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Interview Paru le 22 mars 2024
CHRISTINE RUETSCH, PRÉSIDENTE DE L’IJA DE STRASBOURG

Trouver les intérêts et les besoins de chaque partie, pour aboutir rapidement à une solution pacifiée, sans faire appel à un juge

L’Institut de Justice Amiable (IJA) a été créé par l’Ordre des avocats de Strasbourg, en octobre 2021. Son objectif est d’aider les citoyens à résoudre leurs problèmes juridiques sans nécessairement recourir aux tribunaux. Comment fonctionne cette association, quels sont les services proposés, comment est-elle financée... ? Christine Ruetsch, ancien bâtonnier et présidente de l’IJA, nous dévoile les rouages de cette institution quelque peu méconnue.

Christine Ruetsch, Présidente de l’Institut de Justice Amiable de Strasbourg

Quel est le sens de l’action de l’IJA ?

Christine Ruetsch : L’IJA est une initiative qui vise à offrir des solutions alternatives aux procédures judiciaires. Il s’agit d’une approche de justice amiable qui permet d’éviter de recourir à un tribunal. L’institut est au service des avocats et des justiciables (particuliers, administrations et entreprises). Nous accompagnons les avocats, pour que ceux-ci trouvent leur place dans ce mode-là. Souvent, le grand public a une image de l’avocat qui aborde plutôt une thèse de défense, avec un esprit gagnant, une volonté de gagner l’affaire. Mais il existe deux façons de traiter un dossier : plaider ou proposer une médiation.

Autrefois, l’avocat ne pouvait pas entrer en contact avec la partie adverse. Aujourd’hui, l’avocat, dans le cadre de sa prestation, doit également proposer une solution amiable, et par conséquent il est amené à prendre contact avec la partie adverse. D’autant plus qu’il connaît ces deux voies d’action. Un atout qui lui sera également utile lors de la rédaction d’un contrat, car il pourra y inclure plus facilement une clause amiable en cas de conflit.

Quelles sont ces alternatives à la plaidoirie ?

C. R. : L’IJA propose diverses méthodes alternatives de règlement des litiges, telles que la conciliation, la médiation, la procédure participative, le droit collaboratif et la négociation raisonnée. Ces approches permettent aux personnes de trouver des solutions en dehors des procédures judiciaires, réduisant ainsi le stress et les tensions associés aux litiges. C’est une initiative qui offre un soutien précieux aux justiciables, face à leurs difficultés juridiques. Plus précisément, la conciliation implique l’intervention d’un conciliateur pour faciliter la négociation entre les parties en conflit. La médiation est un processus où un tiers neutre (le médiateur) aide les parties à trouver un accord mutuel. Celui-ci favorise la communication et la recherche de solutions pacifiées. Quant à la procédure participative, elle encourage la collaboration entre les parties et leurs avocats pour résoudre le litige de manière constructive. La voie du droit collaboratif amène les avocats et les parties à travailler ensemble pour trouver des solutions, sans recourir à une procédure judiciaire. Ces méthodes visent à parvenir à un accord amiable en évitant les litiges devant un tribunal.

Quel est le rôle de l’IJA, dans cette démarche de médiation ?

C. R. : Nous avons une volonté : que les avocats soient formés à tous les aspects de la médiation : ce qu’ils doivent faire pour mettre en pratique cette démarche, pour quels types de dossier, comment préparer le client... Mais nous souhaitons aussi lutter contre l’idée reçue que cette voie engendrera un risque de perte d’honoraire. Car cela est faux ! En effet, l’accompagnement de la médiation sera facturé au client par l’avocat, au même titre qu’une préparation de dossier et une plaidoirie. Plus précisément, les modalités de facturation de ces prestations – c’est-à-dire les conseils, la rédaction des actes, l’accompagnement du client lors des médiations et des audiences, les apartés, l’audition du client et de la partie adverse (ou les échanges avec son avocat) – sont chiffrés au mettre titre qu’une plaidoirie. En fait, dans le cadre de la médiation, il y a fort à parier que les deux acteurs soient gagnants, chacun dans leur domaine : le client, qui au final dépensera moins d’argent car les recours sont coûteux, et l’avocat qui bénéficiera d’un gain de temps pour le traitement de ce dossier. En prime, le client sera satisfait ! Car à l’avenir, il n’est pas exclu que des avo­cats risquent d’enregistrer des plaintes, de la part d’anciens clients leurs reprochant de n’avoir pas proposé la voie de la médiation. Rappelons que l’avocat a une obligation de conseil. Dans ce cas, il lui serait reproché de ne pas avoir proposé cette voie, dont le délai de traitement est plus court.

Quelles juridictions sont concernées par l’IJA de Strasbourg ? Et concrètement, comment cela se passe-t-il ?

