Interview Paru le 17 juin 2025
Économie circulaire

Le projet d’implantation de CIRC à Saint-Avold

Une start-up américaine de recyclage des textiles a choisi Saint-Avold pour implanter sa première usine. L’investissement serait de 450 M€ et devrait générer plus de 200 emplois à l’horizon 2028. Le site retenu occupera 15,5 hectares de l’ancienne cokerie.

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« C’est le moment que nous préparons depuis la création de Circ. Notre première usine commerciale va sortir la mode circulaire du laboratoire pour l’ancrer dans l’économie mondiale. Elle prouve que l’avenir du textile peut être décarboné, sans déchets et régénératif. C’est une avancée décisive pour l’économie circulaire (…) » Peter Majeranowski, Président de Circ s’est félicité de voir la start-up qu’il a fondée à Danville en Virginie choisir d’implanter sa première usine à Saint-Avold en Moselle. Circ est une start-up américaine à l’origine d’innovations révolutionnaires dans le recyclage textile-vers-textile. Son projet est dédié au recyclage des textiles usagés en polycoton, mélange de coton et de polyester, ces deux matières constituent 77% de la production mondiale de textile. Cette usine sera la première installation commerciale à grande échelle de Circ. Elle représente un tournant pour la croissance de l’entreprise, pour l’industrie de la mode et pour une économie régénérative et durable. Le nouveau site, situé à Saint-Avold, plus précisément sur l’ancien site de la cokerie de Carling, sera le premier du genre à recycler ce type de textiles en fin de vie, que ce soient des textiles post-industriels (chutes) ou post-consommations. Grâce à une technologie unique brevetée, ces textiles jusqu’alors non recyclables seront transformés en matières premières de haute qualité pour l’industrie textile. Une fois opérationnelle, l’installation aura une capacité de traitement de 70 000 tonnes par an, un niveau jamais atteint pour ce type de technologie.

Mise en service en 2028

En France, les tonnages mis en marché atteignent 833 000 tonnes, les volumes collectés sont de 268 000 tonnes et les volumes triés et régénérés (réutilisation, effilochage, défibrage, broyage, CSR, inciné­ration et enfouissement) de 188 000 tonnes.

Les travaux de construction devraient débuter fin 2026, pour une mise en service prévue en 2028, en cohérence avec la stratégie ressources et décarbonation de l’Union européenne à l’horizon 2030.

La France s’est imposée comme le lieu idéal grâce à son solide tissu industriel, son histoire toute particulière avec la mode, sa politique ambitieuse en matière d’économie circulaire et son engagement clair en faveur de l’innovation verte. « Nous avons étudié 80 sites dans le monde et Saint-Avold est idéal. Et puis la France est leader dans la mode » a tenu à rappeler le directeur général Conor Hartman dans le journal Les Échos.

Circ a choisi Saint-Avold dans la région Grand Est pour sa position stratégique, la qualification de sa main d’œuvre, et la qualité de ses infrastructures logistiques. L’investissement sera de 450 M€ avec l’objectif de créer 200 emplois directs et indirects.

La technologie hydrothermale

L’industrie de la mode est l’une des plus consommatrices de ressources au monde. Chaque année plus de 300 millions d’arbres sont abattus pour produire des fibres cellulosiques artificielles comme la viscose ou le lyocell. L’usage du plastique PET dans les textiles dépasse déjà celui des emballages d’un facteur de 2,5 alors qu’au final moins d’1% des textiles en fin de vie sont recyclés en textile dans le monde.

La technologie hydrothermale brevetée de Circ change la donne. Elle permet de séparer et de récupérer à la fois le polyester et le coton contenu dans les mélanges polycoton. Cela fonctionne comme une grosse cocotte-minute dans laquelle la vapeur sous pression disloque et sépare les matières. Cette avancée permettra de détourner des millions de vêtements des décharges, des incinérateurs et du grand export chaque année, tout en réduisant considérablement les émis­sions par rapport à la production vierge.

Cela fait cinq ans que Circ travaille sa technologie en laboratoire puis dans deux pilotes industriels aux États-Unis.

Guillaume Thomé, le directeur général de Circ France est venu à Saint- Avold, présenter de façon détaillée le projet en présence de Salvatore Coscarella président de la Communauté d’agglomération Saint-Avold Synergie (CASAS) et du maire de Saint-Avold, René Steiner et de Thierry Zimny (chargé de mission de la Casas).

Interview : Guillaume Thomé : « On a choisi Saint-Avold pour faire une première mondiale ! »

Saint-Avold était en concurrence avec d’autres sites pour accueillir Circ. Guillaume Thomé, le directeur général de Circ France justifie ce choix et nous explique pourquoi ce projet révolutionnaire doit permettre le recyclage de l’équivalent d’un million de tee-shirts par jour.

- Pourquoi la start-up américaine s’est lancée dans cette technologie ?

