Interview Paru le 08 mars 2024
MAÎTRE DAVID ZACHAYUS ET MAÎTRE ANNE MULLER

Le bâtonnier et vice-bâtonnier de l’Ordre des avocats de Metz

Maître David Zachayus et Maître Anne Muller forment un binôme serein à la tête de l’Ordre des avocats de Metz. Ils nous ont accueillis dans leurs locaux rénovés du tribunal de Metz où ils jouissent d’une proximité remarquable avec les magistrats et les fonctionnaires du tribunal. Au cours de cet entretien*, les animateurs du barreau de Metz ont brossé un large tour d’horizon de leur action et des projets en cours, de leurs relations avec les magistrats et plus généralement de l’actualité judiciaire.

Maître David Zachayus, près de 30 ans dans le métier, Maître Anne Muller, 15 années dans la profession.

- Quels sont vos domaines respectifs, vos spécialités juridiques ?

- David Zachayus : « C’est un peu particulier, nous sommes en Alsace Moselle, avec le droit local, c’est encore la loi de 1924, avec cette possibilité de choisir, de postuler devant le tribunal judiciaire ou devant la cour d’appel. Cela concerne les deux cours Alsace- Moselle, Metz et Colmar, les deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin pour Colmar, et le département de la Moselle, parce que c’est la seule cour monodépartementale de France et qui comprend les tribunaux judiciaires de Metz, Thionville et Sarreguemines. On choisit dès lors de postuler soit devant les tribunaux judiciaires, soit devant la cour d’appel, là où la représentation est obligatoire. Si l’on devait faire un parallèle, c’est l’équivalent, en mieux, des anciens avoués, ceux qui devaient faire les actes de procédures devant les cours d’appel, qui ont été supprimés par le gouvernement de M. Macron, lequel considérait qu’ils faisaient double emploi. Nous, nous étions des avoués plaidants, nous avions l’intégralité du litige, en tous les cas dans le ressort du département. C’est le choix de l’avocat. Je suis avocat à la cour d’appel de Metz, mon vice-bâtonnier est avocat devant le tribunal judiciaire de Metz. »

« Metz est un barreau de cour »

- Vous êtes combien d’avocats au sein du barreau de Metz ?

- D.Z. : « Sur l’ensemble du barreau, nous sommes autour de 350 avocats, dont un peu moins d’une trentaine à la cour d’appel, tout le reste au tribunal judiciaire. C’est un barreau de cour. On parle des 163 barreaux de province, et du barreau de Paris qui concentre la moitié des avocats de France. »

- Quelles sont les spécialités de ces avocats ?

- D.Z. : « Il y a des domaines d’intervention. Il y a des mentions de spécialisation. 62 ont des mentions de spécialisation dans tous les domaines. Il y a des spécialités en matière commerciale, fami­liale, fiscale, en matière de droit public, d’urbanisme étant précisé qu’il peut y avoir, sur les plus petits barreaux, des mentions de spécialisation. Je ne suis pas certain qu’elles soient utiles pour développer une clientèle. »

« Badinter était un civiliste au départ »

- Y a-t-il une majorité de pénalistes ? Les projecteurs sont souvent braqués sur eux ?

- D.Z. : « Davantage, c’est sûr. À ce propos, on a tous connu Robert Badinter, pour en parler en matière pénale, alors que ce n’est pas sa spécialité, c’est un civiliste au départ. Il est agrégé de droit privé avec une thèse sur la responsabilité civile. On ne l’a connu que par ses grands combats. »

- Que dites-vous de Badinter alors qu’il vient de disparaître ?

- D.Z. : « C’était quelqu’un de remarquable. Personne ne vous dira le contraire. Il était très attaché à la profession d’avocat, aux jeunes avocats. Il était président d’honneur de l’Union des jeunes avocats, l’UJA. À l’époque de son combat pour l’abolition de la peine de mort, il n’a pas trouvé grand écho auprès des organisations pro­fessionnelles, et l’Union des jeunes avocats, notamment de Paris, l’a soutenu et depuis il en est devenu président d’honneur. Il avait cette volonté de dire aux jeunes : allez-y, faites-le et faites-le bien ! »

« Nous avons été parmi les premiers à former un binôme »

- Ce binôme que vous formez avec Me Anne Muller est-il inédit ?