C. R. : Les avocats recensés à l’IJA peuvent intervenir sur trois juridictions : Strasbourg, Mulhouse et Colmar. Le justiciable peut contacter directement l’IJA, ou prendre contact avec l’un des avocats référencés dans la rubrique « Praticiens référencés » de notre site internet. Toutefois, si le litige porte sur un faible mon­tant, le justiciable sera initialement dirigé vers le conciliateur, car la médiation est payante, tandis que la conciliation est gratuite. Pour bien marquer la différence entre les fonctions du conciliateur et du médiateur, il est utile de préciser que le médiateur ne rédige pas le contrat de conciliation au terme de la rencontre, celui-ci est établi par les avocats. Contrairement au conciliateur, qui lui, rédige le contrat d’accord. De la même manière, si lors d’un procès le juge ordonne une médiation, le justiciable peut également prendre contact avec l’IJA pour choisir un médiateur.

L’avantage, dans le cadre de la médiation, réside dans le fait que les enfants – ou une personne tierce qui n’est pas en lien juridi­quement avec l’affaire, mais a un certain pouvoir de décision par exemple – peuvent être entendus.

Institut de Justice Amiable

Devenir Membre de l’IJA : Seuls les avocats du Barreau de Strasbourg peuvent devenir membres de l’IJA. Les membres ont accès au contenu enrichi réservé aux seuls membres de l’IJA. Et les personnes physiques auront la possibilité de faire une demande de référencement dans la ou les catégorie(s) proposée(s) par l’IJA, et pourront ainsi figurer dans la liste des Praticiens Référencés avec leurs informations professionnelles

Les avocats désignés par l’IJA sont recensés sur le site de l’institut.

IJA - 3 rue du Général Frère – 67000 Strasbourg – courriel : info@ija-avocats.fr – site internet : https://ija-avocats.fr

Quelle est la particularité de l’Audience de Règlement Amiable ?

C. R. : Dans le cadre du plan d’action pour la Justice de janvier 2023, dont le but est de rendre la justice plus rapide et plus ef­ficace, l’Audience de Règlement Amiable (ARA) a été introduite pour les litiges civils. Cette nouvelle procédure permet au juge d’aider les parties à trouver un accord. L’Audience de Règlement Amiable est tenue par un juge autre que celui traitant le litige. Cette convocation ne dessaisit pas le juge. Elle constitue une nouvelle cause d’interruption de l’instance et d’interruption du délai de péremption de l’instance.

En fait, pour toutes les affaires introduites au tribunal depuis le 1er novembre dernier, le juge peut transmettre le dossier à un autre juge, qui proposera une conciliation. Celui-ci peut énoncer les textes légaux aux justiciables, il peut aussi évaluer quels sont les besoins des deux parties. Cela devient une « conciliation teintée de médiation ». Ce juge conciliateur a une totale liberté : quelle méthode choisir, porter la robe ou non... Bien sûr, les discussions ayant lieu lors des entretiens préalables et lors de la conciliation restent confidentielles. Tout comme le motif d’échec, lorsque l’ac­cord n’aboutit pas. Dans le rapport, le nom de la personne n’ayant pas souhaité accepter un accord, ou ne s’étant pas présentée n’est jamais indiqué.

Une démarche identique est également en cours pour les conci­liations concernant les entreprises, avec l’intervention d’un juge commerçant.

Mettre en place un protocole semble indispensable, et à l’IJA nous y travaillons. Ces audiences ont commencé en janvier, par conséquent nous n’avons pas encore suffisamment de recul pour évaluer la pertinence de cette nouvelle méthode.

La conciliation semble être au cœur de l’institution judiciaire. Est-ce une bonne idée ?

C. R. : Dans les cas de conflit de voisinage, de succession et de divorce, les parties sont appelées à se revoir. De fait, la médiation est toute indiquée. De plus, pour les petits litiges (inférieurs à 5 000 €), les parties sont obligées de tenter une conciliation avant la procédure pénale. Cette contrainte préalable est imposée. Par ailleurs, le juge peut contraindre à une procédure de médiation, malgré les préconisations des avocats. Sachant que les délais de procédures sont longs, la médiation offre la possibilité de traiter plus rapidement un différend, c’est un atout. Je pense que ce moyen permet aussi de redonner confiance au justiciable, qui craint la longueur des délais d’instruction, et ne fait plus confiance à la justice. Clairement, la confidentialité et l’impartialité sont des éléments très importants, qui peuvent motiver des entreprises à faire appel à la médiation.