- G.Th. : « Aujourd’hui c’est Saint-Avold qui est à l’honneur. On a choisi Saint-Avold pour faire une première mondiale. Une usine de recyclage avancée de textile. Circ c’est une start-up américaine innovante qui a mis au point depuis des années, un processus qui permet de faire du recyclage de textile mélangé. L’enfer dans le recyclage, ce sont les mélanges. Ici, ce textile mélangé est du polycoton, le textile produit en plus grande quantité sur terre, mélange de polyester d’origine pétro­lière et de coton, dans le procédé mis au point par Circ, chacune des fibres est récupérée et peut être recyclée à l’infini. C’est une véritable révolution pour transformer cette industrie du textile qui est linéaire en industrie circulaire. Aujourd’hui il y a moins de 1% des textiles qui sont recyclés vers des textiles. Même en France, sur les 800 000 tonnes mis sur le marché, 250 000 t collectés, et plus de 180 000 triés. On a besoin de ce type d’usine car aujourd’hui, l’industrie textile consomme énormément de ressources énergétiques. Les émissions de CO2 de cette industrie c’est plus de 10% de gaz à effet de serre autant que le transport maritime et aérien. Et que dire des polyesters des textiles : il y en a deux fois plus que de plastiques dans les emballages. »

« L’eau chaude sous pression agit comme un solvant »

- Que pouvez-vous nous dire de Circ et de son projet ?

- G.Th. : « Sur le site de la cokerie de Carling de plus de 15 ha, on espère la fin du processus de consultation publique, fin de cette année, début de l’année prochaine, dépose du permis de construire et obtention du permis fin du troisième trimestre et premier coup de pioche, fin du 4e trimestre et démarrage deux ans plus tard. Circ vient de la Côte Est des États-Unis, en Virginie à Danville, une ancienne région textile. Leur idée, dans cette région où il y a beaucoup de plantes de tabac, était de développer le procédé hydrothermal. J’ai passé 30 années dans la chimie je connaissais peu la chimie de l’eau. Or l’eau chaude sous pression agit comme un solvant. Leur idée était d’appliquer ce procédé aux plantes de tabac pour faire du biocarburant. Mais en 2018 le prix du baril était très bas… Le train des biocarburants est parti avec le maïs, jamais ils n’auraient pu le rattraper, ont expliqué les investis­seurs. Très vite, ils ont regardé à l’échelle du laboratoire ce procédé sur les textiles. Ils lancent deux usines de démonstration en 2021 : une à Danville, l’autre en Ohio. Elles marchent avec 1 tonne par jour. Ils en sont à 5 tonnes par jour et cela fait 4 ans qu’elles fonctionnent. Ils étaient prêts à passer à l’échelle industrielle. Ils ont cherché un endroit. Ils ont choisi Saint-Avold. »

« On a étudié 80 sites »

- Comment expliquez-vous ce choix ?

- G.Th. : « On a étudié 80 sites, on en a visité plus de 15 dans le monde, dont 5 en France. D’abord l’Europe. C’est un endroit politiquement et économiquement stable. On l’a constaté lors du rassemblement de Choose France. C’est un gros avantage. Il y a en Europe un environ­nement réglementaire et culturel en faveur du recyclage. Pourquoi en France ? C’est le pays où il y a eu la première réglementation, dès 2007 de la responsabilité élargie du producteur, en matière textile. Ce dernier verse une contribution à un éco-organisme pour qu’il l’aide à prendre soin de tout le cycle de vie du produit. De plus, on va utiliser de l’énergie, et c’est bien qu’elle soit décarbonée, et ça nous ramène en France. Et puis la France est au cœur de la mode. La Moselle et Saint-Avold ensuite ? C’est une plateforme industrielle qui permet à une usine sur 15ha de disposer de ces infrastructures logistiques, en termes routiers ou ferroviaires voire fluviale. C’est aussi de la main d’œuvre qualifiée. Il y a ici une culture industrielle. Et c’est aussi un alignement de toutes les autorités : État, Communauté d’agglomé­ration, Région. On avait identifié d’autres sites… mais on n’avait pas ressenti la même envie. Et c’est Busines France qui nous a fait part de la disponibilité de ce terrain. »

- Où en est le financement de votre projet ?

- G.Th. : « Le sommet Choose France est le véritable point de départ et une véritable rampe de lancement pour la campagne de financement. Outre nos investisseurs actuels, on espère aussi des investisseurs français. Cela va être un sujet pour les 6 à 9 prochains mois. La so­ciété a déjà lancé plusieurs levées de fonds en dernier d’un fonds de décarbonation d’une société franco-britannique. Naturellement nous allons soumettre notre candidature à des financements publics : fonds de conversion charbon, fonds d’innovation, fonds européens. Et nous allons acquérir le terrain auprès de la Communauté d’agglomération de Saint-Avold Synergie. »

- Précision de Salvatore Coscarella, président de la Casas : « C’est un terrain de 50 ha, dont 15 ha occupés par Circ, un autre industriel va en occuper 7. On est en train de le dépolluer, ces 22 ha nous coûtent 15 M€ pour les dépolluer. C’est la formidable cohésion et la coordination entre l’État avec le préfet et le sous-préfet, la Région, le Département, l’agglo et notre culture industrielle qui ont permis d’aboutir. Le conseil d’administration américain de Circ est venu à Saint-Avold. Ses membres ont pu visiter le cimetière américain. Ils ont été très séduits par cette visite. Ils sont venus deux semaines avant le Mémorial Day. »

- De quelle énergie auriez-vous besoin ?

