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Interview Paru le 13 décembre 2024
ÉLECTIONS NATIONALES CPME

Pour Amir Reza-Tofighi, il faut « une France gouvernée par des entrepreneurs »

Le 21 janvier, François Asselin quittera la présidence de la CPME. Sur les trois candidatures déclarées, celle d’Amir Reza-Tofighi, notamment cofondateur de Heetch, fait entrer l’innovation dans la boucle représentative des 300.000 entreprises françaises adhérentes. « Nous avons un combat culturel à mener », dit le benjamin des postulants.

Il a tout juste 40 ans, et s’est déclaré très tôt sur la succession de François Asselin, aux rênes de la CPME (Confédération des Petites et Moyennes Entreprises) depuis dix ans. Face à lui, l’historique Alain Gargani (actuellement président de la CPME Sud, 30 ans de confédération) et le lyonnais Gaëtan de Sainte Marie, vice-président de la CPME du Rhône.

Ce 2 décembre, prise de contact avec la CPME azuréenne pour Amir Reza-Tofighi. Et questions quant au rôle d’un syndicat patronal, et plus largement des entreprises, dans un climat économique et politique extrêmement tendu.

Qu’est-ce qui vous pousse à briguer la présidence nationale de la CPME aujourd’hui ?

Je suis avant tout un patron militant et un homme de terrain qui s’engage pleinement pour défendre les entreprises. L’engage­ment c’est ce qui me pousse mais c’est aussi un héritage de mon éducation. Dans le contexte que nous connaissons, je crois que nous avons plus que jamais besoin d’engagement, peu importe la forme, le niveau ou l’environnement. S’engager c’est s’émanciper et réussir. Les difficultés que nous allons affronter l’année prochaine, le contexte politique, justifient d’autant plus cet engagement. Au-delà du contexte, on parle de transition environnementale, de réindustrialisation, de la dette publique, et ces défis-là, ce sont les entreprises, sur le terrain, qui devront les relever. Une entreprise, c’est d’abord un collectif qui trouve des solutions. S’il y avait plus d’entrepreneurs à la tête du pays, ça dépoterait sans doute un peu, mais nous n’en serions pas là...

Qu’est-ce qui changerait ?

Le fait d’être pragmatiques, réalistes, de trouver les bonnes solutions au lieu de chercher à perpétuer ce qui ne marche visiblement pas. En ce sens, l’engagement est important.

Vos premiers pas dans cet engagement patronal ?

J’ai choisi la CPME pour sa vision axée sur les TPE et PME, pour son positionnement qui défend peut-être plus que les autres orga­nisations patronales l’entreprise et l’entrepreneur, l’indépendant, l’artisan comme le dirigeant d’ETI patrimoniale… Pour moi, la CPME représente et défend les entrepreneurs qui prennent des risques, qui mettent leur patrimoine en jeu. J’ai intégré le Comex de la CPME fin 2019, pour la deuxième mandature de François Asselin.

Une filiation directe avec François Asselin ?

On me présente souvent comme issu de la tech, mais mon entreprise originelle, Vitalliance, est positionnée sur le service à la personne dépendante, sur l’humain (il est aussi cofondateur de la plateforme de VTC Heetch et de la plateforme de location de bâteaux Click & Boat, ndlr). François Asselin a toujours été un mentor, un homme d’une intelligence et d’une droiture remarquables. Je m’inscris dans la continuité tout en revendiquant une évolution – tout à fait naturelle – dans l’organisation. Les dix prochaines années seront forcément très différentes des dix dernières. Mais François Asselin a fait de la CPME une organisation qui aujourd’hui compte, ce qui n’était pas le cas auparavant. L’enjeu, c’est de continuer le job, pour rendre la CPME encore plus influente et représentative de l’entrepreneuriat actuel. La CPME aujourd’hui, c’est plus de 300.000 entreprises. Nous sommes la première représentation patronale en termes d’entreprises.

Vous officiez (aussi) dans le numérique, est-ce un atout pour les TPE-PME ?