Nous sommes ouverts à tous les modes de médiation. Pour dé­velopper cette nouvelle option, qui va à l’encontre des habitudes, il faut user de beaucoup de patience et de persuasion. Mais elle offre une humanisation, une pacification des relations, et l’humain est remis en avant... Cela pourra se réaliser au mieux, par le biais des formations des avocats et des juges. Il faudrait que le magistrat soit formé à la médiation et soit rémunéré en conséquence. L’IJA se propose d’accompagner les avocats dans cette démarche, et de favoriser, dans le cadre de la formation continue, le développe­ment de ces méthodes. Actuellement 15 médiateurs sont formés et référencés à l’IJA. Et nous sommes très rigoureux : si l’avocat ne satisfait pas à l’obligation de formation, il est retiré de la liste.

Quel sera votre plan d’action en 2024, en termes de formations et de communication ?

C. R. : La formation est l’une de nos activités, comme la promotion de tous les modes amiables de résolution des différends. Une for­mation est offerte aux avocats de Strasbourg, sur le fonctionnement de la médiation. Et l’IJA propose également une session sur la créativité en médiation « comment avancer, en médiation, quand tout a déjà été dit ou entendu, sans succès ? ». D’autres formations à l’accompagnement, à destination des avocats, sont régulièrement proposées. Ainsi que des sessions avec des magistrats, portant sur l’audience amiable, pour mieux connaître les rôles de chacun, et attirer l’attention des confrères sur cette nouvelle procédure.

Et bien entendu, nos avocats médiateurs œuvrent dans le cadre des médiations ordonnées par les juridictions, ou à la demande directe de parties en litige.

En matière de communication, l’IJA intervient lors de la journée des avocats, et de la Nuit du Droit.

Cette année, nous allons organiser un colloque, qui se déroulera en octobre, pendant la semaine de la médiation. Il sera à destination du grand public.

Les différentes formations proposées par l’IJA

– L’ avocat Accompagnant en Médiation, au terme d’une formation de 3 jours, peut accompagner son client dans toutes les procédures, lors du mode amiable.

– Le Praticien de Droit Collaboratif : l’avocat acquiert ce titre suite à une formation de 26 heures. Il a pour fonction d’essayer de trouver une solution amiable, lors de la discussion. Si aucun accord n’est conclu, cet avocat ne suivra pas le client. Il y aura un changement d’avocat pour la suite de la procédure judiciaire.

– Le Praticien de Procédure Participative : les avocats ayant suivi cette formation, assistent les parties, et mettent en l’état les pièces du dossier de leur litige.

– L’avocat est médiateur suite à une formation de 200 heures. C’est une émanation du tribunal. Il est désigné par la cour d’appel. Son rôle ? Essayer de trouver un accord en proposant des solutions. Il est incitatif.

– Les formations à thème : des sessions sont proposées régulièrement aux avocats, afin d’approfondir différents sujets, tel qu’une journée théorique avec jeu de rôle avec les citoyens ; les modalités de rédaction de lettre de mise en demeure ; la façon de rédiger une saisine au tribunal, afin d’y intégrer le souhait de la méthode amiable...

– Formation gratuite d’une demi-journée, avec l’Ordre des Avocats

De quelles formes de financement bénéfi­ciez-vous ?

C. R. : L’IJA fonctionne grâce aux cotisations des membres, au paiement d’un droit de référencement, aux inscriptions des forma­tions, et à une subvention de l’Ordre des Avocats. J’occupe mon poste de Présidente à titre bénévole.

Concernant les médiations, les médiateurs sont payés par les parties, mais la première rencontre d’information est gratuite. À ce niveau-là, un effort est fait au niveau de l’aide juridictionnelle. C’est significatif, mais pas suffisant. Le Médiateur Familial est le seul diplôme d’État – financé par l’État –, donc qui implique moins d’effort financier de la part des parties en conflit. Le tribunal peut aussi décider du montant de la médiation, et de la répartition financière pour les parties.

Dans quelle proportion la médiation sera-t-elle utilisée, dans les années à venir ?

C. R. : À Strasbourg, les délais de traitement des dossiers ne sont pas importants, donc la médiation n’a pas pour vocation de désengorger les tribunaux. Même si les délais de jugement de la chambre commerciale et du tribunal de petit litige sont plus longs, peu de médiations et conciliations sont proposées en général. À l’IJA, nous avons la volonté de mettre en place et de généraliser ces modes de médiation, c’est un état d’esprit.

Dorénavant, des statistiques portant sur le nombre de médiations mises en œuvre, et leurs taux de réussite, seront établies par juri­diction. Celles-ci seront prises en compte au niveau du Ministère. Cela incitera peut-être les juges à contraindre les parties à utiliser cette voie, malgré les préconisations des avocats.

