Interview Paru le 19 mars 2024
LAURENT RICHE, PRÉSIDENT DE L’ADIRA

« 2023 a été une bonne année pour l’attractivité de l’Alsace »

En 2023, l’Agence de Développement d’Alsace (Adira) a accompagné 232 projets de développement d’entreprises ou d’installation de nouvelles entreprises. Les perspectives pour 2024 sont incertaines en raison d’un retournement de la conjoncture, notamment en Allemagne. Tour d’horizon avec, Laurent Riche.

LAURENT RICHE, PRESIDENT DE L’ADIRA

La nouvelle gouvernance de l’Adira change-t-elle quelque chose dans la politique de développement économique de l’Alsace ?

Laurent Riche : À l’occasion de la création de la Collectivité eu­ropéenne d’Alsace (CeA), les Accords de Matignon ont intégré la Région Grand Est et les EPCI au financement de l’Adira. La clé de répartition est désormais la suivante : 40 % pour la CeA, 40 % pour la Région et 20 % pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Et les nouveaux statuts de l’association adoptés, le 15 juin 2023, actent cet état de fait en installant une gouvernance tournante entre la Région, la CeA et les EPCI : chacun des trois ensembles assurant successivement la présidence pour un mandat de 2 ans, non renouvelable. Et donc, il a été souhaité que, pour inaugurer cette nouvelle gouvernance, l’agglomération mulhousienne assure la première présidence. À moi de montrer que cela fonctionne. Je suis par ailleurs maire de Kingersheim, vice-président de la Communauté d’agglomération de Mulhouse, en charge du développement économique et de l’attractivité, et, à ce titre, je siège au conseil d’administration de l’ADIRA depuis déjà plusieurs années. J’ai l’expérience du terrain très ancré localement, du travail avec les différents acteurs ; je pense que cette expérience de la proximité territoriale peut être utile à la gouvernance de l’Adira.

Quel est le bilan de l’Adira en 2023 ?

L. R. : Les chiffres sont équivalents à ceux de 2022, qui était déjà une bonne année pour l’Adira. Nous avons suivi un peu plus de 400 projets, dont 232 ont été concrétisés. Cela correspond à 2,5 milliards d’euros d’investissement et 4 000 ou 5 000 emplois créés ou maintenus. On peut citer Merck, à Molsheim, Cuisines Schmitt, à Sélestat, BASF, à Chalampé… Près de 90 % sont des projets de développement. Et Choose France vient d’annoncer 67 projets d’implantations d’entreprises internationales en Alsace pour l’année 2023. Mais attention, certains de ces projets pour­raient ne pas se réaliser. Nous suivons par ailleurs de très près 465 grandes entreprises, ETI ou PMI à enjeu.

D’où viennent les investisseurs étrangers ?

L. R. : D’abord l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche devant le Benelux et l’Italie. En dehors de l’Europe, ce sont essentiellement les Japonais et les Américains.

L’Alsace est encore attractive ?

L. R. : Oui, 55 % des investisseurs nous choisissent pour notre localisation géographique et près de 30 % d’entre eux justifient leur choix par la qualité de notre écosystème.

Un atlas foncier pour traquer l’espace disponible

Quelles sont vos perspectives pour l’année 2024 ?

L. R. : Nous ne savons pas encore bien comment la conjoncture va tourner. D’autant plus que les élections européennes et amé­ricaines auront aussi leur importance. Les entreprises annoncent de bons résultats pour 2023, mais elles nous disent avoir moins de visibilité pour les prochains mois. En même temps, Soprema a annoncé une relocalisation sur les terrains Stellantis, à Mulhouse. Il s’agit d’un investissement d’une cinquantaine de millions d’euros et de la création d’une centaine d’emplois.

La rareté du foncier pénalise-t-elle les projets d’investissement ?

L. R. : Oui, incontestablement. Nous sommes naturellement en­goncés entre les Vosges et le Rhin. La région est très densément peuplée et le « Zéro Artificialisation Nette » de la loi Résilience rebat les cartes plus que jamais. C’est pourquoi l’Adira travaille très activement sur un atlas foncier pour détecter le moindre espace disponible. Nous devons aussi réfléchir à la manière de moins consommer de foncier : notamment en agissant sur la hauteur des bâtiments d’entreprise ou la densification des installations. Nous avons rédigé avec la CCI et la Chambre de Métiers un guide de la sobriété foncière à l’usage des entreprises. Le travail est déjà engagé depuis longtemps, comme sur le sujet de la décarbonation de l’industrie. Sur ces questions, je pense que le territoire alsacien est plutôt exemplaire.

Suivez-vous des projets autour du lithium ?

L. R. : Oui bien sûr, mais nous avançons sur des œufs. Il y a un véritable problème d’acceptabilité par la population lié aux déboires récents de la géothermie. Il faut aussi distinguer l’éven­tuelle extraction du lithium de sa transformation industrielle. Il existe des projets notamment autour de Lauterbourg. Nous sommes au début d’une histoire.

L’Allemagne vient de connaître deux trimestres de croissance négative ? Cela vous inquiète-t-il ?

L. R. : Une situation équivalente avait déjà eu des conséquences négatives pour nous en 2009. La situation actuelle est un signal. Et nous savons que si une entreprise allemande dispose de deux sites, l’un en Allemagne, l’autre en France, en cas de difficultés majeures, elle aura facilement tendance à choisir l’Allemagne. Nous sommes en veille, car nous voyons bien que cela se tend.

Y aurait-il un mystère Huawei ?

Annoncé en grandes pompes en décembre 2020, le projet d’installation de l’usine Huawei sur le Business Parc de Brumath semble créer un léger embarras. « Le projet suit son cours, explique Vincent Froehlicher, directeur général de l’Adira. La construction avance, les recrutements vont être lancés. D’après les dirigeants de Huawei France, le projet suit son timing. » Pourtant la pause de la première pierre a été retardée. L’Union européenne, notamment en la personne du Commissaire européen chargé de la politique industrielle, Thierry Breton, a exprimé d’importantes réserves à l’encontre de l’entreprise chinoise. « Cela fait débat dans la société, reconnaît Laurent Riche. Pour autant, en tant que président de l’Adira, je ne peux pas en dire beaucoup plus. Mais vous savez, les problèmes d’acceptabilité sociale se posent sur beaucoup de dossiers. »

Jean de MISCAULT