- D.Z. : « Étant avocat à la cour d’appel, je suis moins au fait du tribunal judiciaire. C’est pourquoi on s’est dit avec Me Anne Muller, que ce serait bien de faire un binôme masculin-féminin, car il n’y a aucune obligation en la matière. Autant il y a des obligations pour les binômes du Conseil de l’Ordre, autant ce n’est pas le cas entre bâtonnier et vice-bâtonnier. Du reste, il n’est pas obligé qu’il y ait un vice-bâtonnier. Mais nous avons été, à Metz, parmi les premiers à le faire. Cela n’a pas forcément toujours été suivi. En tout cas, Me Muller a été présidente de l’UJA de Moselle. »

- Est-ce que vous vous êtes réparti certaines missions, entre vous ?

- D.Z. : « Nous l’avons fait. Elle a en charge notamment de la gestion des permanences pénales, c’est un gros morceau. Cela nécessite de la formation, de la mise en place des permanences sur logiciel pour qu’il y ait un turnover au niveau des gens qui sont volontaires. Ici c’est construit sur le volontariat. On s’inscrit sur les listes de permanence. On est assez nombreux pour le faire. Le bâtonnier décide en matière de permanence, il peut imposer à son barreau d’assurer des permanences, comme en matière de pharmacies, de médecine etc. »

- Est-ce le cas des avocats commis d’office ?

- D.Z. : « La commission d’office c’est encore autre chose. Pour ce qui est des permanences pénales, on doit assurer des permanences dans les matières où il y a urgence. Lorsqu’il y a une garde à vue, il y a urgence, car au bout de la sixième heure de garde à vue, l’avocat doit être présent. Bien entendu, on vous appelle. Il est obligatoire de l’appeler si la personne en garde à vue en fait la demande. On est obligé d’organiser des permanences. Il y en a au niveau de l’instruction, des comparutions immédiates, à chaud avec hospitalisation d’office, et le droit des étrangers… »

« On ne vit pas forcément bien de ce métier »

- Est-ce que tous les avocats vivent bien de leur métier ?

- D.Z. : « Non. Absolument pas. On note des difficultés. En qualité de bâtonnier on le constate. Les premières choses que l’on observe, c’est quand il commence à y avoir des arriérés de cotisations de l’Ordre. On convoque, on questionne pour comprendre s’il y a des problèmes avec l’Urssaf, avec la caisse de retraite. »

- Vous avez fait grève pour la sauver ?

- D.Z. « On s’est battu pour. On va voir ce que ça donne. Je pense que l’actualité l’a sauvée… La réforme a été mise en suspens en raison de la crise du Covid. On s’est mis en grève en janvier 2020, on l’a arrêtée le 15 mars juste avant le confinement. Tout s’arrêtait. La réforme a été mise en stand-by. »

- Mais les difficultés subsistent ?

- D.Z. : « Il y en a. C’est de plus en plus difficile. Même pour cer­tains anciens. À Paris c’est sans doute différent, dans les grands groupes. Notamment les cabinets anglo-saxons. D’ailleurs ça pousse aujourd’hui pour qu’il y ait un statut du juriste d’entreprise. »

- Mais ça ne touche pas encore la province ?

- D.Z. : « Mais ça va gagner la province. Si jamais, des juristes d’entreprise devaient devenir avocats… on n’en est pas encore là. Où se situent les sièges sociaux des compagnies d’assurances, banques et autres. À Paris, ils n’auront plus besoin de vous. Se joue aussi le problème de la postulation : les parcours par tribunal risquent de passer sous postulation nationale, dans ce cas les avocats de province seront hors circuit. »

- Alors les avocats smicards ça existe ?

- D.Z. : « Oui, absolument. On fait toujours cette répartition par tiers : un tiers gagne très bien sa vie, un autre tiers gagne sa vie correctement. Le dernier tiers ne gagne pas forcément bien sa vie. Il n’y a toutefois pas tellement de faillites, mais on a des départs précipités, une fois qu’on a prêté serment. J’ai même, à l’heure actuelle, d’anciens confrères avec 20 ans d’ancienneté qui me disent vouloir faire autre chose. C’est de plus en plus difficile. »

- Est-ce que ce métier connaît un problème d’attractivité ?