Je suis à la tête de la commission Innovation à la CPME, qu’il faut bien séparer de la transition numérique. Nos sujets, ce sont sur­tout la protection de la propriété intellectuelle, les brevets... Nous travaillons aussi beaucoup autour de l’IA. C’est typiquement le sujet où nous ne devons pas attendre l’État, il faut nous prendre en main, j’organise pour ce faire tous les mois des webinaires ouverts aux adhérents, pour présenter les fonctionnalités de l’IA, c’est par l’exemple et le cas d’usage que nous les intègrerons. C’est de la sensibilisation, récurrente, c’est aussi notre rôle. Plus aucun dirigeant ne peut être à la marge, et intégrer de l’IA dans les process, ça n’est pas forcément compliqué.

Même dans la situation économique actuelle, qui ne pousse pas à l’investissement ?

Nous, entreprises, sommes la solution à tous les défis. Sauf que... nous sommes des entreprises taxées, normées, réglementées, et qu’on nous impose de l’être encore plus au titre de l’effort national. C’est du délire absolu ! 2025 s’annonce catastrophique. Il faut, collectivement, mener un combat culturel. Il faut convaincre que l’entreprise est bien la solution, mais que pour cela, il faut lui faire confiance. Aujourd’hui, nous sommes en permanence dans une logique de contrôles, alors que nous devrions être dans une logique d’accompagnement. Il faut casser ce principe bureaucratique qui nous encadre en permanence, c’est complètement ubuesque. Même le patron de la BNP parle du CSRD (reporting de durabilité extra-financière, ndlr) comme d’un « délire bureaucratique ». Alors imaginez pour les petites entreprises...

Sont-elles vraiment concernées ?

Bien sûr. Elles devraient en être exemptées pour les plus petites, mais toutes les sous-traitantes de grands groupes ou d’ETI sont de fait concernées. On parle beaucoup de réindustrialisation, mais avec les contraintes qu’impose le pays – et malheureusement l’Europe –, ce sera bien pire demain... Il existe une contradiction très forte entre le citoyen et le consommateur, l’un exige une production plus vertueuse, l’autre regarde sur son portefeuille et son pouvoir d’achat. On demande à nos agriculteurs de faire des efforts, et on achète des tomates espagnoles... C’est ça, la réalité, c’est cette bataille culturelle. Veut-on un pays producteur ou un pays consommateur ?

Y a-t-il une solution à ce dilemme ?

Il faut arrêter de sur-réglementer en France. Et ça n’est pas qu’une question européenne. Les politiques s’imaginent qu’augmenter l’impôt, c’est de la création de recettes, mais dans les faits, c’est plutôt de la dégradation d’activités, et au final moins d’impôts collectés. Il faut arriver à remettre de la rationalité et du long terme dans tout ça, auprès de politiques qui manifestement manquent de rationalité, qui ont une très mauvaise connaissance de l’économie et qui ne font rien pour apprendre de leurs erreurs.

La CPME peut-elle vraiment les convaincre ?

Oui la CPME peut les convaincre car sa voix porte fort et loin. Je ne suis pas un homme de renoncement, il faut porter nos idées, convaincre les députés, les sénateurs, les médias, et plus largement les Français. Et montrer que ça peut fonctionner, si on a confiance dans nos entreprises. Il faut rééduquer le pays en matière d’économie et d’entreprise, c’est un combat d’idées qu’il faut gagner. Aujourd’hui, l’exaspération monte. On voit rarement les chefs d’entreprise dans la rue, leur combat est moins visible que d’autres. Pour les entrepreneurs, le moment est grave, et notre classe politique, sauf exception, ne l’entend pas. Les réponses existent, mais il faut arrêter de penser carrière, et œuvrer pour l’intérêt commun. C’est la survie de nos territoires qui se joue. Une entreprise qui ferme, ça n’est jamais anodin.

Il y a pourtant eu, côté politique, une volonté de réindustrialisation affirmée ?

