- Pouvez-vous évoquer Transitions Pro ?
- Lionel Lemaire : « Transitions Pro est une association créée en 2020. Il y en a une dans chaque région. Elle a été introduite par la loi Pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018. Nous sommes les successeurs des Fongecif qui mettaient en place les congés individuels de formation. Nous sommes une organisation paritaire avec au sein de notre conseil d’administration, les organisations syndicales et patronales représentatives, qui déterminent les orientations de la structure. »
- En quoi consiste votre action ?
- L.L. : « On est sur tout ce qui concerne la reconversion professionnelle, le changement de métiers avec plusieurs dispositifs qui permettent d’accompagner les personnes qui souhaitent changer de métier. On est bien sur un parcours qui est accompagné d’une formation avec à la clé l’obtention d’un diplôme. On a aussi des dispositifs qui visent la création d’entreprise. Notre public est un public de salariés, pas de demandeurs d’emploi dont s’occupe France Emploi. Des salariés en poste qui souhaitent changer de métier ou veulent créer une entreprise afin de trouver un meilleur équilibre dans leur vie personnelle et professionnelle. Ils sont à la recherche de meilleures conditions de travail, de plus de reconnaissance. Ce sont les mobiles des personnes qui nous sollicitent. »
« Après 50 ans, ils sont davantage à vouloir changer de métier »
- Combien de personnes accompagnez-vous dans l’année ?
- L.L. : « On accompagne environ 3300 personnes dans le Grand Est annuellement, tous dispositifs confondus. Il n’y a pas de critères d’âge, mais on est plutôt sur des personnes qui arrivent à mi-parcours. La plus forte représentation de notre public c’est la tranche d’âge 35/45 ans. Ils font une première partie de carrière et veulent changer. Phénomène nouveau, c’est l’allongement des carrières. Il y a de plus en plus de personnes, qui après 50 ans souhaitent changer de métier. D’où une catégorie spécifique dans les Trophées de la reconversion que l’on va remettre : Je me suis reconverti après 50 ans. »
- N’est-ce pas l’enjeu de l’emploi des seniors ?
- L.L. : « En fait, on voit qu’aujourd’hui la transition professionnelle dans la reconversion répond à la fois à un enjeu individuel : permettre aux personnes de se projeter dans un métier jusqu’à la fin de leur carrière, de pouvoir ajuster leur activité pour qu’elle soit compatible avec leur situation, y compris au niveau santé. Et ça répond de plus en plus à un enjeu économique. C’est un des moyens pour répondre aux besoins des entreprises qui sont dans certains secteurs en difficulté de recrutement. Cela intéresse les entreprises de recruter une personne qui a engagé une reconversion professionnelle. »
- Comment viennent-elles vers vous ?
- L.L. : « Bien souvent, ce sont des personnes qui ont engagé une recherche. Elles se renseignent auprès d’un organisme de formation ou d’un conseiller en évolution professionnelle. Elles découvrent à ce moment-là l’existence de ces dispositifs qui vont leur permettre de changer d’orientation. On est sur des formations qualifiantes dont la durée varie de sept mois à un an, le temps d’une année scolaire. Avant de se former, il doit engager toute la phase de réflexion sur l’orientation. Ce n’est pas nous qui le faisons, mais des professionnels de l’accompagnement, en évolution professionnelle. Le parcours complet est variable. Les plus efficaces le font en un an, les autres jusqu’à 36 mois. Quelqu’un qui sait exactement ce qu’il veut faire peut y parvenir assez rapidement. »
« Le plus difficile est de se lancer »
- Quel est le taux de réussite à la sortie ?
- L.L. : « En termes de certification, ils obtiennent leur diplôme à près de 92 %. Avec notre observatoire, on interroge les personnes 6 mois après leur formation : on a que 9% de personnes qui ont abandonné leur projet, 60% d’entre elles qui ont changé d’activité. Les autres sont toujours en cours de mise en oeuvre pour changer de métier. 90% d’entre elles assurent que cette formation leur est utile. Et parmi celles qui ont changé de métier, 90% affirment que leurs conditions de travail se sont améliorées. »
- On peut parler de réussite de la démarche ?