- G.Th. : « Nous n’aurons pas besoin d’hydrogène, mais d’électricité, de vapeur. On va regarder ce que peuvent nous proposer les indus­triels alentour. Et l’électricité en France est largement décarbonée. »

« Des chutes et du post-consommation »

- Votre matière première, ce textile vient d’où ?

- G.Th. : « On va avoir deux sources de textiles : le post-industriel, les chutes. Parfois pour faire un tee-shirt de 15 grammes, il peut y avoir 15 grammes de chutes. La deuxième source, la post-consommation, des vêtements portés longtemps, usés. Il est collecté, trié. S’il n’est pas réutilisable, il peut entrer dans notre usine, après une étape de préparation. Ce textile, c’est le polycoton. L’industrie produit 140 Mt par an de textile, le polycoton représente 40 Mt, le coton pur 10 Mt. L’approvisionnement en chutes post-industrielles provient des sites d’industrie textile. On fera surtout appel à ce qui existe autour du bassin méditerranéen. Pour ce qui est de la post-consommation, il provient de la collecte et du tri. Pour alimenter l’usine de 70 000 tonnes par an, soit 200 tonnes par jour, il va nous falloir 1 million de t-shirts. Il nous faudra aller un peu plus loin que les bennes de collecte des petites villes alentour. L’idée, c’est la France, et l’Europe. Le gisement est important en Allemagne, qui est juste à côté. On va dé­marrer une usine chimique. Il faut que la qualité soit contrôlée à l’entrée afin de garantir la qualité du produit recyclé à la sortie. »

- Est-ce que la filière de la collecte et du tri du textile usagé est prête ?

- G.Th. : « La première année on va beaucoup fonctionner sur ces chutes post-industrielles. Petit à petit, on va baisser le post-industriel et monter la post-consommation. Aujourd’hui pour alimenter un million de t-shirts par jour dans une usine, la filière pour traiter la post-consommation n’est pas prête. On va avoir besoin, d’un peu de temps, entre maintenant et le démarrage pour grandir. On se donne deux ou trois ans pour tout mettre en place de sorte que les centres de tri nous fournissent des produits de bonne qualité. Et puis c’est mieux quand on est plusieurs quand on se lance dans un tel projet. Il y a plusieurs projets en cours. Ainsi Coleo lance un investissement de 10 M€ du côté de Troyes pour trier des textiles et ils vont servir en amont de notre usine. Le but de cette usine c’est bien de traiter le textile de la post-consommation. Je me lève pour ça tous les matins. Cette filière doit grandir. »

« On va construire un centre de R&D »

- Qu’en est il du débouché, du textile recyclé ?

- G.Th. : « Ce qui sort de l’usine, sur la partie coton, ce sont des fibres de cellulose. On est en train de contracter des partenariats avec des filatures européennes intéressées par notre fibre, et auxquelles on puisse vendre du fil. Sur la partie monomère, qui résulte de la décom­position du polyester, on va également lier des partenariats avec des industriels européens capables de récupérer cette matière pour la revaloriser, pour alimenter la chaîne de valeur du textile. »

- Est-ce que cette production va entraîner des rejets, des déchets ?

- G.Th : « Pour ce qui est de l’eau, elle est disponible sur la plateforme. On va construire une station de traitement pour recycler une partie de l’eau, néanmoins il y aura des rejets. On fera en sorte que cette eau re­jetée n’impacte pas l’environnement. Le procédé hydrothermal permet de libérer les fibres, mais aussi les teintures. Nous allons construire à côté de l’usine, un centre de R&D, de recherche et développement, afin de trouver des applications pour traiter et valoriser les teintures. Ce centre devra également s’assurer de la compétitivité de notre usine avec les évolutions de l’environnement et du marché. Ce centre devra aussi trouver des traitements pour valoriser d’autres composants, que l’on retrouve dans les vêtements, l’élasthanne, le nylon, ou du Spandex qui à la sortie de notre cocotte-minute, deviennent comme de la gomme. C’est un véritable sujet R&D. »

Guillaume Thomé à droite, aux côtés de Salvatore Coscarella, président de la Casas et du maire de Saint-Avold René Steiner, lors de la présentation du projet à Saint-Avold.

Bernard KRATZ