Le sujet est multiple. Il faudrait dans un premier temps, là-encore, arrêter la sur-réglementation, type loi ZAN (zéro artificialisation nette, ndlr), attendre 18 mois pour obtenir un permis de construire, c’est une aberration pour une entreprise. Même chose côté fiscalité, nous sommes taxés quatre fois plus que les entreprises allemandes. L’industrie en France, c’est 10% du PIB, contre 16% en Europe, ce qui, entre parenthèses, montre bien que le problème, ça n’est pas l’Europe... On a, en France, créé un cadre totalement désincitatif. Et puis, l’autre problématique, c’est qu’il nous faut réindustrialiser toute la chaîne de valeur. Je ne sais pas si les politiques ont compris que réindustrialiser, c’est un vrai projet de société. Et que pour ça, il faut sortir de nos carcans.

Le peut-on ?

Quand on est capables de reconstruire Notre-Dame en cinq ans, oui, on le peut. Mais ce genre d’opération ne se fait pas sur les lois françaises, on crée des lois d’exception pour y parvenir. Il faudrait que ces exceptions deviennent les règles, et de façon pérenne. Accepter de revenir en arrière quand on se trompe. On a beaucoup accompagné les nouvelles technologies, les innovations de rupture, mais réindustrialiser, ça n’est pas que ça. On a voulu créer une « nouvelle industrie », en pensant qu’elle allait se suffire à elle-même. Mais l’industrie, c’est aussi l’automobile, une filière que nous sommes en train de sacrifier. Nous sommes loin, malgré ce que disent ou disaient les politiques, de gagner ce combat de la réindustrialisation.

Quelle serait votre première action, si vous êtes élu le 21 janvier 2025 ?

Outre l’organisation interne pour bâtir une CPME solide et capable d’affronter les enjeux d’aujourd’hui et de demain, en donnant plus de moyens aux territoires pour être au plus proche des adhérents, il faudra, je pense, être particulièrement attentifs au sujet de la transmission d’entreprises, avec beaucoup de structures qui vont chercher des repreneurs dans les dix prochaines années. Il faut créer les bonnes conditions pour ce faire. On ne peut pas non plus faire l’impasse sur la dette publique et la réflexion à mener sur nos dépenses. Nous avons des propositions, qui détonent un peu par rapport à la doctrine politique. En matière de santé ou de retraites, on peut trouver des modèles qui ne soient pas déficitaires, encore faut-il le vouloir... Notre système de retraite devrait être équilibré chaque année, avec des dépenses qui n’excèdent pas les retraites. Pour le reste, l’entreprise est là, dans le dialogue avec ses sala­riés. Il faut stopper la recentralisation des décisions sur l’État, et mettre les partenaires sociaux en responsabilité. L’Agirc-Arrco est un bon exemple, les comptes sont équilibrés avec des réserves importantes. Preuve que nous savons trouver des solutions entre partenaires sociaux lorsque l’on nous met en responsabilités, sans garantie de l’État.

Alain Gargani revendique son atout expérience

L’historique incarnation du flanc Sud de la CPME est candidat à la présidence nationale pour succéder à François Asselin. Verdict des urnes le 21 janvier prochain.

Comment vous présenteriez-vous, professionnel­lement et syndicalement ?

Je suis un serial entrepreneur convaincu, j’entreprends depuis une trentaine d’années, bien qu’issu d’un cursus scientifique (je suis docteur en physique). J’ai découvert l’entrepreneuriat en organisant mon premier congrès, qui m’a mené à la création d’une première agence dédiée, en 1996. Puis j’ai enchaîné les entreprises, dans les domaines de la santé – y compris de start-up – et de l’événementiel en grande majorité. Avec souvent une petite touche d’innovation.

Syndicalement, je suis adhérent et engagé à la CPME depuis 30 ans, je peux dire que j’ai été le bâtisseur de la CPME des Bouches-du-Rhône et le développeur de la CPME Sud, qui est devenue la première fédération nationale en nombre d’adhérents depuis 2019, avec environ 4.000 adhérents directs (soit de 60.000 à 70.000 entreprises). Je suis aussi à l’origine des rencontres Made in PME Sud, un symbole de réussite collective de la CPME régionale, pour mettre en lumière tous nos territoires. Je suis membre du Comex national depuis trois ans, aux côtés de François Asselin, et j’ai pu apporter mon expérience à nombre de présidents de région pour les accompagner dans leur développement territorial. Dans ma filière, je suis adhérent d’UNIMEV (fédé des métiers de l’événementiel, ndlr) et en 2020, j’ai créé un syndicat national, le SAE (syndicat des acteurs de l’événementiel) pour défendre une profession par nature particulièrement touchée par la crise Covid.

