Interview Paru le 28 mai 2024
ENVIRONNEMENT

Sébastien Streiff : « Nos métiers sont indispensables ! »

La matinée de l’eau a réuni cette année la profession des canalisateurs à Metz. Cette rencontre annuelle permet de porter la lumière sur un métier mal connu dont la vocation est pourtant essentielle : la préservation de la ressource en eau. Dans une interview aux Affiches d’Alsace et de Lorraine, le délégué régional canalisation de Lorraine, Sébastien Streiff fait le point.

Sébastien Streiff, délégué régional des canalisateurs qui a été réélu en juin 2023 pour un mandat de quatre ans.

La matinée de l’eau 2023 avait été l’occasion de voir et d’entendre en vidéo le message porté par Erik Orsenna dont le livre La Terre a soif évoquait l’histoire des plus grands fleuves de la planète. Un témoignage éloquent qui a visiblement marqué les membres de la profession. Cette année, il a été question de l’avenir de la profes­sion. Elle doit passer obligatoirement par la formation afin d’attirer plus de jeunes dans ses métiers. Mais pour les canalisateurs tout passe par l’entretien des réseaux d’eau, leur renouvellement, car les fuites d’eau pénalisent lourdement la ressource en eau. Les ca­nalisateurs lancent un appel pressant aux donneurs d’ordre publics afin qu’ils investissent dans la rénovation des réseaux d’eau. Deux tables rondes ont largement débattu de ces questions. L’Agence de l’eau est venue compléter cette matinée avec une présentation détaillée de la réforme des redevances votée en 2023 et de son programme d’accompagnement des collectivités dans leur réseau d’eau potable ou d’assainissement.

- Les Affiches d’Alsace et de Lorraine : Quels ont été les thèmes de cette matinée de l’eau ?

- Sébastien Streiff : « Il y avait deux thèmes. Le premier concernait la formation. Elle était axée sur l’attractivité de nos métiers. Le deuxième concernait, la réutilisation de nos matériaux, des déblais de chantier pour les revaloriser sur ces mêmes chantiers. »

- Le métier des canalisateurs souffre-t-il d’un manque d’attractivité ?

- Sébastien Streiff :  « On a deux phénomènes qui frappent la profession. Il y a le vieillissement de la population, dans notre profession mais aussi chez les donneurs d’ordre. Le deuxième élément est le besoin d’augmenter nos ressources humaines pour faire face à l’accroissement des investissements futurs. Et c’est vrai autant dans nos entreprises de canalisation, que chez les donneurs d’ordre. En clair, il faudra des ressources humaines supplémentaires, et des personnes compétentes et formées, tant au sein de la maîtrise d’ouvrage que de la maîtrise d’œuvre, afin de pouvoir répondre à la demande. »

« On rencontre des difficultés de recrutement »

- Faites-vous des campagnes de communication sur vos métiers ?

- Sébastien Streiff : « On le fait par l’intermédiaire de Canalisateurs de France, parfois par des micros-trottoirs que l’on diffuse, nous le faisons aussi avec le concours des fédérations de travaux publics. De plus en plus nous réalisons des actions de sensibilisation au sein de l’Éducation nationale, dès le collège afin de faire connaître toute la palette de nos métiers aux élèves. »

- Vous rencontrez des difficultés de recrutement ?

- Sébastien Streiff : « Clairement. Aujourd’hui il y a ce manque d’attractivité de nos métiers, souvent méconnus, et c’est bien pourquoi nous organisons ces matinées de l’eau avec des tables rondes consa­crées à ce thème. Il nous faut impérativement connaître les centres d’intérêt des jeunes, qu’est-ce qui pourrait les motiver, pour mieux les orienter vers nos métiers. Et il est possible de se former dans les nombreux Centres de formation des apprentis, comme celui de Montigny-lès-Metz, qui possède un grand plateau avec une filière canalisateur, mais il n’accueille pas encore assez de candidats. »

- Il y a différents métiers chez les canalisateurs ?

- Sébastien Streiff : « On retrouve aussi des gens formés au niveau du CAP jusqu’à l’ingénieur. On a besoin de conducteurs d’engins, de chefs de chantier de niveau BTS qui peuvent se former dans les écoles spécialisées comme celle d’Egletons, dans le centre de la France. N’omettons pas les métiers souvent oubliés de géomètres topo­graphes ou concepteurs de réseaux, auxquels on ne pense pas forcément, mais dont on a besoin en permanence. »

« On est mieux payés que dans l’industrie »

- Et quelle est la rémunération dans vos métiers ?

