Interview Paru le 04 avril 2025
ALAIN BARATON Jardinier en chef du Domaine de Trianon et du parc du Château de Versailles

« Il est temps de donner à l’arbre une protection juridique »

À la tête des Jardins de Versailles et du Trianon, chroniqueur de radio réputé, Alain Baraton est incontestablement le pape – pas sûr qu’il apprécie le mot, tant la modestie est une de ses marques de fabrique – des jardins en France. Alors que le 5 avril marque le 6ème anniversaire de la Déclaration des droits de l’arbre, nous l’avons interrogé sur le rôle des arbres, les menaces qui pèsent sur eux et les solutions juridiques qui pourraient les protéger.

Ça sert à quoi, un arbre ?

Alain Baraton : L’arbre, c’est la vie. Sur la terre, là où il n’y a pas d’arbre, c’est le désert. Et dans le désert, il n’y a pas de vie, mais juste de la survie. L’arbre, dans l’histoire de l’humanité, c’est ce qui nous permet de nous chauffer. Ses fruits nous nourrissent. Avec son tronc et ses branches, on construit des maisons pour se loger. On peut aussi fabriquer des outils, avec lesquels nous allons chasser et donc nous nourrir. L’arbre maintient les sols. Il fait de l’ombre. Il accueille la biodiversité. L’arbre est indispensable. Nous ne devons pas beaucoup à l’arbre : nous devons tout à l’arbre. Dans les pays arides d’Afrique du nord ou d’Afrique de l’ouest, traditionnellement toute la population se donnait rendez-vous sous l’arbre. Aujourd’hui, beaucoup de communes urbaines plantent des arbres parce qu’elles savent que cela permet le rafraîchissement de l’atmosphère. L’arbre est un condensé de super pouvoirs.

La bêtise humaine

D’où vous vient cet amour des arbres ?

A. B. : De la faculté qu’ils ont de défier le temps. Observez un arbre vieux d’une centaine d’années ou plus ! C’est fascinant : vous êtes devant un arbre qui a tout vu, qui a traversé les guerres, les tem­pêtes, le froid. Il y a une vingtaine d’années, en Scandinavie, une souche de sapin imposante a été découverte. Cette souche avait produit un tronc, lui-même vieux de quelques centaines d’années. Si le tronc n’a que quelques centaines d’années, la souche, elle, est âgée de plus de 9 500 ans. On est dans l’immortalité. Non seulement les arbres sont beaux mais ils nous aident à remonter le temps.

Qu’est-ce qui menace le plus les arbres aujourd’hui ?

A. B. : Le réchauffement climatique bien évidemment. Je pense particulièrement aux hêtres qui souffrent des étés trop chauds. Les températures trop élevées et la diminution du nombre de jours de gel favorisent la multiplication des scolytes, qui attaquent les épicéas dans les montagnes, notamment dans les Vosges. L’augmentation de la fréquence et de la puissance des tempêtes sont bien sûr une menace directe. La bêtise humaine aussi. Nous continuons de couper des arbres sans aucune raison : c’est insupportable.

Les notaires au secours de l’arbre

Les Notaires de France, lors de leur 120ème congrès, du 25 au 27 septembre dernier, à Bordeaux, ont souhaité qu’un article soit ajouté dans le code civil qui dise ceci : « L’arbre est un organisme vivant, dont la préservation est d’intérêt général. » Concrètement, qu’est-ce que cela changerait ?

A. B. : Cela donnerait à l’arbre une protection juridique dont il ne bénéficie pas aujourd’hui. En France, les arbres ne sont pas proté­gés. À Saint-Maur-des-Fossés un bel arbre trône sur une parcelle qu’un promoteur veut abattre pour construire un immeuble. Cela fait 20 ans que les associations se mobilisent à coups de procès pour empêcher que ce chêne, qui compte parmi les plus vieux d’Île-de-France, soit abattu. Il serait temps qu’une loi soit votée afin que les arbres soient protégés. Pour les particuliers, cela permettrait une meilleure prise de conscience de l’intérêt vital des arbres, à commencer par ceux qui sont dans nos jardins. Quand une dame décide de céder par héritage sa propriété, sur laquelle se trouve un magnifique platane, il est normal qu’elle puisse exiger de son héritier qu’il protège l’arbre. Ce nouvel article du code civil pourrait aider les notaires à ce qu’il en soit ainsi. Le fait que ce soit les notaires, qui ne passent pas pour être de dangereux gauchistes, qui décident de porter secours aux arbres est très important : cela prouve que des femmes et des hommes de loi, professionnellement impliqués dans la transmission des propriétés, sont prêts à s’engager pour la survie des arbres. C’est un signal très fort.

