Interview Paru le 16 mai 2025
BENOIT DRILLON PDG DE DEMECO LEADER FRANÇAIS DU DÉMÉNAGEMENT

« Le déménagement, on n’y entre pas, on n’y dure pas par hasard »

Demeco, leader français du déménagement, célèbre cette année son 60e anniversaire. L’occasion pour cette société de sonder les Français sur les freins persistants au déménagement. Cette entreprise est dirigée depuis 5 ans par un nancéien, Benoit Drillon qui a accordé une interview aux Affiches d’Alsace et de Lorraine. Il nous explique l’activité du déménagement qui s’adapte aux modes de vie des Français.

Benoit Drillon PDG de Demeco

- Les Affiches d’Alsace et de Lorraine : Que représente Demeco ?

- Benoit Drillon : « La marque Demeco est née du regroupement de nombreux déménageurs en 1965. Et parmi eux, il y avait des déménageurs lorrains et alsaciens. Je peux vous en citer. Il y avait en Alsace, Seegmuller et le Lorrain Heiss Claude qui était à Metz. »

- Comment fait-on pour durer aussi longtemps ? 60 ans d’existence ?

- B.D. : « Dans le monde des prestations de services, c’est effective­ment assez rare. Alors qu’il y a beaucoup de marques industrielles qui existent depuis très longtemps. Ce n’est pas le cas dans les services, il y en a très peu. Pour moi cela tient à la qualité qu’on sert à nos clients. Pendant très longtemps, le déménagement a fonctionné essentiellement par le bouche-à-oreille. Lorsqu’on déménage on a besoin de se rassurer. Les gens demandent à leur entourage proche s’ils connaissent une société de déménagement. Et ce bouche-à-oreille a très bien fonctionné pendant 60 ans pour Demeco. S’il a très bien fonctionné, c’est que la marque globale­ment fait de la qualité. »

« Faire du sur-mesure client »

- Quels sont les critères de qualité en matière de déménagement ?

- B.D. : « Il y en a. Le sur-mesure client, le fait de prendre en compte toutes les particularités de nos clients et Dieu sait qu’il y en a. Il n’y a pas un déménagement qui ressemble à un autre. Il y a la qualité de l’étude préalable qui prend bien en compte les spécificités du client. On respecte l’engagement pris et le jour J il n’y a pas de surprise. On envoie des professionnels sur le terrain. Ce sont des gens qui connaissent le métier, ils sont formés par la marque. Ils sont respectueux des engagements pris par le commercial, qu’ils savent mettre en œuvre. Le professionnalisme des déménageurs le jour J, c’est primordial. »

- Comment parvenez-vous à cultiver ce profes­sionnalisme ? Par la formation ?

- B.D. : « Il y a effectivement un CQP (ndlr : certificat de qualifica­tion professionnelle) déménageur qui existe. Il permet d’avoir une formation pratico-théorique. Nous avons un certain nombre de formations sur les gestes et postures : comment porter notam­ment. On a également des formations à l’écoconduite, c’est lié à la décarbonation. Il y a la qualité du personnel. Nos personnels, CDD ou CDI, on essaie de les fidéliser, on essaie de faire en sorte que ce soit toujours les mêmes qui fonctionnent en équipe. On privilégie beaucoup les binômes. À la fin, les gens se connaissent, ils savent comment opérer, ils ne se marchent pas sur les pieds. Ils se respectent les uns les autres, tous sont portés sur la qualité. »

- En moyenne, vous engagez combien de personnels pour un déménagement ?

- B.D. : « Cela varie, souvent ce sont deux ou trois employés. Par­fois davantage, en fonction de l’importance du déménagement. »

« On fidélise le personnel »

- Comment faites-vous pour fidéliser ce personnel alors que c’est un métier difficile, très contraignant, très physique ?

- B.D. : « En fait, il n’y a pas beaucoup de turn-over chez les dé­ménageurs. Sur le personnel administratif, sans doute, mais pas parmi les déménageurs. Je peux même témoigner du fait, alors que j’ai beaucoup travaillé dans la prestation de service, d’un certain nombre d’entreprises où l’on retrouve des tandems de père et de fils. Le père est entré quand il avait 18 ans, son fils le rejoint 20 ans après. Cela se voit entre les chefs d’entreprises, mais également beaucoup au niveau des équipages. Nous avons au sein de nos effectifs, des équipages constitués de père et de fils. Et ça marque quand même un attachement au métier, à la marque, tout à fait remarquable. C’est le seul secteur que je connaisse où j’ai vu ça ! »

- Comment crée-t-on une entreprise de déménagement ? On commence par quoi ? Est-ce que c’est une vocation ?

