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Interview Paru le 17 mai 2024
RENCONTRES EUROPÉENNES DE L’ARCHITECTURE

Caroline Leloup : « Nous voulons rendre l’architecture accessible au grand public »

Les rencontres européennes de l’architecture ont permis cette année de découvrir la pratique de l’architecture d’un pays européen, l’Irlande. Une rencontre qui s’est déroulée à l’Arsenal de Metz et qu’a organisée la Maison de l’architecture de Lorraine. Sa présidente, Caroline Leloup, a accordé une interview aux Affiches d’Alsace et de Lorraine.

Caroline Leloup, présidente de la Maison de l’architecture de Lorraine.

La 7e édition des Rencontres européennes de l’architecture, une initiative des trois Maisons de l’architecture de la région Grand Est, a été organisée par la maison de l’architecture Lorraine. Elle s’est tenue les 4 et 5 mai, devant un public nombreux et connaisseur, à l’Arsenal à Metz. Et ce n’est pas un hasard, ce lieu est un véritable écrin architectural créé par Ricardo Bofil en 1989. Il regroupe trois salles de concert et appartient à l’établissement culturel de la Cité musicale de Metz. C’était surtout l’occasion de mieux connaître ce métier dont il existe un Ordre qui fixe les règles de déontologie de sa pratique. Caroline Leloup, architecte à Nancy, et présidente de la Maison de l’architecture de Lorraine, nous en dit plus et évoque ces rencontres originales qui constituent des moments de découvertes, de partage, d’enrichissement autour de la question du bâti et de la transmission de l’architecture.

- Expliquez-nous le sens de ces Rencontres européennes de l’architecture ?

- Caroline Leloup : « C’est la 7e édition de ces rencontres euro­péennes. On a commencé en 2017. C’était au moment où les trois ordres de l’architecture de Lorraine, Champagne-Ardenne et Alsace ont dû fusionner pour le Grand Est. Les Maisons de l’architecture des trois régions, qui ont des actions ciblées vers le grand public, ont voulu rester chacune sur leur territoire, pour rester proche des gens. Malgré tout, nous avons eu la volonté de mener une action à l’échelle du Grand Est qui nous réunissait. »

La transmission au grand public »

- C’est quoi au juste une Maison de l’archi­tecture ?

- C.L. : « Ce sont des associations avec une mission régalienne de l’Ordre des architectes déléguée aux Maisons de l’architecture. C’était le point de départ. Cette mission était de diffuser la culture architec­turale au grand public, de le sensibiliser. Elles sont plus ou moins en lien avec leurs ordres dans les différentes régions. Les architectes participent à ces rencontres, mais les Maisons de l’architecture ne sont pas missionnées pour faire des actions pour les architectes. Leur vocation c’est la transmission, la diffusion de la culture archi­tecturale vers le grand public. Lors de ces rencontres on essaie de rendre l’architecture accessible. On a toujours peur de ce qu’on ne connaît pas, plus les gens seront informés, cultivés et éduqués sur ces questions d’architecture, mieux ils comprendront la place de l’architecture dans la société, son rôle alors que la problématique écologique est très présente. L’architecture dans ce contexte peut solutionner des choses, mais elle ne solutionnera pas grand-chose si tout le monde ne s’y met pas. On a vraiment intérêt à ce que le public ait accès à une base de savoir commune. »

- Quelle est la vocation de l’ordre des archi­tectes ?

- C.L. : « C’est une profession réglementée avec un code de déon­tologie. Comme l’ordre des avocats. Quand on va commencer à travailler, après avoir obtenu son diplôme, on doit prêter serment. »

- L’architecture appartient-elle au quotidien des gens ?

- C.L. : « En fait si vous parlez d’architecture, personne ne vous dira qu’elle habite dans un lieu réalisé par un architecte. On vous mettra peut-être en avant, ceci est une maison d’architecte. Pour le grand public, le patrimoine reste le patrimoine, l’architecture ce sont les maisons d’architecture, ou alors des bâtiments comme des musées, des stades qu’on attribue plus aisément à des archi­tectes. D’où l’importance de sensibiliser les gens. Nous mettons en place des conférences, des ateliers jeune public, on a un festival de films d’architecture dans lesquels on diffuse des films sur une certaine thématique. »

L’architecture en Irlande

- Cette année, les rencontres ont fait découvrir l’architecture en Irlande ?

