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Interview Paru le 18 juin 2024
LAURENT FUCHS, GÉOMÈTRE-EXPERT

« Apprenons à décorréler la croissance économique de la consommation d’espace »

L’Ordre des géomètres-experts organise ses prochaines Assises nationales, les 3 et 4 juillet prochain, sur le thème de la sobriété foncière. Nous avons interrogé Laurent Fuchs, président de l’Atelier Régional d’Urbanisme des Géomètres-Experts d’Alsace-Moselle, membre de l’Ordre des Géomètres-Experts, sur cette question déterminante pour l’avenir de nos territoires : la croissance économique est-elle compatible avec la sobriété foncière ?

Laurent Fuchs, président de l’Atelier Régional d’Urbanisme des Géomètres-Experts d’Alsace-Moselle, membre de l’Ordre des Géomètres-Experts

Qu’est-ce que l’Atelier Régional d’Urba­nisme des Géomètres-Expert Alsace-Moselle (ARUGAM) ?

Laurent Fuchs : Nous sommes une association de géomètres au sein de l’Ordre des géomètres-experts. Nous nous réunissons au moins une fois par an pour des ateliers dans le domaine de l’urba­nisme. Nous organisons également régulièrement des séquences de formation sur ces thématiques pour nos membres, un volume minimal de formation 100 heures étant obligatoire sur une période de 3 ans pour toutes les consœurs et confrères inscrits à l’Ordre.

Zéro Artificialisation Nette

Le thème des prochaines Assises nationales de l’Ordre des géomètres-experts porte sur la sobriété foncière. Pourquoi avoir choisi ce thème ?

L. F. : Le volet ZAN (Zéro Artificialisation Nette) de la loi Climat et résilience va énormément impacter l’activité de l’ensemble des acteurs de l’aménagement. C’est pourquoi nous avons choisi d’en faire le thème principal de nos assises qui vont se dérouler simul­tanément dans 4 villes : Épernay, La Rochelle, Aix-en-Provence et Fort-de-France. L’objectif ZAN constitue un vrai changement de paradigme : il s’agit de concilier croissance économique et faible consommation foncière. En 2030, il s’agira dans un premier temps d’avoir limité de moitié la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers par rapport à la période 2020-2021 ; et en 2050, toute artificialisation nouvelle ne sera plus autorisée ou devra être intégralement compensée par des renaturations-désartificia­lisations. Les documents d’urbanisme devront bien sûr appliquer ces nouvelles exigences.

Quel est le rôle des géomètres-experts sur ce thème de la sobriété foncière ?

L. F. : Il est sûr qu’on pense plus aux géomètres-experts sur des questions de limite de propriété et de relevé topographiques, mais certains d’entre nous sommes également spécialisés dans le droit de l’urbanisme et de l’aménagement. Nous intervenons pour rédiger des documents d’urbanisme réglementaire ou pour des missions de maîtrise d’œuvre. Il peut s’agir d’extension ou de densification urbaine ou de l’amélioration des espaces publics. Un bon quart des 80 géomètres-experts d’Alsace-Moselle proposent ces services dans le domaine de l’urbanisme.

Quel est votre rôle très précisément sur ces sujets d’urbanisme ?

L. F. : Il peut s’agir d’urbanisme règlementaire : Cartes Commu­nales ou Plans Locaux d’Urbanisme (PLU), constitués de règle­ments graphiques et écrits notamment, assortis d’une obligation de dépôt numérique sur le site du Géoportail de l’Urbanisme. En matière d’urbanisme opérationnel, nous déposons les déclarations préalables ou les permis d’aménager liés aux divisions foncières.

Quelle est la situation en Alsace-Moselle sur cette question de la sobriété foncière ?

L. F. : Il y a sans doute davantage de grandes friches industrielles en Moselle, qui pourraient être disponibles pour créer du logement ou de l’activité. Il en existe aussi quelques-unes en Alsace. Ce qui différencie surtout les deux régions, c’est qu’il existe une pres­sion plus forte autour de Strasbourg avec un très fort besoin en logements et en activités économiques. En Moselle, le sillon mosellan, du fait de la proximité avec le Luxembourg, est lui aussi extrêmement dynamique. Et je n’oublie pas la région de Sarre­guemines, par exemple avec l’implantation d’une méga-usine de panneaux solaires à Hambach.

Les Assises annoncent vouloir faire de la sobriété foncière une opportunité plutôt qu’une contrainte. On fait comment ?

L. F. : Nous nous rendons compte qu’il va falloir faire mieux en consommant moins. Tous les usages d’un bâtiment ou d’une zone artificialisée devront être intensifiés. On doit aussi penser aux déplacements induits par ces nouveaux aménagements ainsi qu’à leur mixité fonctionnelle et sociale. Chaque année, en France, 25 000 ha sont artificialisés : cela correspond à 25 000 terrains de foot et à la superficie d’un département. On ne peut plus se per­mettre de consommer du foncier, comme si de rien n’était. Si nous n’y parvenons pas, la sinistralité climatique sera l’arbitre comme c’est déjà le cas aujourd’hui notamment pour ce qui concerne le recul du trait de côte atlantique.

Moins, c’est mieux.

À Épernay, vous réfléchirez sur la question précise de la sobriété foncière en zone rurale et semi-urbaine. Ce thème concerne particu­lièrement l’Alsace.

L. F. : Quand on pense sobriété foncière, on pense essentiellement à la ville, en Moselle comme en Alsace. Or cela concerne aussi les zones péri urbaines et rurales. Beaucoup de personnes y habitent. Ces régions sont elles aussi confrontées à la problématique de la réduction de la consommation foncière. Là aussi, il va falloir apprendre à construire de nouveaux logements en consommant le moins d’espace possible. Mais globalement, qu’on soit en ville ou à la campagne, la question de l’acceptabilité par la population des nouvelles formes urbaines, potentiellement plus hautes et plus denses, se posera à un moment ou à un autre. Un des principaux enjeux sera de rendre la sobriété foncière désirable. Cela néces­sitera une très forte concertation avec les usagers.

Comment concilier croissance économique et sobriété foncière ? Comment votre profession peut-elle y aider ?

L. F. : Notre profession est impliquée dans tous les découpages et redistributions parcellaires ainsi que dans la définition des servitudes. La densification va rendre l’aménagement de la ville beaucoup plus complexe, nécessitant une meilleure acceptation par les habitants. Notre rôle est d’aider à ça. Notre profession sera mise à contribution pour rendre cette complexité faisable. Nous allons devoir apprendre à décorréler la croissance économique de la consommation d’espace. Nous devons aussi apprendre à changer notre regard sur le sol. Autrefois, on pensait qu’on pou­vait l’artificialiser sans limite. Les récentes inondations nous ont appris que l’heure était aussi à la re-fonctionnalisation hydrique et microbiologique des sols. Les Anglais disent « less is more » : moins c’est mieux. Aux acteurs de l’aménagement d’inventer la sobriété foncière à la française : les géomètres-experts d’Alsace Moselle sont prêts à y participer.

Jean de MISCAULT