Interview Paru le 07 juin 2024
JEAN-MARIE MIZZON, Président des maires ruraux de Moselle

Les maires ruraux attendent des réponses de l’État

Jean-Marie Mizzon, président de l’association des maires ruraux de Moselle, a évoqué l’assemblée générale qui s’est tenue à Bouzonville. Il a été question des problèmes de la ruralité, des missions du maire, de sa sécurité.

Jean-Marie Mizzon, sénateur, maire de Basse-Ham, président de l’association des maires ruraux de Moselle.

- Les Affiches d’Alsace et de Lorraine : Vous avez accueilli du beau monde à cette assem­blée générale. Quels élus étaient présents ?

- Jean-Marie Mizzon : « Ils étaient quasiment tous présents : le maire de Metz, François Grosdidier, le président de la Région Franck Leroy, le maire de Bouzonville bien sûr, Patrick Weiten, le président du conseil départemental s’était fait remplacer par un de ses adjoints. Enfin le préfet de Moselle, Laurent Touvet a fait le déplacement. Et il y avait du monde, nous étions près de 400 à cette assemblée générale. »

- Quelles réponses ont-ils apporté au monde rural ?

- J-M.M : « Le président de la Région a évoqué le Pacte de ruralité que le conseil régional a adopté et dévoilé quelques jours plus tard, début avril. Julien Freyburger, pour le conseil départemental, a rappelé les outils qui existent. Il a mis l’accent sur la difficulté d’être maire aujourd’hui, compte tenu des conditions dans lesquelles les élus effectuent leur travail, avec des populations parfois com­pliquées, difficiles, exigeantes. François Grosdidier, comme l’élu départemental, a insisté sur les moyens réduits des communes en raison des économies annoncées par l’État qui pourraient toucher les collectivités locales. On ne sait pas dans quelle proportion elles seront touchées. Il a aussi souligné toutes les difficultés à exercer le mandat de maire des petites communes. »

- Mais il y a eu une annonce à ce sujet ?

- J-M.M. : « C’est vrai, l’État veut mettre les collectivités territoriales à contribution. Et pas seulement le bloc territorial, mais également la Sécurité sociale »

Une question d’arbres à Arriance

- A-t-il été question des intercommunalités ?

- J-M.M. : « François Grosdidier, le maire de Metz en a parlé. Il a ainsi mis l’accent sur la complémentarité de ces petites communes avec les intercommunalités, en général, pas seulement avec la Métropole. La solidarité doit jouer. Il estime que les intercommu­nalités doivent s’occuper de ce que les communes ne peuvent pas faire elle-même. C’est un discours de bon sens. Sinon dans l’ensemble, l’assemblée générale s’est bien déroulée, dans une bonne ambiance. Il y avait beaucoup de monde, des maires qui ont interpellé le préfet, pour obtenir des réponses de l’État à leurs problèmes. Comme c’est le cas chaque année. C’est de bonne guerre, c’est un moment de démocratie, de respiration pour les collectivités. »

- Le préfet leur a-t-il répondu correctement ?

- J-M.M. : « Oui. Ce qui est bien, le préfet est venu accompagné des sous-préfets, du directeur des finances publiques, le directeur départemental des territoires, le directeur départemental de l’Édu­cation nationale.Y a-t-il vraiment une écoute de la part des services de l’État ? Par exemple, le maire d’Arriance, qui avait un projet concret d’aménagement du centre de sa commune où il veut im­planter une piste de mobilité douce, piéton-vélo, avait besoin de couper trois arbres, des marronniers anciens qui sont alignés. Les services de l’État lui ont dit, attention, ce n’est pas comme ça qu’on fait, il faut faire une étude. Autant de procédures qui ne font pas avancer son projet. Ce ne sont que des freins. L’État ferait mieux de nous aider, au lieu de nous embêter. Le préfet a été clair : la loi c’est la loi, je n’ai pas pour mission de dévoyer les choses. Je vous invite à venir me voir, ou le sous-préfet, pour aborder le sujet de vive voix. On peut trouver des solutions ensemble. Mais il faut respecter la loi. Il y a des procédures à suivre, elles ne sont pas si compliquées que ça, mais il est vrai que pour trois arbres c’est compliqué, alors qu’on nous vole des milliers d’arbres dans nos forêts, et qu’on ne dit rien, faute de moyens, faute de preuves. »

- La protection de l’arbre est d’actualité avec les interventions de Me Hartenstein, le notaire ?

- J-M.M. : « Oui j’ai vu ça. Mais dans le cas présent, il s’agissait de replanter les trois arbres. Mais il devait faire une étude de façon à ce que ces trois arbres soient alignés, et plantés dans un sol, une terre adaptée. C’est lourd ! »

« Le monde associatif s’essouffle »

- Vous avez abordé d’autres thèmes ?

