fonds… Il faut les ramener sur terre : leur faire comprendre le vrai sujet : je facture et j’encaisse les factures. S’il n’y a pas de clients c’est autre chose. Aujourd’hui pour aller chercher des fonds, c’est plus compliqué, la ressource est moins abondante. Il y a plus d’exigence sur le retour de l’activité. La gestion d’une entreprise n’est pas dans l’ADN de ces jeunes entrepreneurs de start-up. On ne peut pas vivre que de fonds et de subventions. »

- Est-ce que les gens qui viennent vous voir vous écoutent ?

- D.C. : « L’expérience est un peu trop récente, les premiers dossiers sont du mois de juin. Mais j’ai là un dossier qui va aboutir. La chef d’entreprise a pris les bonnes décisions. Un autre se montre très volontaire. Mais ça peut être long. Il faut traiter les choses avant d’être tombé trop bas… Un coup de fil, un message ne coûte rien, mais ça peut changer si une relation s’installe. »

- Il faudra faire le bilan de votre action dans un an ?

- D.C. : « Absolument. Rendez-vous dans un an. »

- À part ça, votre vie de retraité ?

- D.C. : « Les voyages bien sûr, les petits-enfants… »

Courriel : contact57@gpagrandest.fr

Voir aussi : gpagrandest.fr

Propos recueillis par Bernard KRATZ