- L.L. : « La reconversion choisie fonctionne plutôt bien. C’est aussi un vecteur d’épanouissement pour les personnes. Elles se rendent compte qu’elles sont capables de réussir. Le plus difficile étant de se lancer. »
- Quand elles se lancent c’est davantage pour changer de métier, ou pour créer leur entreprise ?
- L.L. : « Quand elles s’engagent dans un parcours de formation, c’est majoritairement pour changer de métier. La création d’entreprise est une étape ultérieure. Ce n’est pas tout de suite. Nous avons un dispositif dédié à la création d’entreprise. Mais l’essentiel, c’est le changement de métier. »
« Une démarche de valorisation des personnes »
- Les Trophées de la reconversion ont-ils été créés pour donner plus de visibilité à votre travail ?
- L.L. : « Ces parcours de transition constituent une réussite pour les territoires, une réussite pour les individus, et une opportunité pour les entreprises. Aujourd’hui, qui connaît ses droits et ses possibilités en matière de reconversion ? Ce n’est pas si évident que ça. L’idée est de montrer que ça existe. On est dans une démarche de valorisation des personnes qui l’ont fait. C’était le cas l’an passé, ce sera aussi le cas lors de cette édition. Surtout, ça renvoie une image positive de cette capacité des gens à se saisir de leur avenir, à réussir. Et cela peut nourrir d’autres projets. Le regard qu’on a sur la formation professionnelle est souvent un peu administratif. Nous invitons toutes les institutions à cette manifestation, d’une certaine façon ça humanise la reconversion. Cela va au-delà du caractère administratif ou financier. Les lauréats témoignent de ce qu’ils ont fait et ça touche beaucoup plus le public. Il n’y a véritablement que des beaux parcours. Le jury a été bluffé. »
- Comment est financée Transitions Pro ?
- L.L. : « On a une dotation de France Compétences, des fonds d’État et c’est financé sur la base des contributions d’entreprises pour la formation. »
- Qu’en est-il des thématiques choisies comme celle «Je casse les codes de genre» ?
- L.L. : « C’est pour mettre en avant des personnes qui s’orientent vers des métiers genrés, c’est une femme qui s’oriente vers un métier d’homme. Il existe encore des freins sociétaux à ce type d’orientation. Même si on voit de plus en plus de femmes chauffeurs de poids lourds, ou dans le BTP. »
- Un mot sur votre parcours ? Vous avez rebondi combien de fois ?
- L.L. : « J’ai commencé à travailler dans l’insertion professionnelle, dans la formation. J’ai longtemps accompagné des personnes dans leur formation. J’ai évolué un peu tous les 4 ou 5 ans dans le secteur de la formation, allant vers le conseil, jusqu’à l’encadrement d’une équipe, puis dans le développement. J’ai finalement fait l’essentiel de mon parcours dans la formation professionnelle, sans grande originalité. »
« On fait quelque chose qui a du sens »
- Vous n’avez pas été tenté de créer votre entreprise ?
- L.L. : « Il n’y a pas mieux dans le secteur de la formation que le job que j’occupe. Aujourd’hui, on fait quelque chose qui a du sens, qui a de la valeur et sert une cause sociale, économique et territoriale, avec une marge de manœuvre décisionnelle qui est assez importante en région. Pour un organisme paritaire, c’est assez rare parce que beaucoup de ces structures sont centralisées. On a une capacité de décision régionale, une capacité d’innovation régionale qui donne au poste que j’occupe et à la structure, une valeur intrinsèque qui est difficile à retrouver dans le monde actuel. »
- La transition professionnelle a-t-elle de l’avenir ?
