Interview Paru le 21 février 2025
CHRISTOPHE PITON Président de 60 000 Rebonds Région Grand Est

« Voir l’échec entrepreneurial comme une expérience apprenante »

L’association 60 000 Rebonds Grand Est fêtera, cette année, son dixième anniversaire. Bilan d’une action en faveur de l’accompagnement des entrepreneurs ayant perdu leur entreprise et d’une mobilisation pour réviser notre manière collective de considérer l’échec.

Pouvez-vous rappeler ce qu’est 60 000 Rebonds ?

Christophe Piton : 60 000 Rebonds a été créé en France, en 2012. L’association 60 000 Rebonds Grand Est a, elle, vu le jour en 2015 : nous fêterons, cette année, notre dixième anniversaire. Nous ac­compagnons les entrepreneurs après la perte de leur entreprise afin de les aider à rebondir. Il ne s’agit pas seulement de les aider à franchir la passe difficile de la liquidation, mais de les aider à construire un rebond professionnel durable. D’autre part, nous nous efforçons de changer le regard de la société française sur l’échec pour que demain l’échec entrepreneurial soit vu comme une expérience apprenante et pas comme un évènement stigmatisant. Les entrepreneurs qui viennent nous voir vivent souvent une forme de stigmatisation. Le corollaire de tout cela, c’est souvent la honte. La disparition du mot « faillite » des codes juridiques ou l’aména­gement du fichage Banque de France sont de premières avancées.

Accompagnement gratuit

Comment cela fonctionne-t-il ?

C. P. : L’entrepreneur nous contacte. Nous lui attribuons un coach et un parrain. Le coach est un professionnel formé et certifié, il accompagne l’entrepreneur dans sa reconstruction personnelle. Nous proposons jusqu’à sept séances de coaching. Le parrain également formé l’accompagne dans la construction effective de son nouveau projet. L’accompagnement peut durer jusqu’à deux ans. Coach et parrain sont tous les deux bénévoles. Nous comptons cent-vingt bénévoles dans le Grand Est. Notre accompagnement est gratuit. Par ailleurs nous pouvons mettre à leur disposition des experts dans le domaine de la banque, des avocats, des comptables, des experts RH. Par ailleurs, tout ce petit monde – les entrepreneurs accompagnés, les coachs, les parrains, les experts – se rencontre une fois par mois dans une sorte de cercle de parole.

Comment les entrepreneurs arrivent-ils chez vous ?

C. P. : L’essentiel des prescriptions se fait par l’intermédiaire des tribunaux de commerce et des mandataires judiciaires (chambres commerciales et juges consulaires en Alsace et en Moselle). Malheureusement les entrepreneurs ne pensent à l’échec qu’une fois qu’ils y sont confrontés. D’autres savent que nous existons mais il leur faut parfois six mois ou un an avant de nous contacter. Nous voudrions sensibiliser à la problématique de l’échec tous les entrepreneurs, notamment les plus jeunes. Nous sensibilisons également nos partenaires, les banques, les chambres consulaires, les syndicats patronaux à ce sujet.

80 rebonds en 2024

Combien d’entrepreneurs accompagnez-vous chaque année ?

C. P. : En 2024, nous avons accompagné quatre-vingt rebonds d’entrepreneurs. En 2025, nous nous attendons à une centaine d’accompagnements.

On entend dire que le nombre de liquidations augmente fortement. Comment se fait-il que vous n’accompagniez pas plus d’entrepre­neurs ?

C. P. : Le nombre de défaillances d’entreprises est effectivement en forte hausse. Nous avons même dépassé les chiffres d’avant la COVID. Mais fort heureusement, tous les dirigeants qui perdent leur entreprise n’ont pas besoin d’être aidés. D’autres ne nous connaissent pas. Et d’autres enfin n’osent pas faire la démarche de se faire aider. Rebondir, c’est s’engager. Il faut vouloir le faire et accepter de changer sa façon de voir. Dans l’échec, il y a une forte charge émotionnelle : soit on la refoule, soit on décide d’en faire quelque chose. Le coaching, ça secoue.

Qui sont les entrepreneurs que vous suivez ?

C. P. : Ce sont pour l’essentiel des très petites entreprises, de l’in­dépendant jusqu’à trois ou quatre salariés. Ils proviennent de tous les secteurs économiques. Après la COVID, nous avons accueilli de nombreux restaurateurs ou commerçants bio.

Que deviennent les entrepreneurs que vous accompagnez ?

C. P. : Aujourd’hui les deux tiers s’orientent vers le salariat et l’autre tiers repart dans une nouvelle création ou reprise d’entreprise. Il y a quelques années, c’était moitié moitié. Il y a souvent des chan­gements de secteur d’activité. Nous avons un entrepreneur qui est devenu professeur de l’Éducation Nationale après avoir passé les concours : il est enchanté. Une femme qui faisait de la confiserie est devenue assistante administrative : elle en est très heureuse.

Les ambassadeurs du rebond

Comment expliquez-vous cette évolution en faveur du salariat ?

C. P. : Peut-être que davantage d’entrepreneurs sont échaudés par leur expérience entrepreneuriale et ne souhaitent pas repartir dans l’aventure. Par ailleurs, notre association est de plus en plus connue ; l’échantillon des entrepreneurs qui viennent nous voir est donc beaucoup plus large : ceci explique peut-être la part plus importante des rebonds vers le salariat.

Suivez-vous les entrepreneurs que vous accompagnez ?

C. P. : À la fin de l’accompagnement, nous leur proposons de témoi­gner pour l’association. Certains deviennent des ambassadeurs du rebond et nous accompagnent, notamment chez nos partenaires, afin de raconter leur expérience.

Recherche bénévoles

60 000 Rebonds Grand Est dispose de 5 antennes : à Strasbourg, Mulhouse, Metz, Épinal et Reims.

Elle compte 120 bénévoles et 1 salariée.

En 2024, 80 entrepreneurs ont été accompagnés dans le Grand Est.

L’association recherche des bénévoles et des donateurs.

Jean De MISCAULT