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Interview Paru le 04 mars 2025
ÉMILIE GIRARD, Directrice des Musées de la Ville de Strasbourg

« Les Musées de la Ville de Strasbourg sont un service public que nous devons aux habitants »

Depuis son ancien bureau du MUCEM (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) à Marseille, elle voyait la mer. Depuis son nouveau bureau à Strasbourg, elle a une vue imprenable sur la place du Château et la cathédrale. Entre les deux, difficile de choisir. Arrivée à la tête des Musées de la Ville de Strasbourg en janvier 2024, Émilie Girard nous partage son point de vue sur la situation des onze musées strasbourgeois et sur leurs perspectives.

Après une année à la tête des Musées de la Ville de Strasbourg, quel état de situation en dressez-vous ?

Émilie Girard : Cette première année m’a permis de faire un dia­gnostic de l’existant et de dresser de premières projections. J’ai bien sûr rencontré les équipes afin de pouvoir dessiner ensemble un avenir possible pour le réseau des musées. Cela va prendre la forme d’un projet de service pour les cinq à dix ans à venir. Ce ne sera pas mon projet, ce sera le projet des Musées de la Ville de Strasbourg. Il devra être porté par les équipes et bien sûr par le conseil municipal. Le réseau est très hétéroclite, il est constitué de musées de taille très variable, les collections sont très variées et les bâtiments abritant chacun des musées sont, eux-mêmes, très différents.

Dans quel délai ce projet de service sera-t-il adopté ?

E. G. : Ce projet est coconstruit par une centaine de membres des équipes des musées, tous corps de métiers confondus. Nous avons rédigé un premier jet, qui va être affiné et structuré. L’objectif est qu’il soit présenté au conseil municipal et voté au plus tard en septembre prochain.

Alors du coup, comment analysez-vous la situation de ces musées ?

E. G. : Ils présentent une richesse incroyable en quantité, en diver­sité et en qualité de collections. L’histoire de l’art conduit ainsi le visiteur du paléolithique au contemporain. Les vaisseaux amiraux que sont le Musée d’Art Moderne et Contemporain et le Palais des Rohan attirent beaucoup de monde. D’autres musées sont moins connus. Le musée de l’oeuvre Notre-Dame est aussi un des joyaux du réseau : il existe peu de collections d’art médiéval de ce niveau en France. 

Vecteur d’attraction touristique

Le réseau compte onze musées. N’y a-t-il pas un risque d’éparpillement ?

E.G. : Je ne vois pas cela comme un défaut mais plutôt comme un élément de richesse. Simplement, il convient de mieux faire connaître cette diversité et de mieux jouer sur la complémentarité. Ce sera un des objectifs de notre communication : recréer des liens et des connexions entre les différents établissements de la constellation muséale strasbourgeoise. Nos musées sont un service public que nous devons aux habitants de Strasbourg. Nous travaillons pour ce public. Bien sûr, je n’oublie pas que nos musées sont aussi un vrai vecteur d’attraction touristique avec d’importantes retombées pour l’économie locale.

La fréquentation de 2024 est en baisse par rapport à 2023. Pourquoi ?

E. G. : Oui la baisse est de l’ordre de 5%. Bien sûr, je ne m’en réjouis pas. Elle s’explique par des périodes de travaux au musée historique et au musée archéologique et quelques mouvements sociaux. Par ailleurs le musée zoologique était lui aussi fermé, sa réouverture très attendue est prévue cette année. Après une année 2023 exceptionnelle, la quasi-totalité des musées français ont enregistré une baisse de fréquentation entre 2% et 10%. Nous avons presque retrouvé les chiffres d’avant la COVID.

Du coup, quels sont vos objectifs ?

E. G. : Un de nos objectifs sera que les musées les moins fréquen­tés bénéficient de la notoriété des plus grands. Nous voudrions redynamiser l’attachement de la clientèle locale à ses musées. Pour cela, nous réfléchissons à la mise en place d’un système d’abonne­ments. Le projet propose aussi un important volet organisationnel, notamment afin de fluidifier notre fonctionnement interne.