On pourrait vous opposer le principe sacro-saint de la propriété privée ?

A. B. : Peut-être, mais découvrez du pétrole ou des terres rares dans votre jardin et vous verrez s’ils vous appartiennent. Faites une java jusqu’à 4 heures du matin et vous verrez ce qu’il se passera. Par ailleurs, si les notaires inscrivent dans leurs actes la protection d’un arbre, celle-ci n’interviendrait que dans le cas d’une nouvelle acquisition de propriété. Il s’agit bien d’arbres appelés à changer de propriétaire.

On célèbre, ce 5 avril, le sixième anniversaire de la Déclaration des droits de l’arbre. Un des objectifs était de faire voter une loi. Cela n’est toujours pas fait. Qu’en pensez-vous ?

A. B. : J’ai interpellé beaucoup de femmes et d’hommes politiques à ce sujet. Ce qui m’étonne le plus c’est qu’on nous réponde qu’il y a d’autres priorités. Malheureusement, je crois que l’arbre nous écrase et que beaucoup de députés sont bien petits par rapport aux arbres. Cela ne les intéresse pas. Or je ne cesserai jamais de le répéter : les arbres doivent être protégés par une loi. En passant, cette loi ne coûterait rien. L’olivier de Roquebrune-Cap-Martin, dans les Alpes Maritimes, âgé de 2 000 ans ou plus n’est même pas protégé par une loi : vous vous rendez compte ?

Jardinier devant l’éternel

On ne refait pas la biographie d’Alain Baraton. Elle est longue comme les racines d’un chêne. Nous n’en retiendrons que les branches principales.

Né en 1957, Alain Baraton est entré au château de Versailles, comme caissier pour se faire de l’argent de poche pendant les vacances. À l’issue de ce job d’été, il est engagé comme jardinier, avant de devenir, en 1981, à seulement 24 ans, Jardinier en chef des Jardins de Versailles et de Trianon et plus tard responsable du Domaine national de Marly-le-Roi.

Par ailleurs, Alain Baraton est un des chroniqueurs les plus célèbres de France Inter. Depuis 2003, il anime la Main verte, tous les samedis et dimanches dans les matinales de la radio du service public. Il est également l’auteur de très nombreux livres : romans, livres d’histoire et bien sûr livres sur les arbres et les jardins. Parmi ses derniers ouvrages parus : Le dictionnaire amoureux des arbres, publié chez Plon, en 2021.

« M. Alain BARATON fait partie du comité d’Honneur d’un groupe de réflexion pluridisciplinaire, porté par le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement de Seine et Marne et l’association nationale A.R.B.R.E.S.

Ce groupe de réflexion, à l’œuvre depuis près de sept ans, a finalisé une proposition de Loi-Arbres, hors forêt.

Une réunion de présentation de celle-ci aura lieu le 27 septembre prochain, devant des sénateurs.

L’objectif principal de la proposition de Loi-Arbres est de trouver un meilleur équilibre entre les impératifs de préservation des arbres, les enjeux de sécurité et le droit de propriété.

Après la Déclaration des Droits de l’Arbre, proclamée symboliquement, à l’Assemblée Nationale le 5 avril 2019,

Après le 120ème Congrès des Notaires de France de 2024 ayant adopté le vœu de créer un article 515-15 du Code civil disposant que l’arbre est un organisme vivant dont la préservation est d’intérêt général ;

Les arbres urbains, occupés à nous prodiguer leurs bienfaits, méritent, indubitablement une reconnaissance légale ».

Benoît HARTENSTEIN

Jean De MISCAULT