- D.Z. : « Quand ils sont jeunes, ils sont attirés par ce métier. Voire celui de magistrat. Beaucoup de gens sont attirés par la justice… Ils sont aussi très attirés par le métier de greffier. Il y a une école nationale à Dijon, c’est attractif. Nous avons fait récemment un colloque sur les spécificités locales de chaque profession judiciaire en Alsace-Moselle. Les notaires et les magistrats vont devoir se conformer aux spécificités locales. Nous n’avons pas de tribu­naux de commerce en Alsace-Moselle, nous avons des chambres commerciales rattachées au tribunal avec des juges consulaires. »

« Les plaintes ou insatisfactions : c’est exponentiel ! »

- Au niveau de l’Ordre, y a-t-il beaucoup de contentieux à régler ? Gérez-vous cette question ensemble avec votre vice-bâtonnier ?

- D.Z. : « Oui, c’est toujours bien d’être deux et d’en discuter. D’une manière plus générale, je considère que la gestion d’un ordre et de l’ensemble des missions qui sont confiées au bâtonnier, nécessite que l’on soit deux. Sur un barreau d’importance moyenne comme Metz. Pour une personne seule c’est une activité trop chronophage. Chaque jour nous avons des contentieux. »

- Ils sont de quelle nature ?

- D.Z. : « Les plaintes ou les insatisfactions des clients vis-à-vis de leurs avocats, c’est exponentiel ! À la moindre contrariété, c’est le bâtonnier qui est saisi. On écrit au bâtonnier, on va parfois plus loin, on écrit au procureur de la République ou au procureur général, qui interroge le bâtonnier, alors qu’il n’y a pas lieu. On doit vérifier s’il s’agit d’un problème d’honoraires, si c’est un problème de respon­sabilité de l’avocat, ou si c’est un problème de discipline de l’avocat. Cela conditionne l’orientation du dossier. Si c’est un problème de discipline de l’avocat, il y a une nouvelle loi intervenue le 30 juin 2022 applicable au 1er juillet, on nous laisse quand même 24 heures pour… l’appliquer. Elle réforme toute la discipline de beaucoup de professions libérales : notaires, commissaires de justice. En ce qui nous concerne, le bâtonnier reste compétent pour gérer la plainte, mais pas tout seul, pour savoir si elle est recevable et bien fondée. Avec la possibilité de faire une enquête déontologique, avant éven­tuellement de saisir le conseil régional de discipline, dont il ne fait pas partie. Le bâtonnier ne sanctionne plus, il poursuit. Il pouvait sanctionner avant, le Conseil de l’Ordre aussi le pouvait. »

« Les cinq mots du serment de l’avocat »

- Est-ce qu’il y a beaucoup de cas d’enquête disciplinaire ?

- D.Z. : « Pour ouvrir une enquête disciplinaire, il n’y a pas beau­coup de cas. L’enquête déontologique est indispensable. Soit on le fait nous-même ou on la délègue à un membre du Conseil de l’Ordre. Je considère qu’elle doit être contradictoire, mais ce n’est pas obligatoire. À ce jour, je n’ai pas poursuivi. Mais il y a des cas qui sont en discussion. J’entame ma deuxième année de mandat. C’est compliqué. On peut faire entrer dans les poursuites discipli­naires, tout manquement de l’avocat aux principes essentiels de la profession, et ce ne sont pas que les cinq mots du serment. Vous pouvez faire entrer beaucoup de choses dans la dignité de l’avocat. Un comportement privé de l’avocat qui ne serait pas adéquat, est-ce que ça entre dans la dignité de l’avocat sur la place publique ?

- Quels sont les cinq mots du serment ?

- D.Z. : « Je jure comme avocat d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité. Le mot indépendance on le doit à Robert Badinter, alors que le mot probité a été ajouté par le législateur. »

- Ces contentieux sont toujours le fait des justiciables ?