- J-M.M. : « On a abordé le thème du CAUE, le conseil en archi­tecture, concernant l’isolation des bâtiments anciens. Le CAUE a fait une intervention sérieuse, concrète qui a montré comment on peut isoler les bâtiments anciens sans les dénaturer, sans les dégrader, les altérer. De fait quand des bâtiments ont un certain cachet c’est un peu idiot de les recouvrir complètement d’une en­veloppe qui masquerait tout. Le CAUE a préconisé des solutions, certes un peu plus coûteuses, qui préservent le bâti existant. Et ça intéresse beaucoup les maires, car ils sont confrontés tous les jours à ce type de problème. »

- La Banque des territoires est aussi interve­nue ?

- J-M.M. : « Précisément. Elle a rappelé qu’elle prêtait de l’argent pour des projets communaux dans divers domaines : voirie, as­sainissement, bâtiment, eau, et à quelles conditions elle proposait ces prêts. Une troisième intervention d’une fédération senior de Moselle, laquelle a rappelé qu’elle était au service des communes pour mettre en place des solutions en faveur des aînés, en particulier l’installation d’associations de seniors, voire pour accompagner des associations à bout de souffle. Et ça arrive. Certaines associations s’appuient sur des bénévoles qui ne voient pas venir la relève. C’est important en matière de qualité de vie dans une commune d’avoir un accompagnement en faveur des personnes âgées qui sont souvent les oubliées des communes. »

- Il a beaucoup été question de monde asso­ciatif dans les communes rurales ?

- J-M.M. : « Justement, j’ai beaucoup apprécié l’intervention de représentants de ECTI, une association nationale de bénévoles, reconnue d’utilité publique dont le but est de promouvoir le bénévo­lat senior de compétences. Elle regroupe des retraités, du secteur privé comme du secteur public. Il y a des anciens architectes, des anciens juristes, des anciens experts-comptables, qui se mettent gratuitement à la disposition des communes les plus petites, qui n’ont pas d’ingénierie propre, afin de les aider à mettre en place, les obligations qui reposent sur les communes. Je cite le plan communal de sauvegarde, c’est un travail lourd. ECTI leur vient en aide pour effectuer ce travail. Le président de cette association m’a du reste confirmé que son association travaille avec 70 communes et intercommunalités. Trois communautés de communes, celle de Rives de Moselle avec Maizières, de l’Arc Mosellan de Metzervisse, et du Pays de Bouzonville, qui travaillent régulièrement avec ECTI. C’est vraiment une manière de vivre sa retraite, en étant utile aux autres et en donnant du sens à sa propre vie. Être utile aux autres donne du sens à sa vie. Si j’avais du temps, je m’inscrirais volontiers dans cette association. Elle propose des services qui grandissent l’homme. ECTI existe en Moselle. »

« Le parlement peut mieux faire ! »

- Qu’a dit le président national des maires ruraux, Michel Fournier ?

- J-M.M. : « Michel Fournier a parlé du statut de l’élu. Il estimait que ce qui avait été voté au Sénat, c’est pas mal, mais qu’on pou­vait mieux faire. Je suis sénateur, je n’ai pas pu répondre. C’était son analyse. Il réclame un statut de l’élu. Il a également relevé les difficultés qu’il avait à travailler avec le niveau supérieur : c’est bien beau de rencontrer les ministres, les secrétaires d’État, de voir les hauts fonctionnaires, mais entre ce qu’on dit et ce qu’ils comprennent, il y a un écart. Et cet écart se mesure lorsqu’ils produisent des textes, car ça ne correspond pas toujours à ce qui est attendu par les maires. Il n’est pas naïf : l’administration fait avec les moyens qu’on lui donne. Forcément, dans tout ce qu’il demande, tout n’est pas retranscrit parce que l’État ne peut pas y répondre favorablement car ça coûte trop cher. L’association des maires défend l’intérêt des maires, l’État défend l’intérêt général. »

- Vous n’avez pas parlé du ZAN, la zéro artificialisation nette ?

- J-M.M. : « À ma grande surprise on n’en a pas parlé. Je pensais qu’il y aurait une question ou deux. On l’avait mis à l’ordre du jour, il n’y en pas eu une seule. Le sujet est encore à l’ordre du jour du Sénat. On l’a déjà adouci, mais ce n’est pas encore satisfaisant. On doit encore travailler pour rendre la ZAN plus acceptable, moins punitive. Même si on partage l’objectif général d’aller vers davantage de sobriété foncière, pour autant, je considère que la trajectoire retenue dans la loi a été trop sévère. Le fait de devoir artificialiser moitié moins de surfaces dans les dix ans qui viennent, qu’on en a artificialisé dans les dix années échues, c’est raide ! Vous avez beau dire, les gens rêvent toujours d’avoir un pavillon sur 10 ares à la campagne. Expliquer ça aux gens, c’est compliqué ! »

« On sent un début de prise de conscience »

- Est-ce que la ruralité est davantage prise en compte ?