- Sébastien Streiff : « Vous pouvez commencer avec un CAP à un niveau de rémunération supérieur au Smic. On est souvent mieux payés que dans l’industrie, malheureusement on ne communique pas suffisamment sur ce sujet. On gagne bien sa vie chez les canali­sateurs. On fait un métier passionnant : on fabrique à chaque fois un prototype, on ne fait jamais le même chantier, l’environnement change. On travaille à l’extérieur, en plein air et c’est un véritable travail d’équipe, où règne l’esprit de cohésion, une valeur première de notre profession. Une fois engagé dans ce travail, on devient passionné. »

- Il faudrait communiquer davantage ?

- Sébastien Streiff : « Sûrement. On ne le fait pas assez. »

- Est-il possible de progresser dans une carrière chez les canalisateurs ?

- Sébastien Streiff : « Aujourd’hui, s’engager dans le travail de la canalisation est un formidable ascenseur social. On a bon nombre de diri­geants d’entreprises, dont des grands groupes, qui ont démarré leur parcours comme simple canalisateur, comme ouvrier. Ils ont franchi les différents échelons pour passer chef d’équipe, chef de chantier et évoluer vers des postes de conducteur de travaux avant de devenir directeur d’agence ou de société. On peut aisément prendre davantage de responsabilités au sein de son entreprise. »

« Les besoins sont énormes »

- Comment se portent les entreprises de canalisation en Lorraine ?

- Sébastien Streiff :  « Il y a une vingtaine d’entreprises de canalisateurs dans la région. Elles sont toutes en quête de nouvelles embauches. Elles sont ouvertes même à des gens sans qualification. »

- Est-ce que le marché de la canalisation se porte bien ?

- Sébastien Streiff : « Le travail aujourd’hui existe, le marché est soutenu même s’il est un peu en dents de scie. Les besoins en matière de renouvellement des réseaux vont être énormes. On aura besoin de 20 à 25% d’effectifs en plus afin de pouvoir répondre à ces travaux qui sont annoncés. »

- C’est de la rénovation de réseaux ?

- Sébastien Streiff  : «  C’est ça, de la rénovation de réseaux d’eau potable. Des réseaux qui sont vétustes et qui souffrent de nombreuses fuites. Le renouvellement ne se fait pas à une échelle suffisamment impor­tante. À la cadence de renouvellement d’aujourd’hui il nous faudrait 170 ans pour renouveler l’ensemble du réseau. Les réseaux vont devenir de plus en plus fuyards. Même si on parvient à identifier plus finement les fuites, on ne fait que poser des pansements sur des canalisations qui sont malades, alors qu’il faudra de toute manière les renouveler. Ce n’est pas le cas actuellement. »

- Comment décèle-t-on les fuites ?

- Sébastien Streiff : « Aujourd’hui les réseaux ont été sectorisés avec des sous-compteurs pour mesurer les débits et identifier les fuites. Si un compteur tourne la nuit notamment c’est qu’il y a forcément un problème. Il y a certes des micro-fuites peu significatives, mais les plus importantes génèrent les plus grosses pertes en eau. »

- Est-ce que les donneurs d’ordre, les collectivités en général, ont la capacité d’investir ?

- Sébastien Streiff : « Il y a des collectivités qui en ont conscience et ont lancé des programmes ambitieux. Elles n’ont pas craint d’augmenter le prix de l’eau afin de pouvoir engager ces travaux. Il y en a d’autres qui sont plus frileuses et ne font rien, de crainte de devoir augmen­ter le prix de l’eau. Leur réseau se dégrade fortement, plus elles attendront, plus chère sera la facture à la fin. »

« On essaie d’alerter les collectivités »

- Vous allez vers ces communes pour les sensibiliser sur ce problème ?

- Sébastien Streiff : « On essaie de les alerter. Ces matinées de l’eau sont faites pour les alerter sur cette problématique. On leur fait passer le mes­sage. N’attendez pas qu’il soit trop tard pour investir ! Si elles s’y prennent à temps, moins le coût sera élevé pour le contribuable. Le problème des collectivités c’est la durée de leur mandat. Il est souvent court alors que les réseaux se gèrent sur le long terme. On se dit que ces réseaux sont éternels, or ce n’est pas le cas. Il faut anticiper ces renouvellements. »

- Quelle est la durée de vie d’un réseau ?