- D.Z. : « Oui. Nous trions les contentieux au départ. Le bâtonnier n’est pas compétent pour la responsabilité civile, mais nous aurons connaissance de tous les litiges de responsabilité civile. Si c’est un problème d’honoraires, c’est bien le bâtonnier qui tranche parce qu’il est compétent pour taxer les honoraires ou réduire les honoraires sollicités quand il y a une contestation du client. Cette décision est susceptible d’un appel devant le premier président de la cour d’appel. Nous ne pouvons délivrer des injonctions de payer, nous ne pouvons pas assigner devant le tribunal judiciaire en règlement des honoraires non payés comme n’importe quel entrepreneur pourrait le faire. Il faut faire taxer par le bâtonnier et après il y a un recours. »

- Peut-il y avoir des conflits entre avocats et magistrats ?

- D.Z. : « Oui. Il peut y avoir des conflits entre magistrats et avocats. Lorsque c’est le cas, normalement cela passe par la hiérarchie, à savoir le bâtonnier pour l’avocat, quant au magistrat il doit saisir le président de la juridiction. »

« C’est indispensable d’être au sein du tribunal »

- Avez-vous des projets au sein de l’Ordre ?

- D.Z. : « Au sein de l’Ordre, le bâtonnier a vocation à gérer le per­sonnel, c’est une entreprise… même si c’est sous forme d’associa­tion. Quelque part je suis chef d’entreprise, mais éphémère. Je suis aussi président de la CARPA, la caisse de gestion pécuniaire, tout ce qui concerne les fonds doit passer par cette caisse. La CARPA participe aussi à bon nombre de frais de formation ou autres. »

- Anne Muller : « En fait c’est l’équivalent de la Caisse des dépôts et consignations des notaires. »

- Alors, ces projets ?

- D.Z. : « On a réalisé quelque chose de bien concret, on a fait des travaux au sein de l’Ordre des avocats. On a pu refaire, rénover nos locaux cet été, de quoi améliorer le confort du personnel. De plus, c’est ouvert au public. »

- Est-ce important d’être implanté au sein du tribunal ?

- D.Z. : « Indispensable. Ce sont des locaux mis à disposition, même s’il manque de la place. »

- A.M. : « Concrètement le fait qu’on soit au palais rend service aux avocats parce qu’on peut avoir besoin de faire une photocopie, d’imprimer un mail pour les besoins d’une audience qui est en cours. C’est un vrai lieu d’accueil pour les avocats qui ont parfois besoin d’avoir recours à des ressources documentaires. C’est un vrai service pour les avocats, mais aussi pour les justiciables. S’ils sont pris par le temps, ils peuvent venir demander une désignation d’avocat dans un dossier particulier. Il y a ainsi des gens qui passent pour demander des désignations en commission d’office pour des dossiers dans lesquels ils sont convoqués. Et pour le tribunal c’est tout aussi important. Parfois ils ont besoin de l’intervention d’avocat en urgence. Les greffiers nous sollicitent pour désigner quelqu’un en urgence pour tel ou tel dossier. »

« On a une grande proximité avec le personnel du tribunal »

- Est-ce que cela permet d’entretenir le lien ou le contact entre avocats et magistrats ?

- D.Z. : « Naturellement dans le palais on se voit, indépendamment de l’Ordre. Il y a peu de magistrats qui passent à l’Ordre. Le lien existe, surtout à Metz, parce que chaque mois nous avons des réunions avec les chefs de juridiction, tribunal et cour. Ce sont des relations où on se dit les choses, d’un côté comme de l’autre s’il y a des difficultés, c’est très ouvert, très en demande. »

- A.M. : « On essaie de prévenir les difficultés que les uns et les autres peuvent rencontrer, en amont, pour essayer de les éviter. Quand on ne peut pas, on essaie de les régler au travers de ces réunions qui sont un peu plus informelles que des saisines par voie de courrier. Ce dialogue est très important, il met de l’huile dans les rouages et nous permet de fonctionner en bonne intel­ligence. On a beaucoup de chance à Metz, on a de très bonnes relations avec les magistrats, tant du siège que du parquet. C’est une grande force ici à Metz. C’est un atout considérable. »

- Donc les mots chaleureux prononcés lors des audiences solennelles par le chef de juridiction ne sont pas que de pure politesse ?

