Isabelle Lustig
Elle a travaillé au sein de l’URSSAF et de la Caisse Primaire, tant en Alsace qu’en région parisienne et en Picardie. Elle est diplômée de l’EN3S (École Nationale Supérieure de Sécurité Sociale) à SaintÉtienne, une formation qu’elle a suivie après Sciences Po Strasbourg.
Pourriez-vous nous présenter le périmètre d’action de la CARSAT Alsace-Moselle ?
Isabelle Lustig, Directrice de la CARSAT : La CARSAT Alsace-Moselle compte 1 051 collaborateurs répartis sur trois départements : le Haut- Rhin (68), le Bas-Rhin (67) et la Moselle (57). Il est important de noter que notre périmètre est spécifique. Contrairement à d’autres CARSAT qui couvrent des régions entières comme la Bourgogne-Franche-Comté, le Grand Est est divisé entre la CARSAT Nord-Est et la CARSAT Alsace- Moselle. Cette particularité est liée aux trois départements concordataires.
Nos trois grandes missions sont les suivantes : la retraite au sens large, la prévention des risques professionnels et le service social de l’Assurance maladie.
Commençons par la retraite. Quelles sont les principales actions de la CARSAT dans ce domaine ?
I. L. : La CARSAT gère le régime général des travailleurs indépendants et du secteur privé, ce qui représente environ 85 % de la population française. Nous ne nous occupons pas des régimes spécifiques, liés aux cultes, professions libérales, etc.
Dans le domaine de la retraite, nous avons deux missions principales : la préparation de la retraite et l’accompagnement des personnes retraitées. Je tiens à faire passer un message clé : préparez votre retraite tout au long de votre carrière ! Dès le début de votre vie professionnelle, votre compte carrière est mis à jour. Je vous invite à ouvrir votre compte sur le site internet « www.lassuranceretraite.fr » et à vérifier régulièrement votre carrière, afin de vérifier que toutes les périodes sont bien déclarées par vos employeurs. Il est crucial de conserver vos bulletins de paie car ils peuvent être nécessaires pour régulariser votre situation, notamment cinq ans avant votre départ à la retraite. Nous vous recommandons également de faire votre demande de retraite en ligne via le même site internet. Cette démarche en ligne simplifie le processus, valide les pièces justificatives et fait le lien automatiquement avec les retraites complémentaires. Vous pouvez également suivre l’avancée de votre dossier en ligne.
La CARSAT propose-t-elle des actions spécifiques pour les entreprises concernant la retraite de leurs salariés ?
I. L. : Absolument. Nous proposons une offre de services aux entreprises. Cela peut prendre la forme de réunions collectives ou de webinaires pour préparer la retraite, adaptés à la taille et aux problématiques spécifiques de l’entreprise. Par exemple, une entreprise de grande distribution nous a récemment sollicités pour un webinaire sur la retraite anticipée et la retraite carrière longue.
Nous organisons également des ateliers «Bienvenue à la retraite» pour les futurs retraités des entreprises. Cette offre de service peut être proposée aux salariés, par les services RH des entreprises. Ces ateliers couvrent divers thèmes comme le sport, l’alimentation, et la préparation financière de la retraite. Nous pouvons aussi organiser des entretiens individuels collectifs à la demande de l’entreprise.
La gestion des dossiers des travailleurs transfrontaliers représente-t-elle une complexité particulière ?
I. L. : C’est un sujet très pertinent. 20 % de nos dossiers de retraite en Alsace-Moselle concernent des personnes ayant eu une partie de leur carrière à l’étranger, principalement dans les pays frontaliers comme l’Allemagne, la Suisse ou le Luxembourg. Cela ajoute une complexité lors du traitement du dossier, car il faut comprendre comment les trimestres validés à l’étranger, grâce à des conventions, sont reconnus dans notre système. En général, cela se passe bien grâce aux échanges informatiques. Cependant, en cas de dysfonctionnement, cela peut entraîner des délais de traitement supplémentaires car nous devons demander les informations directement aux pays étrangers.
Une autre complexité réside dans les différences d’âge légal de départ à la retraite. Par exemple, en Allemagne, l’âge légal est de 67 ans. Une personne peut donc percevoir sa retraite française avant sa retraite allemande, ce qui peut prêter à confusion. La France prend en compte les trimestres travaillés en Allemagne pour le calcul du taux plein français, mais la retraite allemande interviendra selon ses propres conditions et à son âge légal.
