Les conclusions de l’enquête annuelle menée par l’Apec auprès de 687 établissements du secteur privé du Grand Est (du 12 novembre 2024 au 29 janvier 2025) et de 648 cadres de la région (septembre-octobre 2024) offrent un éclairage précis sur les perspectives d’emploi. Cet échantillon représentatif assure une analyse fiable des salariés du secteur privé par région, taille d’entreprise et secteur d’activité au niveau national. Florence Heitz, Déléguée régionale Apec Grand-Est, partage son interprétation de ces données.
Quel est le bilan du recrutement des cadres dans le Grand Est, en 2024 ?
Florence Heitz, Déléguée régionale Apec Grand-Est : Le bilan de l’année écoulée révèle une contraction du marché du recrutement cadre. Au niveau national, 303 400 recrutements ont été enregistrés en 2024, marquant une diminution de 8 % par rapport à 2023. La région Grand Est a suivi cette tendance avec 13 400 recrutements, contre 14 120 l’année précédente, soit une baisse de 5 %. L’analyse par territoire met en évidence 5 900 recrutements en Alsace, 3 960 en Lorraine et 3 540 en Champagne-Ardenne. Cette diminution s’est également traduite par un ralentissement de la création de postes cadres, avec seulement 2 780 créations dans le Grand Est en 2024, contre 3 130 en 2023.
Il est important de noter que la région Grand Est avait connu une période de dynamisme au cours des deux années précédentes, affichant un taux de création de postes cadres supérieur à la moyenne nationale. Ce dynamisme était en partie attribuable au poids de l’industrie régionale et aux défis liés aux enjeux climatiques et énergétiques, qui ont potentiellement favorisé la création de nouveaux métiers axés sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), l’environnement, l’énergie et la qualité. Ces fonctions jouent un rôle clé dans la réflexion et la mise en œuvre de solutions face aux crises énergétique et climatique.
Quels sont les secteurs d’activités porteurs ?
F. H. : En termes de secteurs d’activité, le commercial-marketing et les Études-R&D se sont distingués en 2024, représentant chacun 16 % des recrutements de cadres dans le Grand Est. La production industrielle et les chantiers ont suivi avec 14 %, tandis que l’exploitation tertiaire a représenté 12 %. L’administration a également affiché un taux de recrutement notable de 11 %. Le secteur de l’informatique, quant à lui, a connu un taux d’embauche plus faible dans la région (10 %) comparativement au niveau national (21 %), une différence potentiellement liée à une sensibilisation accrue aux risques de cyberattaques au niveau national. La finance et les services techniques ont représenté 9 % des recrutements, et la direction générale 3 %.
Les postes liés à la sécurité sont-ils en croissance ?
F. H. : Concernant les métiers cadres liés à la cybersécurité, une baisse globale des recrutements a été observée dans le Grand Est (-12 %) et au niveau national (-24 %). Il est cependant intéressant de souligner que, malgré cette tendance générale à la baisse, les postes de responsables de la sécurité informatique ont été davantage recherchés en 2024 qu’en 2023 dans la région.
Perspectives 2025 : Anticipation d’une baisse plus marquée des recrutements dans le Grand Est
Les perspectives économiques nationales pour 2025 sont peu dynamiques, avec une croissance attendue de 0,7 % contre 1,1 % en 2024. De plus, l’investissement des entreprises continue de reculer (-0,5 % prévu pour 2025, contre -1,2 % en 2024), et la remontée du taux de chômage (7,6 % attendu au deuxième trimestre 2025 selon les prévisions de l’Insee, contre 7,3 % au quatrième trimestre 2024) ne laisse présager aucune amélioration significative du recrutement cadre.
En conséquence, l’Apec anticipe une baisse plus prononcée des recrutements de cadres dans le Grand Est (-7 %) par rapport à la prévision nationale (-4 %). Aucune région ne devrait connaître de rebond de ses recrutements cadres en 2025. Dans le Grand Est, 52 % des recrutements de cadres devraient être réalisés par des PME (moins de 250 salariés) en 2025, et 28 % par les entreprises de l’industrie. Toutefois, ces prévisions sont à considérer avec prudence, compte tenu des incertitudes économiques et géopolitiques qui marquent ce début d’année 2025.
