Les défaillances d’entreprises sont en très forte augmentation, ces derniers mois. Le constatez-vous aussi sur les contacts que vous avez avec les chefs d’entreprise en souffrance ?
Justine Schoettel : Nous avons effectivement connu un pic d’activité en 2024 et 2023 : nous sommes plus nécessaires que jamais. C’est compliqué pour bon nombre de chefs d’entreprise. En 2023, nous avons déclenché 57 fiches alertes dans le Bas-Rhin et 42 accompagnements. Un déclenchement, c’est quand une sentinelle est en contact avec un chef d’entreprise qui ne va pas bien. Cela ne donne pas forcément lieu à un accompagnement. En 2024, nous étions à 46 déclenchements pour 39 accompagnements. Ces chiffres sont à comparer avec ceux des années précédentes : en 2021, nous avions enregistré 26 déclenchements et 25 accompagnements. Sur les quatre premiers mois de 2025, nous sommes à 27 déclenchements et 23 accompagnements. Cette année, nous devrions malheureusement battre un record.
Pourquoi toutes les alertes déclenchées par les sentinelles ne donnent-elles pas toujours lieu à un accompagnement ?
J. S. : Malheureusement, dans certains cas, nous ne parvenons pas à joindre le chef d’entreprise alors que nous savons qu’il aurait besoin de notre aide. Il se peut qu’il ne ressente finalement pas le besoin d’être accompagné par un de nos psychologues, il se peut aussi que son téléphone ait été coupé faute d’argent ou, pire, qu’il ait trop honte.
Idées suicidaires
Qu’est-ce qui fait qu’une sentinelle déclenche une alerte ?
J. S. : Cela peut être un dirigeant qui craque, qui ne trouve plus le sommeil, qui pleure… certains expriment même très clairement des idées suicidaires.
Qui sont les chefs d’entreprise que vous aidez ?
J. S. : Dans le Bas-Rhin, l’âge moyen des dirigeants que nous accompagnons est de 49 ans. 64% sont des hommes et 36% sont des femmes. 61% font état d’une situation financière difficile. 5% sont les conjoints du dirigeant. 43% sont en procédure de liquidation judiciaire. 15% expriment des idées suicidaires. 48% font état d’une sentiment de tristesse, 24% de honte et 16% d’inutilité. 13% rencontrent un problème de santé.
Ces chiffres expriment une triste réalité : en France, nous avons malheureusement un problème avec la faillite ; elle est toujours considérée comme l’échec personnel du dirigeant.
Par honte, celui-ci cache la réalité à son entourage professionnel ou personnel, quand il ne se la cache pas à lui-même, et souvent il réagit trop tard. Un sentiment de honte et une perte de temps qui ne font qu’aggraver les difficultés qu’il rencontre.
Comment peut-on aider APESA ?
J. S. : Tout simplement en faisant un don à APESA, déductible des impôts. C’est un appel à la solidarité entrepreneuriale, parce qu’on n’est jamais, soi-même, à l’abri d’une difficulté et, ce jour-là, on est bien content de rencontrer quelqu’un qui nous tient la main.
Mode d’emploi
Les sentinelles jouent un rôle crucial dans le fonctionnement d’APESA. Elles sont toutes formées à la détection des signaux faibles chez les dirigeants d’entreprise qu’elles rencontrent. Si nécessaire et avec l’accord de ce dernier, elle déclenche une fiche alerte, qui, la plupart du temps – mais pas toujours – donne lieu à une prise en charge par un psychologue. Celle-ci est gratuite pour le chef d’entreprise et totalement confidentielle : il pourra bénéficier de cinq séances chez un psychologue agréé proche de son domicile. Ces séances (425 € pour un accompagnement total) sont financièrement prises en charge par l’APESA : « Cela représente 100% de nos dépenses », insiste Justine Schoettel.
L’APESA 67 compte 135 sentinelles et dispose d’un réseau de 35 psychologues agréés. Les sentinelles sont des magistrats, des greffiers, des juges consulaires, des mandataires de justice, des avocats, des experts-comptables, des collaborateurs des chambres consulaires, de la CPME, de la FFB, des banques judiciaires…
APESA n’intervient pas exclusivement à l’issue d’une faillite. Certains dirigeants, dont l’entreprise fonctionne normalement font appel à l’association. Dans le Bas-Rhin, cela représente même 35% des déclenchements à l’issue d’une difficulté passagère, d’un accident de la vie, d’une maladie. Il se peut aussi qu’APESA intervienne sur le conjoint du dirigeant.
Il existe d’autres antennes de l’APESA dans la Meuse, en Moselle, dans le Haut-Rhin et dans les Vosges.