Pour améliorer l’accompagnement des transfrontaliers, nous travaillons avec des associations frontalières et organisons des journées internationales. Lors de ces journées, des représentants de la CARSAT et des régimes de retraite frontaliers (Allemagne, Luxembourg, Suisse) sont présents pour renseigner les personnes. Nous mettons également en place des agoras et des groupes de discussion avec des frontaliers, pour permettre à ces salariés de comprendre leurs parcours particuliers, et leur proposer une offre de services sur mesure.
En tant que spécialiste de l’opérationnel, quel est votre point de vue sur l’évolution de l’âge de la retraite, souvent évoquée dans l’actualité ?
I. L. : Je m’appuie sur des faits et des chiffres. Le régime de retraite français est un régime par répartition, où les actifs financent les retraités. Dans les années 1960, il y avait quatre actifs pour un retraité ; aujourd’hui, c’est 1,5 actif pour un retraité. Cela pose un problème de financement. De plus, l’espérance de vie augmente, et avec elle, la durée moyenne de la retraite, qui est d’environ 22 ans, ce qui accroît le coût de la retraite. Comme l’espérance de vie en bonne santé augmente également, la plupart des pays ont augmenté la durée de la vie active, soit en augmentant le nombre de trimestres, soit l’âge légal. Malgré la réforme des retraites de 2023, il subsiste un déséquilibre financier dans la branche retraite de la Sécurité sociale. Des solutions de financement sont donc nécessaires.
Si l’âge de la retraite venait à reculer à nouveau, quelles seraient les implications pour l’organisation de la CARSAT ?
I. L. : Si l’âge de la retraite recule, nous recevrons moins de dossiers de demande de retraite. Cependant, cela pourrait s’accompagner de plus de demandes de renseignements, surtout si des mesures complémentaires sont mises en place, comme l’accroissement des critères de pénibilité, les possibilités de départ en carrière longue, ou des ajustements concernant le salaire moyen des femmes. Le gouvernement accompagne souvent ces réformes en reconnaissant de nouveaux trimestres, ce qui demande un travail complémentaire pour nos équipes.
Suite à la réforme de 2023, nous avions constaté que, face à l’augmentation de la durée de cotisation nécessaire pour le taux plein, certains ont choisi de partir plus tôt avec une décote. Cela a généré un flux de dossiers de retraite «décoteurs» qui n’avait pas été entièrement anticipé.
Quelles sont les principales problématiques rencontrées par les demandeurs de retraite et les retraités aujourd’hui ?
I. L. : La retraite n’est pas automatique, il faut en faire la demande, et cela se prépare. La complexité réside souvent dans les carrières hachées ou celles incluant des périodes à l’étranger. Contrairement à la génération de nos parents, où les salariés travaillaient généralement 42 ans dans la même entreprise – donc la liquidation de la retraite était plus facile –, les carrières actuelles sont beaucoup plus fragmentées, avec des expériences à l’étranger ou des périodes sans activité. Lorsque nous demandons des pièces justificatives et que le traitement prend du temps, c’est parce que nous devons appliquer la législation en vigueur.
Pour contacter la CARSAT, le site internet www.lassuranceretraite.fr est le moyen le plus efficace. Il permet de créer un espace personnel, de suivre son dossier et même d’estimer son âge de départ et le montant de sa pension retraite. Vous pouvez contacter la Carsat via votre espace personnel sur le site de l’Assurance retraite ou via le 3960 où les conseillers pourront répondre à vos questions.
Abordons la deuxième mission, la prévention des risques professionnels. Quel est le rôle de la CARSAT dans ce domaine ?
I. L. : Sur nos 1 051 collaborateurs, environ 90 sont des préventeurs – ingénieurs-conseils ou contrôleurs de sécurité. Leur mission est de prévenir les accidents du travail et les maladies professionnelles et de réduire leur coût économique, tant pour les entreprises que pour les salariés. En Alsace-Moselle, ils interviennent auprès de 90 000 entreprises, couvrant environ 850 000 salariés.
Concrètement, nous agissons de plusieurs manières. Premièrement, nous offrons des conseils et accompagnons les entreprises. Par exemple, un contrôleur de sécurité peut conseiller une entreprise agroalimentaire sur la bonne manière de manipuler des caisses, afin de prévenir les troubles musculo-squelettiques. Deuxièmement, nous proposons des aides financières importantes. J’invite les entrepreneurs à consulter la rubrique «Entreprise» sur notre site pour découvrir la liste des aides disponibles, en fonction de leurs activités et de la taille de leur entreprise.