- C.L. : « Cet événement, organisé par les trois Maisons de l’Architecture, invite trois architectes d’un pays européen. Cette année l’Irlande. Nous avions invité Shane de Blacams, diplômé de l’University College de Dublin en 1968 et de l’école d’architecture de l’Université de Pennsylvanie USA en 1970. Il y avait aussi Taka, un cabinet d’architectes de Dublin fondé en 2008. Ce cabinet a participé à la Biennale de Venise à plusieurs reprises. Enfin les Grafton Architects, Yvonne Farrel et Shelley McNamara leurs fon­dateurs qui ont décroché le Prix Pritzker 2020, c’est l’équivalent du Nobel pour les architectes. L’idée des rencontres européennes est de montrer comment on pratique l’architecture dans d’autres pays. En l’occurrence, on le fait dans des lieux où l’ont fait d’autres activités : musique, danse comme ici à l’Arsenal de Metz. Nos in­vités étaient de trois générations différentes et nous ont montré la filiation qu’il pouvait y avoir dans leur architecture. Eux travaillent beaucoup sur les matériaux, sur la matérialité des choses et sur les espaces offerts par l’architecture. »

- Il y a une filiation entre eux ?

- C.L. : « Le format de la manifestation comprend trois petites conférences d’une demi-heure et ensuite des échanges avec le public. Et la filiation est apparue très vite évidente entre les trois, d’autant que chacun a fait référence aux deux autres. Shane de Blacams est âgé de 80 ans. Il a commencé, les Grafton ont pour­suivi en faisant référence au travail de Blacams et Taka a terminé en évoquant les deux confrères. Une approche intéressante qui a séduit les 150 personnes présentes. C’est une des plus belles éditions. »

- À quoi ressemble cette architecture en Irlande ?

- C.L. : « C’est une architecture qui va travailler avec des matériaux, comme la pierre, la brique, le bois, en les utilisant de manière brute. Ils ne sont ni emballés, ni recouverts. Elle intègre des espaces offerts, une galerie ouverte sur la rue, des espaces que l’architec­ture propose en plus. Ce n’est pas une architecture spectaculaire, elle s’intègre dans les lieux. Je pense à l’hôtel conçu par M. De Blacams, qui est sur des rochers. On a l’impression que le bâtiment est sorti des rochers. Ce n’est pas démonstratif, c’est de qualité. »

« On a toujours besoin d’exceptionnel »

- Est-ce que les réalisations spectaculaires que l’on connaît chez nous, pyramide du Louvre, Centre Pompidou et bien d’autres, réalisées par des grands architectes, aident-elles le grand public à mieux appréhender l’architecture ?

- C.L. : « J’ai envie de vous dire que cela fait connaître l’architecture par son côté exceptionnel. On a toujours besoin d’exceptionnel : ça nous transporte, ça nous fait rêver, voyager. Mais c’est aussi une façon de dire que l’architecture, c’est pour tous. L’architecture est sociale, elle crée du lien, elle réunit. »

- L’architecte a des défis à relever. Il doit apporter des solutions ?

- C.L. : « Ce n’est pas en contradiction. On a toujours besoin d’architecture exceptionnelle pour des projets exceptionnels. Le travail de l’architecte n’est pas de prouver qu’il va faire plus gros que celui d’avant. Mais l’architecture est aussi quotidienne. Elle concerne tout le monde. »

- On peut le dire de la Cité radieuse de Le Corbusier à Briey qui est un bâtiment collectif : c’est le quotidien qui est pris en compte ?

- C.L. : « Oui. Un certain quotidien, une certaine perception. Il y a du reste un superbe film qui a été fait sur cette Cité radieuse de Briey. Il faisait parler les habitants de leur quotidien. »

- Quel est aujourd’hui le défi de l’architecte, de vivre avec son temps ?

- C.L. : « C’était assez clair dans les discours de nos trois architectes irlandais. M. De Blacams, quand il fait l’architecture en terre, en pierre, il n’y a pas ces questions d’isolation, et de thermique. Et aujourd’hui quand les architectes de Taka construisent, ce mur en brique laisse un espace pour y glisser un isolant. Cela n’empêche qu’ils vont montrer le matériau, de manière différente. »

L’architecture frugale

- Vous avez parlé d’architecture frugale ?

- C.L. : « C’est une architecture attentive au contexte, à ses res­sources, à l’environnement. Nous avions évoqué ce sujet lors de rencontres consacrées à l’Espagne. Et les architectes disaient clairement que cette architecture frugale s’était imposée naturelle­ment pour des raisons purement économiques. Ils en revenaient à l’essentiel. L’architecture frugale porte son attention aux ressources du territoire, au bilan carbone. Mais, en définitive, c’est une archi­tecture qui met le matériau à l’honneur, les ressources matérielles et humaines du territoire. »

- Est-ce que l’informatique vous simplifie la vie dans votre travail ?