- D.Z. : « C’est la solennité et la bienséance. Mais ici, c’est vrai­ment vrai ! »

- A.M. « Ce n’est pas feint. On a toujours une grande proximi­té. Pendant des années, le barreau invitait tous les deux ans, l’ensemble des greffiers à un grand dîner, pour pérenniser ces bonnes relations. Il y a quelques années on a même organisé un grand barbecue avec les magistrats, les personnels de greffe, les fonctionnaires et qu’on appelait une fête du palais. Et ça montrait qu’on avait, au-delà de l’aspect professionnel, envie de passer du temps ensemble. Systématiquement quand un événement est organisé par le barreau, les magistrats sont présents, comme c’est le cas pour la conférence du jeune barreau. Il y a des magistrats qui sont parfois surpris de cette proximité quand ils arrivent à Metz. Ils ont du mal à en partir. »

- Est-ce que cela vous aide lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre de nouvelles réformes de la justice ? Comme celle du règlement amiable ?

- D.Z. : « Je ne peux vous dire mieux, une journée de l’amiable est organisée le 15 mars prochain. Il n’en reste pas moins qu’on est souvent mis devant le fait accompli en matière de réformes. On interroge les organisations professionnelles des avocats, la conférence des bâtonniers, le barreau de Paris, sur les éventuelles réformes à venir qui peuvent toucher la profession. On interroge aussi les juridictions… Une fois que c’est là, on discute souvent de la mise en place pour que ça se passe le mieux possible. On a ainsi été consulté pour la rénovation entière d’une salle d’au­dience correctionnelle, la salle 26. On a été informé parce que ça nous concerne. »

- Vous êtes donc écoutés ?

- A.M. « On est souvent écouté, mais pas toujours entendu ! »

- Votre métier est toujours en mouvement ?

- A.M. « Parfois on aimerait bien que ça se calme un peu. On a un peu l’impression qu’une réforme chasse l’autre, on a parfois du mal à s’y retrouver. C’est clair, cela nous oblige à être toujours en mouvement. »

« Une inquiétude sur la commission du droit local »

- On va fêter cette année le centenaire du droit local. Quel regard portez-vous sur ce droit local ?

- D.Z. : « Dans l’esprit des gens déjà, indépendamment des par­ticularismes locaux sur la justice, allez interroger n’importe qui dans la rue pour savoir s’il faut supprimer le 26 décembre ou le Vendredi Saint, vous verrez ! C’est ancré dans l’histoire. Dans bon nombre de matières où le droit local existe, ça reste encore parfois plus avancé que le droit dans les autres départements. On dit souvent copié, jamais égalé. J’ai toutefois une inquiétude. Il y a actuellement une réforme de la commission du droit local, le 1er février vient d’être publiée la composition de cette commission qui est tout de même présidée par la préfète du Grand Est (ndlr : voir notre article page 13). L’État a chargé une commission présidée par une représentante de l’État, pour se prononcer sur des projets de l’État. Elle doit donner son avis sur tout projet de loi susceptible de toucher certaines dispositions du droit local. Les projets de loi émanent souvent de l’État. »

« Nous avons l’idée de créer une crèche »

- Votre profession se féminise-t-elle ?

- A.M. : « Notre barreau se féminise très largement comme beaucoup de professions judiciaires. Il y a un peu moins de 60% de femmes et on assiste aussi à un renouvellement de générations. On a beaucoup de jeunes confrères. Au moment de notre prise de fonction l’année dernière, on a été confronté à une difficulté. Il y avait pour certaines consœurs des difficultés de garde des enfants. Nous avons eu l’idée un peu folle de résoudre ce problème par la création d’une crèche. Au départ pour le barreau, dans un premier temps, jusqu’à l’étendre à l’ensemble des personnels judiciaires. On a mené une réflexion assez poussée, pour connaître les besoins. L’idée a suscité l’adhé­sion des chefs de cour. Les services de la Ville nous ont bien fait comprendre que cela ne serait pas chose aisée. Nous rencontrons dans nos métiers des contraintes horaires, que ce soit magistrats, greffiers ou avocats, on sait quand commence l’audience, on ne sait jamais à quelle heure elle se termine. On voulait trouver une solution à ce problème. Notre projet va aboutir dans les prochains mois sous la forme d’un partenariat avec la Ville qui vient de créer une maison d’assistantes maternelles sur la Colline Sainte-Croix. Nous sommes en négociation avec cette association pour avoir des places, des berceaux qui nous seraient proposés par priorité. On a bon espoir que cela aboutisse au printemps ou cet été. »

- Vous participez au financement ?

