Interview Paru le 12 mars 2024
MAÎTRE ÉRIC RICOU, Président du Conseil Interrégional des Notaires d’Alsace-Moselle :

« Le droit local mérite d’être connu et défendu »

Élu à la présidence du Conseil interrégional des notaires d’Alsace-Moselle, le 30 juin 2023, Éric Ricou, notaire à Benfeld (Bas-Rhin), est tout à la préparation du centenaire du droit local, organisé, le 17 juin prochain, à Strasbourg. À cette occasion il entend bien démontrer que le droit local est un droit ouvert, moderne, inspirant et tout à fait adapté aux exigences de notre société.

MAÎTRE ÉRIC RICOU, Président du Conseil Interrégional des Notaires d’Alsace-Moselle

Le Conseil interrégional des notaires d’Alsace- Moselle organise en juin prochain le 100ème anniversaire du droit local. Quel message voulez-vous faire passer à cette occasion ?

Éric Ricou : Le droit local est mal­heureusement trop souvent mé­connu et caricaturé : nous sou­haitons donc vraiment montrer ce qu’il est. Plus qu’un simple produit de l’histoire, il est une rencontre entre deux cultures, entre deux systèmes juridiques, le droit français et le droit allemand. Au-delà des textes il représente également une construction du lien social très intéressante. Lors du vote de la loi française de 1924, dont le rapporteur était le député mosellan, Robert Schuman, le législateur s’est rendu compte que le droit local était en avance sur beaucoup de points par rapport au droit français. La loi de 1924 est en fait une conciliation du droit français et du droit allemand : elle est totalement innovante.

Aujourd’hui, d’aucuns se demandent pourtant s’il n’est pas un peu dépassé ?

E. R. : Certainement pas, et je dirais même bien au contraire. Tout récemment, à l’occasion des États généraux de la Justice, beau­coup de préconisations émises pour rapprocher la justice civile du terrain ressemblent comme deux gouttes d’eau à ce qui est pratiqué en droit local. Et le ministère de la Justice a récemment indiqué que, sur certaines questions de justice civile, il entendait se rapprocher du droit local alsacien-mosellan. 100 ans après, le droit local constitue toujours et encore une source d’inspiration.

« Le droit local favorise les règlements amiables »

Pouvez-vous donner quelques exemples ?

E. R. : Oui, prenons l’exemple du partage judiciaire. Un désaccord apparaît entre deux parties à l’occasion d’une succession ou d’un divorce, la procédure permet de faire une simple requête auprès du tribunal et de demander un partage judiciaire. Le tribunal désigne un notaire, qui sera chargé de conduire ce partage judiciaire. Or il faut savoir que dans l’immense majorité des cas, ces partages judiciaires aboutissent à des conciliations amiables. Cela contribue donc au désencombrement des juridictions et à la fluidification de la justice. 

Attention, nous ne nous substituons pas au juge : simplement nous accompagnons les juridictions sur ces missions de partage judiciaire ou d’exécution forcée immobilière, en amenant les parties à des conciliations sous le contrôle du juge et le plus souvent en présence d’avocats. À l’occasion du centenaire, nous entendons justement démontrer que le droit local est tout à fait ouvert puisqu’il associe les magistrats, les avocats et les notaires.

Vous évoquiez l’exécution forcée. Dites-nous en plus.

E. R. : C’est une autre délégation judiciaire confiée aux notaires. Un débiteur ne paye pas sa créance : le créancier saisit le juge, lequel désigne un notaire chargé de mettre le bien en vente aux enchères. Et en fait très souvent, avant même de commencer les premiers débats, on parvient à des règlements amiables, évitant ainsi la vente aux enchères. Le droit local favorise de manière évidente ces règlements amiables.

Avec de tels avantages, pourquoi le droit local se sent-il menacé ?

E. R. : Je vais vous faire une confidence : je suis notaire depuis quelques décennies et j’entends à intervalles réguliers la suppres­sion annoncée du droit local. Or, quand nous creusons au-delà du slogan, nous nous rendons compte que ceux qui pratiquent le droit local y sont très attachés et même qu’il est tellement perti­nent que le ministère de la Justice s’y intéresse. C’est l’enjeu du centenaire que nous organisons : démontrer que le droit local offre des perspectives.

Le Livre foncier pourrait-il lui aussi intéresser la France de l’intérieur ?

E. R. : Je ne suis pas sûr que la France de l’intérieur souhaite s’en inspirer. Mais je voudrais souligner sa grande efficacité, sa solidité juridique, sa modernité grâce à un accès direct et facile par internet. Nous avons même reçu, il y a quelques années, une délégation du ministère de la justice chinois qui souhaitait savoir comment cela fonctionnait.