- B.D. : « Oui c’est une vocation. On n’y va pas par hasard, en tout cas on n’y dure pas par hasard. On crée une entreprise de déménagement avec au départ un minimum de personnel, un, deux ou trois et il faut un véhicule, généralement des utilitaires de 20 m3. Souvent on démarre comme ça. Après on en achète un deuxième, on embauche du personnel supplémentaire, on grossit. Nous avons dans le secteur des entreprises assez petites, des PME entre 5 et 20 personnes et avec 5 à 10 véhicules. Elles font beaucoup de local. La force du réseau Demeco est d’être présent au niveau national. On essaie de mettre en place des synergies entre les agents, faire en sorte qu’ils puissent donner des coups de main, lorsqu’il faut traverser la France. »

- Vous travaillez à l’international ?

- B.D. : « On fait aussi de l’international. C’est plutôt dans le cadre d’expatriation ou l’inverse, ou de la mutation de collaborateurs. On sait aussi le faire, on l’organise. On a des partenaires partout dans le monde. On fait partie d’un réseau mondial de déménageurs. C’est assez technique, administratif mais nous avons la compé­tence pour le faire. »

« Un secteur très émietté »

- Est-ce une activité très concurrentielle ?

- B.D. : « Il faut être très compétitif. Mais l’enjeu c’est de garantir le meilleur rapport qualité-prix. Mais ce rapport qualité-prix ne vient pas par des prix bas. Le risque du prix bas c’est de ne pas traiter correctement la qualité attendue par le client. Il ne faut pas faire un prix inabordable. Plus on est gros, plus le réseau est important, plus la synergie va permettre de faire un prix intéressant, parce qu’on va peut-être éviter de faire un retour à vide, on va faire du groupage, du groupement de lots au sein du même camion. Ce qui minimise le coût du déménagement. C’est la recherche de synergies qui permet de proposer un prix abordable. Ce qu’un déménageur local aura beaucoup de mal à assurer seul. »

- Est-ce que vous voyez beaucoup de défaillances d’entreprises dans votre secteur ?

- B.D. : « Oui, beaucoup. On est un secteur très émietté en France. Il y a un peu moins de 1500 entreprises répertoriées dans le pays, cela représente environ 15 000 emplois en CDI, ce qui n’est pas énorme. Beaucoup d’entreprises sombrent parce que la conjonc­ture n’est pas toujours bonne. Ces deux dernières années, elle a été mauvaise pour la profession, compte tenu de la crise de l’im­mobilier. Lorsqu’une maison ou un appartement est vendu, cela génère deux déménagements. Quand elle ne se vend pas, cela fait deux déménagements en moins. Le secteur du déménagement est une victime collatérale de la crise de l’immobilier aujourd’hui. C’est moins vrai maintenant avec la baisse des taux, le marché immobilier a repris des couleurs. »

« L’engouement du télétravail »

- Mais vous avez quand même connu une belle période après la crise du covid ?

- B.D. : « C’est exact. Fin 2020, 2021 et début 2022, ce furent deux très belles années pour le déménagement. Elles faisaient suite à cette période de confinement de 2020 avec zéro déménagement. C’était très compliqué. Mais juste après on a eu des années record avec une croissance assez importante. Elle était soutenue par l’effet rattrapage et par l’engouement du télétravail. Beaucoup de nos compatriotes ont décidé de quitter la ville pour s’installer à la campagne, c’était très vrai autour de Paris dont bon nombre d’habitants ont bougé vers Orléans, vers Reims, vers Chartres. Il y a eu énormément de mouvements à ce moment-là. Cet en­gouement pour le télétravail demeure néanmoins, même s’il y a une adaptation, un ajustement. Le télétravail apporte de la mobilité. »

- Est-ce que vous travaillez dans le déménagement pour les entreprises ?