- D.Z. : « Oui, on va participer aux charges de fonctionnement au prorata des places. C’est un très beau projet. On n’est pas pilote en la matière. Cela se fait déjà à Marseille avec deux micro-crèches, à Bordeaux également où ils avaient des fonds propres pour acheter un immeuble au centre-ville et effectuer des travaux, avant de confier la crèche à une structure privée. On est en contact avec la Ville sur ce sujet depuis un an. On a initié ce projet dès notre arrivée. »

« La justice veut avant tout rester humaine »

- Comment percevez-vous la numérisation, l’arrivée de l’IA, l’intelligence artificielle. Quel impact ont-elles sur votre métier ?

- D.Z. : « Le numérique est un outil de fonctionnement, pas de pensée. On travaille de façon dématérialisée. Cela a mis du temps à fonctionner, une version 2 va être mise en œuvre. »

- A.M. : « Au pénal à Metz, les procédures sont bien avancées, il n’y a plus de papier. Il y a une plateforme pénale qui permet aux juridictions pénales d’adresser aux avocats directement les convocations, les expertises. Du point de vue civil, il n’y a plus d’audience physique, on envoie des instructions au tribunal via cette plateforme, jusqu’au moment où le dossier est clôturé et là il est plaidé à une audience physique. Cela fait gagner beaucoup de temps, en temps d’audience. Cela ne veut pas forcément dire un éloignement du justiciable par rapport à son juge. Tout ne peut pas être dématérialisé. La justice veut avant tout rester humaine. »

- Quels sont vos liens avec les autorités nationales ?

- D.Z. : « Les 163 barreaux de province sont réunis en une confé­rence, qui n’est pas le CNB, la conférence nationale des bâtonniers. La conférence provinciale est représentée au niveau du CNB. Mais Paris ne fait pas partie de la conférence des 163 barreaux. La pro­vince est un contrepoids. »

- A.M. : « Au sein de la conférence, la règle est bien un barreau, une voix. Ce qui veut dire qu’un barreau de 15 avocats aura le même poids qu’un barreau comme celui de Bordeaux ou Strasbourg. »

- Quand vous vous présentez pour être bâtonnier, vous faites campagne?

- D.Z. : « Tout dépend s’il y a un opposant ou pas. Il y a toujours une campagne, on est invité par l’Union des jeunes avocats. On présente notre projet. Généralement il n’y a pas profusion de candidats. C’est plus difficile dans les plus petites juridictions, comme Briey où il y a 19 avocats. Le bâtonnier peut y faire plusieurs mandats. »

« Un conseil, se former ! »

- Quels conseils donneriez-vous aux jeunes avocats ?

- D.Z. : « Déjà se rappeler des cinq mots du serment de la profession. Se former. Il y avait un temps un stage, on était avocat stagiaire, on ne pouvait postuler dans un dossier sans son maître de stage. Le stage a disparu en 2007. De fait, il devenait difficile à la sortie de l’école, de trouver un stage. Donc le conseil c’est bien de se former. Ne pas prendre ce qu’on ne sait pas faire. Une de nos missions est aussi de former, notamment la formation continue dans le domaine des permanences pénales. »

- A.M. : « On peut désormais poser une plaque en sortant de l’école, après avoir prêté serment, ce qui n’était pas possible avant. Il reste une difficulté, car bon nombre d’avocats quittent le barreau dans les toutes premières années d’exercice. »

- D.Z. : « Il y a toutefois une petite évolution, inscrite dans une loi du 31 décembre dernier. Elle concerne la formation des élèves avocats. Le Conseil de l’Ordre va devoir désigner un référent pour suivre un jeune avocat dans les deux premières années. On ne revient pas au stage, mais il y a une tutelle. C’est une demande de la profession, mise en œuvre par la conférence des bâtonniers et le CNB. Encore faudra-t-il le mettre en place, et ça ne va pas être simple. Mais on le fera. »

* Me Anne Muller était en audience avant de rejoindre notre entretien.

Propos recueillis par Bernard KRATZ et Frédéric CHALAYE