Troisièmement, nous calculons le taux de cotisation « accident du travail », qui est un taux patronal uniquement. Ce taux varie selon l’historique des accidents du travail et la taille de l’entreprise, pouvant aller de 0,5 % à 25% de la masse salariale, en cas de risques majeurs comme le contact avec de l’amiante ou les décès lors de l’activité professionnelle. Un taux élevé a un impact financier considérable pour l’entreprise. Des contacts spécifiques et des liens sont disponibles sur notre site pour ces questions.
Observez-vous une évolution positive en matière de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles au fil des années ?
I. L. : C’est une question complexe. Les accidents du travail incluent aussi les accidents de trajet, qui ont augmenté après le Covid. Cependant, nous percevons une réelle volonté des entreprises, de s’engager dans la prévention des risques professionnels. Cette motivation est liée à l’amélioration des conditions de travail, à l’image de l’entreprise, et aux coûts financiers. L’absentéisme dû aux accidents et maladies professionnelles représente un coût important pour les entreprises. Les grandes structures disposent souvent de leurs propres préventeurs, mais c’est plus difficile pour les petites sociétés.
Il peut y avoir un «bonus» pour les entreprises qui démontrent la réalisation d’actions de prévention probantes, permettant de minorer leur taux de cotisation. À l’inverse, si une entreprise ne respecte pas les consignes après avoir été conseillée et mise en demeure (par exemple, absence de casques ou de chaussures de sécurité sur un chantier), elle peut faire l’objet d’une injonction pénale, engageant la responsabilité du dirigeant et entraînant de lourdes amendes.
Le service social de l’Assurance maladie, est une troisième mission de la CARSAT. Elle est moins connue. Pouvez-vous nous en dire plus ?
I. L. : Effectivement, c’est une mission méconnue. Le service social de l’Assurance maladie, géré par la CARSAT et non par la CPAM, dispose d’assistantes et assistants sociaux. Leurs deux missions principales sont l’accompagnement des assurés pour l’accès aux droits et à la santé, et la prévention de la désinsertion professionnelle (PDP).
Elle consiste, d’une part, à soutenir les personnes qui ont des difficultés à accéder à leurs droits en matière de sécurité sociale ou de soins. Par ailleurs, la PDP, est un axe fort de nos objectifs. Il s’agit d’accompagner les assurés en arrêt de travail suite à une maladie ou un accident du travail, qui rencontrent des difficultés à reprendre leur activité. Nous travaillons en lien avec le médecin du travail et le médecin traitant pour éviter que ces salariés ne s’éloignent trop longtemps de l’emploi et pour favoriser leur retour.
Y a-t-il des actions spécifiques menées auprès des entreprises concernant la désinsertion professionnelle ?
I. L. : L’accompagnement de l’assistant social est soumis au secret professionnel et s’adresse directement à l’assuré, non à l’entreprise. Cependant, des liens existent : nos préventeurs peuvent suggérer à l’entreprise ou au salarié de contacter le service social en cas de difficultés individuelles. Le préventeur peut également faire un signalement au service social pour que nous contactions la personne en difficulté. En accompagnant l’assuré, nous aidons indirectement l’entreprise à retrouver un collaborateur efficace à son poste.
Concrètement, nos assistants sociaux écoutent l’assuré, l’accompagnent et réalisent une évaluation globale de ses compétences. Ils peuvent faire le lien avec l’entreprise pour des préconisations d’aménagement de poste. Dans certains cas, cela peut mener à une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), ce qui peut intéresser l’entreprise pour l’adaptation du poste, ou à une invalidité. Des actions de remobilisation, comme des coachings ou des webinaires, sont également proposées. Les personnes les plus aidées par la PDP sont principalement les ouvriers qualifiés (29 %) et non qualifiés (14 %) et les employés du commerce (13 %). Des visites de pré-reprise auprès du médecin du travail sont organisées, et des aides financières peuvent être accordées par le service social pour des aménagements spécifiques.
Quels sont les principaux défis auxquels la CARSAT est confrontée aujourd’hui ? Et quel message souhaiteriez-vous adresser aux entreprises ?
I. L. : Le principal défi reste l’accompagnement constant de l’ensemble des salariés et des entreprises. Notre rôle dans la prévention des risques professionnels et notre mission de service social qui aide les assurés à retrouver rapidement le chemin du travail, contribuent à la gestion macroéconomique et à l’accompagnement des entreprises.