- C.L. : « J’ai tout de suite travaillé sur l’ordinateur. C’est plus facile. Quand vous étiez sur du calque, la moindre erreur vous obligeait à tout reprendre. J’ai appris à l’école à travailler sur le calque. Avec l’informatique, c’est plus aisé d’intervenir sur le modèle, d’interagir. Il faut savoir l’utiliser à bon escient. »

« Une des professions les plus pauvres »

- Comment se porte la profession d’architecte, en Lorraine par exemple ?

- C.L. : « De manière générale, pas seulement en Lorraine, c’est une des professions les plus pauvres. Assurément. Ce n’est pas pire en Lorraine qu’ailleurs. Les architectes vivent difficilement de leur métier. Vous avez un grand nombre d’architectes qui n’ont pas le Smic. L’explication : c’est difficile d’accéder à la commande. Pour construire un premier bâtiment, il faut avoir des références, parce que le grand public ne fait pas appel aux architectes. Prenez la Belgique, au premier m² construit, vous devez faire appel à un architecte. Chez nous c’est à 150 m². En France, pour le particu­lier, l’architecte c’est celui qui va vous prendre des sous… Alors qu’en Belgique l’architecte est quelqu’un qui fait partie du jeu de la construction. Il n’y a pas de question à se poser. Alors qu’avec un architecte vous bénéficiez d’une vision globale, une attention à l’usage. C’est comme pour les avocats, ce sont des professions portées par des mythes totalement imaginaires. Vous pouvez vous faire une idée sur le site de l’Ordre des architectes où figure un observatoire qui publie, tous les ans, les 100 plus gros chiffres d’affaires. Il devrait mettre en parallèle les 100 plus modestes. »

« Un métier passion »

- Est-ce qu’il y a des problèmes de formation ?

- C.L. : « Il y a finalement peu d’architectes au nombre d’habitants. Il y a des régions où il n’existe pas d’école d’architecture. C’est le cas en Champagne Ardenne. Il n’y a pas d’école d’architecture à Dijon. Il y en a 24 en France. Très peu de diplômés créent leur cabinet. Il y a beaucoup de filles dans les promotions, de 75% à 80%. À la sortie de l’école, elles choisissent une autre voie, celle de la diffusion, du conseil dans les CAUE (ndlr: conseil d’architec­ture, d’urbanisme et de l’environnement) pour les Départements, pour être du côté de la maîtrise d’ouvrage et non de la maîtrise d’oeuvre. C’est bien pour la profession, parce que vous avez en tant qu’architecte un interlocuteur qui a la même formation, qui parle le même langage. On en a besoin. Il faudrait plus d’architectes. Mais pour ça, peut-être faudrait-il plus de commandes. »

- Vous dépendez beaucoup de la commande publique ?

- C.L. : « Cela dépend. Des agences travaillent principalement avec le privé. Pour ma part, je fais les deux. «

- Les architectes travaillent dans des agences où ils sont plusieurs ? Est-ce votre cas ?

- C.L. : « Non, je travaille seule, et ce n’est pas forcément un bon calcul. Cela dit, quand je travaille sur un groupe scolaire, je m’as­socie. En plus j’enseigne l’architecture. Mais le travail d’architecte est collectif. »

- Est-ce un métier vocation, un métier passion ?

- C.L. : « Oui, un métier passion : on ne se couche pas sans penser au projet, ce n’est pas parce qu’on débranche l’ordinateur qu’on sort d’un projet. En vacances, on va visiter le site d’un confrère. Il y a des espaces qui vous procurent des émotions particulières. Une de mes plus grandes émotions, était d’entrer dans un bâtiment que j’avais dessiné. Alors qu’il n’avait été qu’un dessin, une ma­quette. C’est une émotion qui rappelle la première cabane qu’on a construite dans le jardin de Mamie. Aujourd’hui je rêve de voir l’opéra de Sydney. Je me souviens de l’émotion à la découverte du musée Guggenheim de Frank Gehry à Bilbao, la première fois. Je n’ai pas eu la même en visitant celui de la Fondation Vuitton qu’il a également réalisée. »

Les rencontres européennes de l’architecture à l’Arsenal avec les architectes irlandais.

Bernard KRATZ