En parallèle, la Cour d’Appel sera vigilante, car elle chapeaute cette nouvelle politique. Elle interviendra auprès de la juridiction qui serait plus mitigée au niveau de la mise en place de la procédure de mé­diation. Cela se fera par rapport aux statistiques qui vont paraître.

Quelles sont les incidences suite à la prise de fonction de la nouvelle Bâtonnière, et de l’arrivée du nouveau Président du Tribunal Judiciaire de Strasbourg ?

C. R. : Madame la Bâtonnière Paule Thines est tout à fait ouverte à maintenir la continuité de la justice amiable. Et la participation du Comité de Pilotage fonctionne sur le mode amiable. Quant au nouveau Président du Tribunal Judiciaire de Strasbourg, Philippe Babo – qui occupait préalablement cette fonction au tribunal de Mulhouse – nous avons demandé à le rencontrer avant la tenue du comité. Toutefois, il semble dans le même état d’esprit.

Nous devons définir avec eux le plan d’action en matière de modes amiables.

Les différents modes de procédures amiables :

La Médiation : la médiation est un processus amiable par lequel les parties tentent de parvenir à un accord, avec l’aide d’un médiateur – tiers neutre impartial et indépendant – formé aux techniques de gestion des entretiens et de résolution des conflits. Elle peut être mise en place avant ou pendant le procès, et reste une démarche volontaire et acceptée par les parties. La médiation est parfois obligatoire, par exemple lorsqu’une clause de médiation est incluse dans un contrat, mais les parties y ont consenti par avance. Le médiateur accomplit sa mission avec impartialité et ne peut ni trancher, ni contraindre. Il reçoit les parties dans le cadre d’entretiens pour favoriser l’expression et la compréhension du différend, des points de vue et des attentes. L’avocat peut participer à l’élaboration de l’accord de médiation, et intervenir en vue de son homologation et de son exécution. Les parties restent libres d’arrêter à tout moment la médiation. Le client est acteur de la solution apportée au différend, solution négociée et consentie. L’accord peut être homologué par un juge et les échanges sont complètement confidentiels.

La Conciliation : dans le cadre d’une procédure judiciaire, la conciliation peut être mise en œuvre par le juge, ou déléguée à un conciliateur de justice. La conciliation judiciaire est obligatoire par la loi dans certains domaines (phase de conciliation dans les litiges prud’homaux). L’avocat accompagne son client tout au long du processus de conciliation.

La Procédure Participative : Les parties, assistées de leur avocat respectif, s’engagent sur une durée déterminée à négocier pour tenter de résoudre amiablement leur différend avant de saisir un juge ou un arbitre ou au moment de la saisine. Les parties échangent leurs demandes, arguments juridiques et pièces, au rythme qu’elles auront déterminé. Elles peuvent recourir à un technicien si nécessaire. L’accord rédigé par les avocats peut être soumis à l’homologation du juge. En cas de désaccord, la saisine du juge par les avocats est simplifiée, le litige sera tranché par le Tribunal sur la base des échanges intervenus dans le cadre de la convention. Les négociations sont encadrées par un contrat : L’avocat assiste et conseille son client. Il est garant de ses droits et de la procédure, pendant les négociations et devant le juge. Le temps et le coût de la négociation sont maîtrisés.

Le Droit Collaboratif : c’est un processus dans lequel les parties et leurs avocats s’engagent contractuellement à régler leur différend sans le porter devant les tribunaux, sauf en vue de présenter leur accord pour une homologation. Le droit collaboratif repose sur l’implication des parties et de leurs avocats. Tous participent ensemble à la recherche d’une solution constructive et apaisante. Les négociations ont lieu lors de rencontres dans les cabinets d’avocats. Ces rencontres visent à lister les différends à régler, échanger sur les intérêts et besoins de chacune des parties, établir les intérêts communs, détailler les solutions envisageables, négocier et rédiger des accords. Si ce processus n’aboutit pas, les clients retrouvent leur liberté pour saisir les tribunaux et chacun des avocats doit se décharger du dossier. Les échanges et l’ensemble du processus sont confidentiels. C’est un travail d’équipe, qui se réalise dans un climat de confiance, ce qui favorise une véritable créativité dans la recherche de solutions et une communication efficace. Il y a une pérennisation des relations au travers des accords.

La Négociation et la Transaction : Les avocats négocient une solution amiable sans tiers, un protocole d’accord est rédigé par leurs soins et peut être homologué par le Tribunal. Les discussions ont lieu par écrit, de manière confidentielle, les écrits étant couverts par la confidentialité des correspondances entre avocats. Les échanges sont confidentiels. La Discussion a lieu en confiance entre le client et l’avocat qui relaie les demandes auprès de l’avocat de l’autre partie. En matière de divorce, il n’y a plus besoin de passer par le Tribunal.

CH. BE