- L.L. : « De fait, aujourd’hui arrivent les questionnements sur l’usure professionnelle, la pénibilité. La reconversion est indispensable dans un monde économique qui bouge avec la transition écologique, la transition numérique, l’allongement des carrières. Si on ne donne pas à l’individu la capacité à agir sur son parcours, ça ne pourra pas fonctionner. On en entend davantage parler ces derniers temps. Le projet de vie professionnelle s’inscrit dans un projet de société, c’est un outil incontournable si on veut donner aux personnes et à l’économie les moyens d’avancer, parce qu’il va falloir trouver les individus qui vont aller sur les métiers plus verts notamment. Et ça fonctionne quand le besoin territorial et économique rencontre le besoin des individus. On est à la jonction des besoins, c’est ce qui rend ce dispositif efficace. »
« Personne ne s’imagine faire le même métier toute sa vie »
- C’est aussi lié au rapport au travail ?
- L.L. : « Nous essayons d’être dans une dynamique d’anticipation. Personne aujourd’hui ne s’imagine exercer le même métier toute sa vie. Les aspirations ont changé, et le rapport au travail aussi. Pour le mineur de l’époque de l’exploitation charbonnière, la valeur travail avait un sens qui est très différent de celle d’aujourd’hui. Le changement est devenu la norme, et nous sommes là pour accompagner ce changement. Nous anticipons parce qu’on s’inscrit dans des politiques de l’État, dans des projets fléchés. Pour anticiper à bon escient il faut avoir une vision du marché du travail tel qu’il est aujourd’hui sans perdre de vue ce qu’il pourrait être demain. Il faut anticiper mais pas trop. Si vous voulez aller beaucoup plus loin, les formations n’existent pas et les entreprises ne sont pas encore prêtes à les accueillir. Rappelez-vous le bug de l’an 2000, et la bulle immobilière où il fallait former des diagnostiqueurs immobiliers à la pelle, mais l’immobilier s’est effondré. Il faut être vigilant. Ces mutations sont comme des effets de mode. Il faut éviter de tomber dedans. »
Transitions Pro Grand Est est basé à Nancy. L’organisme assure par ailleurs le suivi de la mise en œuvre du Conseil en évolution professionnelle et pilote différents dispositifs tel que le Projet Transition Professionnelle (PTP), le dispositif Démissionnaire, la certification CléA et le dispositif Transitions collectives.
Voir aussi le site www.transitionspro-grandest.fr/les-trophees-de-la-reconversion
Les Trophées de la reconversion
Cette manifestation est ouverte au grand public, sur inscription. Elle est gratuite. Cette année quelque 84 candidats originaires d’Alsace, Lorraine, Champagne-Ardenne, contre 44 l’an dernier, se sont présentés. Ils se sont inscrits sur la base du volontariat. Tous ont la particularité d’avoir été accompagnés dans leur virage à 180° par Transitions Pro Grand Est et d’avoir réussi avec succès leur reconversion depuis au moins trois mois, ou de représenter des entreprises menant une politique de recrutement favorable aux personnes en reconversion.
La cérémonie de remise des prix sera ponctuée d’animations. Les trophées récompensent ce soir-là 7 lauréats répartis dans les catégories suivantes :
- J’ai changé de métier ;
- J’ai créé mon entreprise ;
- J’ai transformé mon expérience en diplôme (VAE) ;
- J’ai rebondi après une problématique de santé ;
- Je casse les codes de genre ;
- Je me suis reconverti(e) après 50 ans ;
- Coup de coeur du jury.
Le jury du concours est composé de partenaires de Transitions Pro Grand Est ; BNP Paribas, Agefiph (association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées), la Région Grand Est, Mon conseil en évolution professionnelle, DREETS (direction régionale de l’économie de l’emploi, du travail et des solidarités), opérateurs de compétences (Opco EP, Opco santé et Akto), Aract Grand Est (agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail) et de l’un des lauréats de l’an passé : Loïc Cesarec.
Déclinés dans chaque région de France, les Trophées de la reconversion donneront ensuite lieu à un concours national qui se tiendra à Paris le 15 novembre 2024.