- J-M.M. : « On sent depuis quelques années, dans les intentions du gouvernement, avec notamment la mise en place du Plan Ruralité, ou encore avec le programme Villages d’avenir, une prise en compte des aménités rurales : ce que gère les communes rurales, comme la forêt, la nature, les fossés, les chemins d’exploitation forestier ou agricoles, qui pèsent lourdement sur le budget communal, mais ça sert à tout le monde. Et cette prise en compte commence à être effective progressivement par les pouvoirs publics. Il y a une meilleure écoute. Cela dit, écouter c’est bien, mais prendre en compte c’est mieux. Par exemple, la dotation biodiversité qui était de 47 M€ jusqu’à l’année dernière, elle est passée à 100 M€. Mais à l’échelon national ce n’est pas tant que ça. C’est un début de prise de conscience. »

- Y-a-t-il un sujet urgent à traiter pour les communes rurales ?

- J-M.M. : « C’est la question de l’élection des conseillers munici­paux dans les communes de moins de 1000 habitants. Aujourd’hui pour les plus de 1000, c’est la proportionnelle avec la parité. Pour les moins de 1000, c’est le scrutin majoritaire à deux tours. Pas d’obligation de parité. Si on impose la proportionnelle dans les communes dès le premier habitant, cela signifie qu’il y aura la parité. Mais ce n’est pas évident. Pour beaucoup de maires, à la campagne, ce n’est pas facile de trouver des femmes en nombre suffisant. Il constate que dans la réalité c’est compliqué. L’idée du gouvernement est de faire la proportionnelle pour tous. On va essayer de trouver une solution intermédiaire. Pour les métropo­litains ce n’est pas un sujet. Mais imaginez dans une commune de moins de 100 habitants, il faut 7 élus : cela fait 7%, c’est fort comme taux. Si en plus vous ajoutez la contrainte de la parité. »

- Il est difficile de trouver des candidats ?

- J-M.M. : « Tout à fait. On l’a bien vu. C’est pour cela qu’on a voté au Sénat le statut de l’élu, pour faire en sorte que la démocratie locale soit encore vivante et que les jeunes s’intéressent encore à la politique. Mais comme disait Michel Fournier, c’est bien, mais on peut mieux faire. »

- Et les maires ont du mal à exercer en raison des violences ?

- J-M.M. : « Oui. Dans la proposition de loi qu’on a votée à l’una­nimité au Sénat. Les maires demandent plus. Michel Fournier souhaite que les maires bénéficient du même statut que les salariés protégés, les syndicalistes. Sur le papier c’est séduisant. Imaginez que vous êtes battu, vous perdez votre job. Pour retrouver un travail, si l’employeur sait que vous avez un statut de salarié protégé, ça se retourne contre vous : c’est à double tranchant. »

- Qu’en est-il des services publics dans les petites communes ?

- J-M.M. : « Contrairement à ce que je pensais, France Services ce n’est pas si mal que ça. Certes, cela ne remplacera jamais la sous-préfecture ou ma perception qui n’est plus là, c’est sûr. L’État a augmenté le nombre de France Services, il a redéployé des France Services sur le territoire, en tenant compte des distances. À entendre les maires des communes rurales, ça marche plutôt bien. Il y a en Moselle quelque 32 maisons France Services. Le préfet a du reste précisé qu’il y avait une cinquantaine de conseillers numériques déployés dans le département. »

- Vous êtes sénateur. Que vous réclament le plus souvent les maires ruraux ?

- J-M.M. : « Il y a deux choses. Il y a un agacement profond, dans certains secteurs concernés, autour des villes, avec les gens du voyage. À Grostenquin, pour le grand rassemblement, ce sont des gens du voyage qui voyagent, mais vous avez autour des villes, des gens qui voyagent, mais qui ne voyagent plus. Ils quittent une ville pour aller dans la ville d’à-côté. Ils pourrissent un peu la vie des habitants du quartier. Les maires regrettent que l’État n’intervienne pas lorsque les gens du voyage occupent des terrains qui ne sont pas autorisés, dans des campements sauvages. »

- L’autre question qui revient le plus souvent ?

- J-M.M. : « C’est le sentiment d’abandon justement des communes rurales parce qu’il n’y a plus de service public. Ils voient des écoles qui disparaissent. Et ça les perturbe beaucoup, parce que ça casse la vie dans la commune elle-même. »

Bernard KRATZ