- B.D. : « C’est vrai que Demeco est surtout connu pour le démé­nagement de particuliers, mais on fait également du déménage­ment d’entreprise. On en fait beaucoup, même si ce n’est pas la plus grande part du chiffre d’affaires. Cela représente entre 20 et 35% du chiffre d’affaires. Le déménagement de bureaux c’est une autre expertise. Cela nécessite une forte souplesse. Il est fréquent que ces déménagements soient programmés le week-end, dans une tour à La Défense ou dans le centre-ville. Les clients demandent que les gens quittent leur bureau le vendredi midi et que le lundi matin ils retrouvent leur bureau dans un nouvel endroit. Mais c’est vraiment une spécificité. Il faut mettre beaucoup de monde en place sur une période très courte. »

« Des difficultés pour recruter des chauffeurs »

- Avez-vous des difficultés pour recruter du personnel ?

- B.D. : « On a beaucoup de mal pour recruter des chauffeurs poids lourds. C’est une profession sous-tension en France et depuis un certain temps. C’était vrai au moment de la sortie de la crise sanitaire. C’est moins le cas aujourd’hui. Historiquement, rappe­lez-vous, nos chauffeurs poids lourds étaient formés au moment de la conscription, quand ils étaient sous les drapeaux. On trouvait beaucoup de chauffeurs à l’époque. Aujourd’hui c’est beaucoup plus compliqué. Ce n’est pas le même métier que dans le transport. Chez nous, il conduit le poids lourd, il est le chef d’équipe, mais il participe également au déménagement. C’est lui qui nous repré­sente auprès de nos clients. C’est véritablement une autre valeur ajoutée par rapport au transport. Alors on forme nos chauffeurs. »

- On gagne bien sa vie dans le métier de déménageur ?

- B.D. : « Le déménageur est au niveau du Smic, il ne faut pas se voiler la face. Mais un chauffeur, un chef d’équipe, un exploitant ont de bons niveaux de salaire. On gagne bien sa vie. Il y a les déplace­ments, et aussi le pourboire apporté par les clients. On est dans le monde du service. On a beaucoup de directeurs d’agence qui sont d’anciens déménageurs. Ils sont montés à la force du poignet. »

- Il y a peu d’emplois féminins ?

- B.D. : « On a essayé de faire entrer des femmes, mais c’est trop difficile. C’est trop physique. Les femmes ne sont pas du tout attirées par ce métier. »

« On peut aller jusqu’à 65 ans »

- Est-ce que le déménageur doit s’entretenir physiquement pour tenir et durer ?

- B.D. : « L’entretien de leur forme dépend entièrement de leur capacité à adopter les bons gestes et les bonnes postures. On a encore des déménageurs actifs à 65 ans. La plupart arrivent à aller au bout de leur carrière. Ils sont très rodés, très habitués à la charge de travail, ils n’ont pas plus mal au dos que les autres. C’est vrai, le mal de dos est la maladie de la profession. Mais dès lors que vous avez appris à porter, à faire le bon geste, à vous économiser, on a des gars qui durent jusqu’à la fin de leur carrière. Il y a du matériel : les sangles, on peut donner des ventouses… On a même essayé dans le réseau, les exosquelettes. Cela n’a pas fonctionné. Ils sont adaptés pour des gestes très répétitifs. Or dans notre métier, les gestes ne sont jamais les mêmes. Il peut y avoir beaucoup de contorsions dans un escalier tortueux et étroit. Il y a trop de gestes différents, et l’exosquelette n’est pas adapté. C’était plus une gêne qu’une aide pour nos déménageurs. »

- Est-ce que l’évolution du mobilier est importante dans votre métier ?

- B.D. : « Les meubles, c’est toujours la même chose. Ils ne sont pas plus légers qu’auparavant. Ce n’est pas significatif. On va peut-être gagner sur les bonnetières, mais en même temps il y a beaucoup plus de frigos américains qu’à l’époque. Un frigo américain c’est deux fois le poids d’un frigo normal. »

« L’enjeu du déménagement responsable »

- Qu’en est-il de votre stratégie du déménagement responsable et durable pour demain ?

- B.D. : « Pour nous c’est un enjeu majeur. On est une entreprise responsable. On souhaite apporter notre propre contribution. Nous sommes dans un secteur d’activité où les transporteurs émettent beaucoup de CO2. Du coup, notre ambition est de devenir la pre­mière marque nationale décarbonée. On observe et on teste tous les types de motorisation : électrique, gaz. Mais aujourd’hui ce n’est pas encore tout à fait au point. On a des difficultés de poids, de réapprovisionnement, d’autonomie sur la route. Cela devrait s’améliorer dans les 5 ans qui viennent mais les solutions ne sont pas encore suffisamment robustes, pour se lancer. Un utilitaire électrique aujourd’hui, compte tenu du poids à transporter, son autonomie sera de 120 km. On ne peut rien faire. Dans deux ans ce sera peut-être 300 km, puis 500 km. Il faut rester attentif. On développe beaucoup les carburants alternatifs : le B100 à base de colza, le HVO biodiesel, des carburants qui offrent une décarbona­tion significative entre -60 et -90% de CO2. Pour cela il faut avoir des flottes captives pour être approvisionnés en biocarburants. »

- Existe-t-il d’autres alternatives ?