C’est la première fois que vous vous présentez à l’élection nationale ?

C’est la première fois. Au moment où le monde économique est en souffrance, avec beaucoup d’instabilité politique mais surtout des conséquences conjuguées de diverses problématiques ren­contrées ces dernières années. Covid, prix de l’énergie, plusieurs vagues successives ont affaibli le tissu économique, notamment sur les TPE-PME et les entreprises familiales/patrimoniales, toutes celles qui ne délocalisent pas, ni richesses ni emplois. Celles qui aujourd’hui souffrent, quel que soit le domaine d’activité. Je travaille sur cette campagne depuis un an, j’ai toujours affirmé vouloir être le président qui portera la stabilité et la visibilité sur le long terme aux petites et moyennes entreprises. On ne peut pas toujours être la variable d’ajustement, on ne peut pas changer notre fiscalité tous les mois, nous assommer de normes sans conséquences sur la vie économique. On doit nous laisser faire notre métier, celui de développer de la richesse sur nos territoires.

Partez-vous bien armé pour défendre les adhérents ?

Je le crois. Ce que je souhaite, c’est une CPME plus offensive, en réunissant cette grande famille à tous les étages de l’organisation, pour que la voix soit portée en direct des territoires et des régions, pour soutenir le message national de stabilité et de visibilité.

Comment parvenir à cette stabilité, qui n’est pas celle du monde politique ?

30 ans d’expérience... C’est ce que j’apporte. 30 ans de discus­sions, de négociations, qui ont permis de faire avancer les dossiers. Il faut créer un « contexte » où le politique va nous écouter. Par exemple, en tant que président de la CPME 13, j’ai créé l’Amicale Parlementaire, une structure qui a permis une mise en relation avec le député du territoire, qui a porté en notre nom 88 amende­ments, dont 55 ont été votés. Cette structure-là, je la veux dans chaque territoire de France. Nous, chefs d’entreprise, devons aller au contact, leur expliquer comment fonctionne une TPE-PME. Le monde économique est un monde territorial, composé à 99% de PME-TPE, à chaque fois qu’un élu prend une décision, elle a un impact sur ce monde économique, et des conséquences directes sur l’emploi local. Dans ces moments de turbulences, il faut nous laisser tranquilles, il y a des économies substantielles à faire ailleurs, du côté de l’État notamment. Aujourd’hui, il faut le dire, nous sommes en mode survie. Le monde politique ne connaît pas l’entreprise, ou peu. Au-delà de la sphère politique, l’administration centrale n’est pas plus aguerrie sur notre fonctionnement, alors oui, nous avons un vrai travail de pédagogie à fournir. Je veux être le promoteur d’expériences concluantes que nous avons menées dans les territoires, comme les Test PME, que je souhaite déployés à l’échelle européenne.

« Aujourd’hui, il faut le dire, nous sommes en mode survie »

Quelle pourrait être votre première action à la tête de la CPME nationale ?

Une chose est sûre, le monde politique, mis dans une situation de rapport de force, écoute plus facilement... Mais faire descendre les chefs d’entreprise dans la rue, ça n’est pas ce que je souhaite, je préfère fédérer l’ensemble des territoires pour avoir une voix qui porte plus fort, vers nos élus et nos administrations locales. Avec l’accent mis sur le logement, une problématique qui crée aujourd’hui une crise sociale sans précédent et nous empêche d’attirer des collaborateurs. C’est un enjeu majeur. Deuxième priorité : stabilité et visibilité sur la fiscalité, et vigilance sur l’excès de normes. Pour pouvoir libérer l’économie et faire notre job d’entrepreneurs, loin de toute influence partisane.

Isabelle AUZIAS pour RésoHebdoEco – www.reso-hebdo-eco.com