Où en êtes-vous de la fusion des trois chambres notariales de Moselle, du Bas-Rhin et du Haut- Rhin, comme le ministère vous y invite ?

E. R. : La fusion est souhaitée par le ministère ainsi que par les instances de la profession en général. Nous menons actuellement une réflexion à ce sujet. Mais dès qu’on aborde ces questions de fusion, il convient de veiller à ce que chaque territoire se retrouve dans le projet. Un jour ou l’autre la fusion se réalisera ; le vrai sujet est celui de ses modalités. Nous devons veiller à ce que les trois territoires soient vraiment constructeurs de la fusion et ne perdent pas leur identité. Mais je crois que notre identité commune, jus­tement bâtie autour du droit local, est elle-même très forte. Par ailleurs, déjà aujourd’hui, la plupart des sujets remontent au niveau du Conseil interrégional : nous avons même créé notre marque commune, les Notaires d’Alsace-Moselle.

Dans quel délai la fusion pourra-t-elle se faire ?

E. R. : La procédure est assez longue. Dès lors que nous l’enclen­cherons, il faudra compter pas loin de dix-huit mois. Ce serait pré­somptueux de ma part de vous dire aujourd’hui quand cela se fera.

Proximité avec les citoyens

On dit qu’il manque de notaires en Alsace- Moselle. Comment faire pour qu’il y en ait plus ?

E. R. : La loi « croissance » de 2015 entendait faciliter la création de nouvelles études notariales. En Alsace-Moselle, le nombre de notaires avait assez sensiblement augmenté avant même le vote de la loi1. Nous sommes tout à fait favorables à accueillir de nou­veaux notaires à condition que leur mode de nomination respecte le droit local. Je rappelle qu’en Alsace-Moselle nous ne vendons pas les études, ni ne les achetons. Quand dans le reste de la France, les nouveaux notaires sont choisis par tirage au sort, en Alsace-Moselle, nous les nommons, notamment, sur des critères d’ancienneté, lors d’une commission de présentation présidée par le premier président de la cour d’appel.

Quelle marque voulez-vous laisser à l’issue de votre présidence, qui s’achèvera en juin 2025 ?

E. R. : Je voudrais que l’on retienne que le droit local est vérita­blement ouvert et pertinent : il mérite d’être connu et défendu. La Commission du droit local est enfin installée2; j’en suis membre. Je ne préjuge pas de ces travaux, mais j’espère bien qu’elle sera l’occasion de mettre en lumière et de défendre notre droit local.

En 2015, vous aviez initié une rencontre avec des citoyens strasbourgeois dans un bar. Pourriez-vous renouveler cette initiative ?

E. R. : Non pas comme ça. Mais nous entendons bien démon­trer et encourager cette idée de proximité du notariat alsacien-mosellan avec l’ensemble de la population. Nous sommes présents dans beaucoup de manifestations afin de tisser les liens avec nos concitoyens. Nous sommes là pour être sur le terrain. Nous sommes d’ailleurs très impliqués dans les conseils départementaux d’accès au droit.

 

Notes

1) Depuis 2015, le nombre de notaires libéraux des 3 départements (Moselle, Bas-Rhin et Haut-Rhin) a progressé de 20% passant de 261 à 313.

2) La commission de droit local a été recréée en août 1985 sous l’impulsion du Garde des Sceaux de l’époque, M. Robert Badinter.

 

Le congrès des 100 ans

À l’occasion du prochain congrès interrégional des notaires d’Alsace-Moselle, le 17 juin prochain au théâtre du Maillon, à Strasbourg, ces derniers célébreront 100 ans de droit local sous le titre : « Le droit local : un siècle de modernité au coeur de l’Europe ».

Magistrats, avocats, universitaires, notaires d’Alsace-Moselle, président des notaires du Bade-Wurtemberg, présidente du conseil supérieur du notariat sont notamment attendus. Une invitation a été envoyée au Garde des Sceaux. Soit en tout, entre 700 à 900 personnes.

Quatre thématiques principales seront abordées : le notaire artisan de la justice à l’amiable, l’adaptation du droit local aux nouvelles technologies, les prescriptions en droit local et l’adaptation du droit local à toutes les évolutions.

« Il ne s’agit pas de dire que le droit local est mieux que le droit général, précise Me Éric Ricou, président du Conseil interrégional des notaires d’Alsace-Moselle, mais nous voulons affirmer la pertinence du droit local et la source d’inspiration qu’il constitue. Et pour ce faire, nous donnerons la parole à plein d’autres personnes qu’aux notaires eux-mêmes. »

Jean de MISCAULT