- B.D. : « On développe beaucoup le rail-route. C’est une option très intéressante, même s’il y a encore peu de destinations rendues accessibles par la SNCF. Mais elle a des projets de développer des stations multimodales pour faire les chargements et déchargements. Néanmoins, on le pratique déjà beaucoup sur les grands axes comme Lille-Marseille, ou Paris-Toulouse. Cela permet d’émettre moins de CO2, et d’utiliser davantage nos camions pour faire du local. Il y a la formation de nos chauffeurs à l’écoconduite. »

- Est-ce que vos clients sont impliqués dans cette stratégie ?

- B.D. : « C’est une des grandes nouveautés, on travaille avec des éco-organismes, pour proposer à nos clients, le recyclage de leurs effets. On leur propose de les débarrasser de ce qui ne les intéresse plus, en matière de linge de maison et textiles divers, en matière d’informatique : câbles, écrans, ordinateurs, téléviseurs. D’électroménager également, enfin tout ce qu’ils ont dans leur cave et dont ils ne savent plus quoi faire : on récupère ces effets, et on les recycle avec nos partenaires des éco-organismes. C’est un service très novateur. Compte-tenu de la puissance de notre réseau national, on développe des accords nationaux avec ces organismes nationaux. On commence à communiquer sur ce nouveau service. C’est un bénéfice client très intéressant. »

- Demeco est une marque qui a fait beaucoup de croissance externe ?

- B.D. : « En fait, Demeco est une marque créée en 1965. Elle a été rachetée par un groupe, Hexvia dont je suis également président. Au sein de Hexvia, il y a des agents Demeco filiales, et des agents Demeco franchisés, lesquels bénéficient de l’apport de la marque Demeco. Il y a un double réseau. Hexvia est en quelque sorte la holding. Notre siège social est à Montreuil, dans l’Est parisien. »

Voir aussi www.demeco.fr

Un chiffre d’affaires de 160 M€

• Demeco affiche un chiffre d’affaires de 160 millions d’euros en 2024. La marque emploie 1200 personnes dans le pays. Dans le Grand Est, la société possède 18 agences et emploie 28 salariés. Elle a réalisé quelque 6 000 démé­nagements en 2024. Depuis sa création en 1965, Demeco a parcouru près de 700 millions de kilomètres, soit 9 allers-retours entre la Terre et la Lune.

• Plus de 7 millions de Français, chaque année, changent de domicile, ils ne confient leur déménagement qu’à un tiers de confiance. Selon Demeco, « le déménagement reste une étape importante dans la vie des particuliers et des entre­prises, il est parfois synonyme de stress et de complexité. » La société a su faire évoluer ses services « pour transformer le déménagement en une expérience sereine, confortable et fluide pour tous. »

• À l’occasion de son 60e anniversaire, avec l’institut IFOP, Demeco a interrogé, début février 2025, les Français sur leur perception du déménagement, sur les freins persistants au déménagement.

• Le déménagement a connu un regain d’activité fin 2024 (+10%). Les freins au déménagement ont été identifiés par les Français :

- Ils sont liés aux incertitudes pesant sur le télétravail. Face au risque d’un retour au bureau, 50% des Français interrogés déclarent être freinés dans leur désir de mobilité.

- Le marché immobilier sous tension y contribue également. 88% des personnes interrogées, habitant le Grand Est, estiment que l’absence d’offres immobilières constituent la principale entrave au déménagement.

Conclusion de l’enquête, l’étude Demeco IFOP met en évidence la nécessité d’une meilleure régulation du marché immobilier et d’une clarification des conditions de travail à distance pour faciliter la mobilité résidentielle.

• 52% des femmes : Enfin constat intéressant fait par De­meco : dans les années 2000, 3 décisions sur 4 en termes de déménagement étaient prises par des hommes à plus de 70%, la tendance s’inverse en 2023, les femmes représentent 52% des signataires.

Propos recueillis par Bernard KRATZ