Quels sont les facteurs expliquant ce ralentissement économique ?
F. H. : Plusieurs facteurs expliquent ce ralentissement économique, car la croissance économique est soumise à plusieurs aléas. Le contexte géopolitique actuel est source d’inquiétude, notamment en raison de la guerre commerciale et de la mise en place de droits de douane américains qui pourraient pénaliser les exportations françaises. Par ailleurs, la réduction du déficit public pourrait freiner l’investissement des entreprises et affecter leur compétitivité, exerçant ainsi de fortes contraintes sur les dépenses publiques.
Cependant, des éléments pourraient inverser cette tendance. La désinflation pourrait redonner un élan à la consommation : un retour plus rapide à un niveau d’inflation modéré pourrait stimuler la consommation, moteur essentiel de la croissance. De même, une baisse du taux d’épargne des ménages pourrait soutenir la croissance, car la fin de la spirale inflationniste pourrait inciter les ménages à moins épargner et à davantage consommer.
Quelles sont moteurs de mobilité professionnelle des cadres en Grand Est ?
F. H. : Au niveau national, 34 % des cadres de la région Grand Est envisagent de changer d’entreprise dans les 12 prochains mois, et 43 % ressentent l’envie de démissionner de temps en temps ou régulièrement. Les critères essentiels en cas de changement d’entreprise sont, par ordre d’importance : l’intérêt des missions, l’équilibre vie personnelle-vie professionnelle, la rémunération proposée, l’utilité des missions du poste pour la société, la solidité économique de l’entreprise, la localisation de l’entreprise, les possibilités d’évolutions professionnelles et de formation, la possibilité de télétravail, et l’impact social ou environnemental de l’activité de l’entreprise.
Deux faits significatifs ressortent : 41 % des cadres du Grand Est ne seraient pas prêts à candidater à une offre d’emploi qui ne précise pas le salaire du poste, et 41 % envisageraient sérieusement de changer d’entreprise si on leur proposait un salaire 10 % supérieur à leur rémunération actuelle.
Qu’en est-il de l’attachement des cadres à leur région ?
F. H. : Un pourcentage significatif de cadres travaillant dans le Grand Est (77 %) se déclare attaché à sa région, dont 36 % se disent très attachés. Cependant, la mobilité semble davantage envisageable pour les jeunes cadres, puisque seulement 68 % des moins de 35 ans se disent attachés à leur région. Parmi ceux qui envisagent de changer de région, 42 % sont prêts à rejoindre une région hors Île-de-France, tandis que seulement 11 % accepteraient de s’installer en IDF.
S’oriente-t-on vers une évolution du rapport de force entre candidats et recruteurs ?
F. H. : La diminution des besoins en recrutement de cadres du côté des entreprises, conjuguée à la stabilité des intentions de mobilité des cadres, entraîne une réduction des marges de négociation salariale, une diminution des opportunités pour les profils juniors et expérimentés, et des difficultés accrues pour les publics les plus à risque. Concrètement, la proportion d’entreprises ayant consenti une augmentation de salaire pour finaliser leurs recrutements de cadres est en baisse constante : elle est passée de 56 % en 2022 à seulement 41 % en 2024.
Les difficultés persistent-elles pour les cadres séniors ?
Dans le Grand Est, 50 080 cadres de plus de 55 ans sont actuellement en emploi. La région compte également 32 500 demandeurs d’emploi pour des postes de cadres (soit 8 %), dont 5 900 sont des seniors âgés de 55 ans et plus. Par ailleurs, une diminution des opportunités est observée pour les cadres ayant plus de 10 ans d’expérience, tandis que la situation reste stable pour les jeunes diplômés ayant moins d’un an d’expérience et connaît une légère amélioration pour les cadres ayant entre 1 et 10 ans d’expérience. Ce contexte de marché renforce la nécessité de mettre en œuvre des politiques de diversité et d’inclusion au sein des entreprises et dans les processus de recrutement.