- Sébastien Streiff : « Tout dépend de l’agressivité du terrain, de la nature du terrain, mais aussi de la canalisation. Il y a des réseaux en fonte, âgés de plus de 100 ans et qui sont encore en bon état, parce que le terrain est peu agressif, il y a peu de mouvements et donc peu de casse. D’autres ont été posés il y a 35 ou 40 ans, avec des canalisations plus fragiles comme peut l’être le PVC, dans un envi­ronnement plus agressif notamment en cas de sécheresse, laquelle peut créer des désordres en souterrain et abîmer les canalisations. »

« Les avantages des tuyaux de fonte ductile »

- Qu’est-ce qui est mieux, le PCV ou la fonte ?

- Sébastien Streiff : « Les communes qui investissent dans le PVC le font parce qu’il est moins cher. Il est moins qualitatif que la fonte. On se retrouve avec plus de fuite. Du reste nous avions une interve­nante de Saint-Gobain PAM, leader mondial de canalisations en fonte ductile. Elle a parlé de l’avantage des canalisations en fonte, car elles permettent la réutilisation de bon nombre de matériaux pour le terrassement notamment, autre que celui extrait dans les carrières, ou les sablières pour mettre autour de la conduite. D’où des économies dans la pose de la canalisation, sur cette partie matériaux à évacuer ou matériaux à mettre en œuvre, en évitant le transport avec un camion qui génère des émissions de gaz à effet de serre. La fonte ductile est résistante et souple, moins cassante. Et ces tuyaux de fonte ductile sont bleus, c’est un revêtement avec différents alliages, du zinc, de l’aluminium, qui permet à la conduite de s’auto-réparer, si le tuyau est blessé. Cela permet de cicatriser la blessure. C’est très technologique. »

- Qu’en est-il du recyclage des matériaux de terrassement ?

- Sébastien Streiff : « Soit on utilise le recyclage des matériaux in-situ, c’est la réutilisation sur place ou après un traitement, soit c’est le recyclage en amenant ces déblais de chantiers vers des centres dédiés pour concasser et retraiter ces matériaux afin de pouvoir les réutiliser sur une autre opération. »

- La difficulté de vos chantiers c’est bien d’éviter de casser les conduites ?

- Sébastien Streiff :  « Cela arrive lors de la remise en état, les maîtres d’ouvrages ne passaient pas assez de consignes au maître d’oeuvre, en leur demandant d’étudier le chantier, les matériaux. »

- Quel est le frein au recyclage ?

- Sébastien Streiff : « Le frein au recyclage, c’est l’appréhension des clients à utiliser d’autres matériaux de crainte de ne pas atteindre les bonnes caractéristiques mécaniques. C’est erroné. Car souvent on a de biens meilleurs matériaux issus du recyclage que de moins qualitatifs issus de carrière, parfois plus tendres. C’est une fausse idée. Le CEREMA, ancien laboratoire des Ponts et chaussées était également convié à ces débats de la matinée de l’eau, et il a confirmé ce point de vue : il a garanti la qualité des remblais à base de matériaux traités et recyclés. »

« Réduire la pénibilité »

- Les équipements de chantier ont été modernisés ?

- Sébastien Streiff :  « Les engins sont très modernes, ils sont tellement parti­culiers qu’on essaie d’utiliser des engins multifonctions, un peu des couteaux suisses. On trouve des pelles mécaniques dont le godet peut tourner à 360°. Il peut travailler dans toutes les direc­tions. Et c’est bien pratique sur des chantiers de réseaux en ville. On essaie aussi de réduire la pénibilité. L’utilisation des camions aspirateur avec des turbines pour excaver les matériaux facilite l’évolution du chantier. »

- Vous aviez aussi comme invité l’agence de l’eau. A-t-elle parlé de l’importance de la ressource ?

- Sébastien Streiff : « L’Agence de l’eau est venue nous détailler le nouveau programme à venir sur l’accompagnement financier apporté pour améliorer les réseaux d’alimentation en eau potable ou en assainis­sement. Les engagements seront supérieurs aux autres années pour investir dans ces réseaux. Pour les réseaux d’assainissement on utilise des conduites en béton, en PVC, en grès qui est un matériau très technique et très qualitatif. Il y a du reste une grosse culture de la pose de canalisations en grès céramique pour l’assainissement en Moselle, c’est issu de la culture allemande. Au XIXe siècle, les premiers tuyaux étaient en grès voire en terre cuite. »

- Vos métiers sont indispensables ?

- Sébastien Streiff : « Exactement. Depuis un an, on vit une période très pluvieuse qui soulève d’autres problèmes comme les inondations, mais on ne peut pas y faire grand-chose, mais ça ne fait pas oublier les périodes de sécheresse qui reviendront. Et qui peuvent abîmer les canalisations. »

© Dahmane

Bernard KRATZ