Les musées strasbourgeois sont fermés une heure par jour, entre 13h et 14h. C’est assez rare pour une ville de la taille et du rayonne­ment de Strasbourg.

E. G. : C’est une décision du Conseil municipal qui n’a pas été facile à prendre. Elle a été prise afin de palier à des effectifs restreints et elle permet de préserver les conditions de travail des agents.

Envisagez-vous de revenir sur cette décision ?

E. G. : Non, à ce jour, nous n’avons pas engagé de réflexion pour revenir sur cette décision. Nous avons finalement peu de retours de la part de visiteurs mécontents.

Les nouvelles attentes des visiteurs

La directrice du musée du Louvre a tiré, il y a quelques semaines, la sonnette d’alarme sur l’état patrimonial du musée. Comment se portent les bâtiments des musées strasbourgeois ?

E. G. : Le musée du Louvre fait face à une explosion du nombre de visiteurs. À Strasbourg nous avons engagé un travail d’état des lieux de chacun des bâtiments, afin de planifier les travaux nécessaires dans les prochaines années. Nous devons aussi nous adapter aux nouvelles pratiques de visite, répondre aux nouvelles attentes des visiteurs. C’est le moment pour nous de repenser au contenu de nos musées, à leur scénographie, à leur dispositif d’accueil, à la présence d’espaces de convivialité, de restauration. Cela fait bien sûr partie de notre projet de service.

Tout cela va nécessiter beaucoup d’argent. C’est le contribuable qui doit payer ou bien ferez-vous aussi appel à des partenaires privés ?

E. G. : Il est sûr que, du fait de la conjoncture économique et bud­gétaire, les moyens ne pourront plus seulement venir de la tutelle, ni même de l’État. Cela nous pousse à être réalistes dans nos projets. Nous devons aussi réfléchir à la manière d’emmener avec nous des partenaires privés. Je dis bien partenaires et non pas mécènes. C’est-à-dire qu’il est légitime que les entreprises privées qui nous accompagneront attendent un retour de leur investissement.

Où en est le projet de rénovation du Palais des Rohan ?

E. G. : L’avis de la commission de sécurité est effectivement dé­favorable depuis très longtemps. Une première étude a eu lieu en 2022, une nouvelle étude commence cette année, notamment sur l’état des toitures et des façades. Cela nous permettra de chiffrer précisément les besoins budgétaires nécessaires aux travaux à engager.

Des expositions qui racontent une histoire

La Fondation Gandur a finalement renoncé à s’installer à Strasbourg. Qu’en pensez-vous ?

E. G. : C’est le choix de Monsieur Gandur que je n’ai pas à com­menter. Il s’agit d’une collection d’une très grande richesse de l’Antiquité à l’art contemporain. Bien sûr, nous aurions pu imagi­ner des complémentarités, mais encore une fois, je n’ai pas à me prononcer sur ce sujet.

Les musées publics voisins de Karlsruhe et de Bâle, et je ne parle pas des grandes fon­dations privées, organisent quelques fois de très grandes expositions de niveau européen. Cela est-il envisageable à Strasbourg ?

E. G. : Pourquoi pas, mais je pense que nous devons trouver notre créneau. Je crois beaucoup aux expositions qui font du sens par rapport au lieu où elles prennent place, qui racontent une histoire. Nous pourrions ainsi envisager d’inviter un artiste contemporain qui aurait un regard aiguisé sur Strasbourg et dont l’exposition pourrait prendre la forme d’un parcours dans différents musées. Personnellement je ne suis pas très favorable à l’idée de faire venir des chefs d’oeuvre de l’autre bout du monde. Mais cela n’empêche pas de réfléchir à des projets ambitieux. Nous devons inventer d’autres modèles.

 

En chiffres

  • 11 musées : musée archéologique, musée des beaux-arts, musée des arts décoratifs, musée d’art moderne et contemporain, mu­sée historique, musée alsacien, musée de l’Œuvre Notre-Dame, musée Tomi Ungerer, musée zoologique, Aubette, cabinet des estampes et des dessins.
  • 267 agents
  • 652 763 visiteurs en 2024 (688 000 en 2023, 671 000 en 2019)

Jean de MISCAULT