Quel bilan tirez-vous des 35 ans de l’Adie ?
L’Adie est née de la volonté de Maria Nowak, sa fondatrice. En partant du principe que « nul ne peut être empêché de créer son propre emploi », elle s’est inspirée du microcrédit qui s’était développé en Asie du Sud et en Afrique, car la première difficulté à laquelle sont confrontés les porteurs de projet est l’accès au capital. En 2023, l’Adie a prêté 193 millions d’euros à plus de 35 000 personnes. Nous avons créé 20 406 emplois et en avons maintenu 11 639. L’association compte à ce jour plus de 100 000 clients actifs. L’étude d’impact que nous réalisons tous les trois ans montre que nous avons un taux de pérennité stable à trois ans de 78% sur l’ensemble des entreprises que nous accompagnons ou finançons. C’est-à-dire que huit entreprises sur dix accompagnées par l’Adie sont toujours en activité trois ans après leur création : soit, pour ces personnes pourtant en situation initiale d’exclusion sociale ou financière, autant de chances de réussir que n’importe quel entrepreneur ! Et plus de la moitié des créateurs ayant arrêté leur projet avant trois ans l’ont fait pour prendre un emploi salarié. Le taux d’insertion dans un emploi durable est donc au total de 95%.
Quel est le profil type des entrepreneurs soutenus par l’Adie ?
Nous nous adressons à des personnes qui n’ont pas d’épargne, pas de réseau et qui n’ont pas accès au crédit bancaire. Plus de la moitié d’entre elles (52%) sont en-deçà du seuil de pauvreté, 33% sont allocataires de minima sociaux, 19% n’ont aucun diplôme. En termes d’implantation, 21% habitent en quartiers prioritaires de la ville (QPV) et 16% en zones de revitalisation rurale. Nous accompagnons presque autant de femmes (44%) que d’hommes, ce qui est remarquable par rapport au paysage très majoritairement masculin de la création d’entreprise en France (33% des entrepreneurs du territoire français sont des femmes, selon le baromètre Infogreffe publié le 8 mars 2024). En termes d’âge, 30% des entrepreneurs financés par l’Adie en 2023 avaient moins de 30 ans et un quart plus de 50 ans. Ils entreprennent dans des activités très diverses : le commerce sédentaire ou ambulant (25%), la restauration, l’artisanat, les services, l’agriculture, les transports…
De quelles aides bénéficient-ils ?
Le microcrédit qui leur est accordé par l’Adie, d’un montant pouvant aller de quelques centaines d’euros à 12 000€, est remboursable sur une durée de deux à quatre ans ; il permet, par exemple, de financer un véhicule, du matériel, ou tout simplement les premiers stocks. Nous accompagnons les entrepreneurs dès avant la création par un accueil personnalisé, et si nécessaire un conseil pour la consolidation de leur projet, puis, pendant les premières années de leur activité, pour autant qu’ils en éprouvent le besoin. Cet accompagnement comporte une offre de coaching individuel, des formations collectives, et de nombreux services tels que microassurance ou conseil juridique et fiscal.
Plusieurs lois françaises, comme la modification du Code monétaire et financier ou l’instauration du régime de la microentreprise ont boosté le microcrédit ?
Elles ont surtout permis l’extraordinaire développement de l’entrepreneuriat dans notre pays, en particulier de l’entrepreneuriat populaire. En 2002, la modification du Code monétaire et financier, qui a autorisé les associations de microcrédit à emprunter pour prêter, a en effet considérablement élargi les capacités d’action de l’Adie. Nous travaillons d’ailleurs aujourd’hui en partenariat avec toutes les banques françaises. Mais la grande réforme qui a profondément transformé les conditions de l’entrepreneuriat et vraiment libéré les énergies, c’est la création du régime de l’autoentrepreneur en 2009 : il représente aujourd’hui 60% des créations d’entreprise et constitue l’un des principaux moteurs de la dynamique entrepreneuriale en France.
Comment l’Adie contribue-t-elle à créer de l’emploi et du lien social ?
Sur un budget total de 77 millions d’euros en 2023, 22 millions d’euros viennent des intérêts sur les prêts octroyés, qui permettent notamment de couvrir les impayés, 32 millions de financements publics – État, Europe, collectivités territoriales – et 22 millions des contributions privées, des bénévoles et des mécènes. Ce modèle économique très spécifique permet un large accès au crédit et « déverrouille » ainsi l’initiative économique des plus pauvres, notamment dans les banlieues, dans les zones rurales délaissées par les grandes entreprises et dans les outre-mer. Cet entrepreneuriat populaire, qui permet une inclusion durable dans un emploi valorisant, est aussi un entrepreneuriat de proximité, écologique par nature : il contribue au développement des territoires, à la relocalisation de l’activité économique, et, en rapprochant le producteur du consommateur, à la diminution des émissions carbone.
Quelles sont les priorités de l’Adie pour les prochaines années ?
L’Adie compte actuellement 200 agences sur tout le territoire. Mais les besoins sont considérables et nous sommes encore très loin d’y répondre de manière satisfaisante. Depuis le Covid notamment, désir d’autonomie et recherche de sens se conjuguent pour faire de l’entrepreneuriat un rêve de plus en plus répandu, qui souvent se heurte au manque de moyens et à la conviction que « c’est trop compliqué ». C’est pourquoi il nous faut changer d’échelle : avec le soutien de l’État, qui, conscient des enjeux, a décidé de nous en donner les moyens, avec l’enthousiasme de nos bénévoles dont nous voulons massivement augmenter le nombre, et grâce à l’engagement de nos partenaires bancaires comme de nos mécènes, nous prévoyons de doubler notre présence dans les quartiers Politique de la ville au cours des trois prochaines années. C’est un grand défi, très ambitieux, porté par l’ensemble des équipes de l’Adie, que nous allons relever avec la conviction de contribuer ainsi à la cohésion sociale et à un développement économique humaniste et durable – tel que l’a toujours voulu notre fondatrice Maria Nowak.