L’aide que nous apportons aux entreprises est à la fois directe, à travers nos conseils et aides financières (8 millions d’euros redistribués aux entreprises et associations), et indirecte. En effet, en accompagnant les salariés, en les aidant à préparer leur retraite et à se sentir bien concentrés et efficaces dans leurs missions.
La CARSAT, et la Sécurité sociale dans son ensemble, sont des piliers essentiels qui accompagnent au quotidien le monde du travail, en offrant un cadre sécurisant qui bénéficie à tous.
Les chiffres
Gestion des dossiers Retraite
En 2024, la CARSAT a versé près de 7,570 milliards d’euros de prestations retraite à 764 612 retraités, dont 631 221 résidents en Alsace-Moselle. 43 780 nouveaux retraités ont été enregistrés. Cette même année, une pension de réversion a été versée à 12 364 veuves/veufs. Le délai moyen de traitement d’un dossier retraite est de 76 jours.
690 205 comptes personnels en ligne sont actifs sur le site www. lassuranceretraite.fr. 42 742 comptes supplémentaires ont été créés en 2024.
5 972 demandes d’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) ont été traitées.
L’activité retraite a occasionné la réception de 307 800 courriers, 328 088 appels téléphoniques et 63 779 courriels.
Plus de 820 000 salariés sont couverts pour le risque AT/MP (accidents du travail/maladies professionnelles)
Accompagnement des séniors
13 382 évaluations des besoins à domicile ont été effectuées par son partenaire Evadopa sur demande de la Carsat.
12 321 plans OSCAR ont été accordés : offre de Services Coordonnée de l’Assurance retraite qui s’adresse aux retraités GIR 5 et 6 à domicile.
2 350 accompagnements à domiciles après hospitalisation (ADH) ont été accordées. S’ajoutent encore à cette aide, les secours exceptionnels (323 dossiers en 2024) et les aides en situation de rupture (27 dossiers en 2024).
434 actions collectives ont été menées : des ateliers, des forums, des séjours vacances et d’autres actions en direction des retraités.
15 477 retraités ayant bénéficié d’un atelier financé par l’Action sociale collective.
Plus de 823 000 € ont été versés à des associations ou opérateurs conventionnés qui organisent des ateliers ou actions de prévention au bénéfice de retraités.
488 382 logements LVC construits/rénovés et 106 adaptations de logements bailleurs sociaux financés par des prêts ou des subventions, pour un montant total de 3 905 854 €.
Aider les publics fragilisés
15 554 bénéficiaires du service social accompagne les assurés en difficulté par rapport à leur santé, soit pour sécuriser les parcours en santé, soit pour aider au maintien dans l’emploi, avec 46 544 entretiens réalisés.
Accompagner les entreprises et les salariés
88 069 entreprises actives en Alsace Moselle et 820 134 salariés sont couverts par la CARSAT.
4 376 entreprises ont été visitées en 2024 par des ingénieurs conseil et des contrôleurs de sécurité
21 042 accidents du travail avec arrêt maladie se sont produits dans les entreprises d’Alsace-Moselle, et 3 547 accidents du trajet avec arrêt maladie
3 127 maladies professionnelles ont été reconnues en Alsace- Moselle
912 aides à la prévention ont été accordées aux entreprises, pour un montant de 2,696 millions d’euros
Les subventions de prévention contre les risques ergonomiques qui sont financées dans le cadre du FIPU (Fonds d’investissement pour la prévention de l’usure professionnelle) s’élèvent à 5,221 millions d’euros.
10 252 € d’aide à la prévention pour les travailleurs indépendants ont été versés (indépendants sans salariés dans le BTP, indépendants avec AVAT).
Données comptables et financières
7 569 913 245 € pour les prestations vieillesse, veuvage, invalidité
56 467 723 € pour les prestations vieillesse travailleurs indépendants
18 097 624 € pour les prestations de l’action sociale « Bien vieillir »
8 060 749 € pour les aides financières versées aux entreprises au titre de l’investissement dans la prévention
190 559 € pour les prestations liées aux dépenses engagées à la suite des appels à projet santé régionaux lancés chaque année par la CARSAT.
Lutte contre la fraude
1 272 005,87 € de montant indus constatés
10 109 285,03 € de montant indus évités
Les contacts à la CARSAT
- Retraite : Obtenir des informations personnalisées sur votre situation : 39 60 (service gratuit + prix appel)
Espace personnel : www.lassuranceretraite.fr
Les services en ligne :
https://www.carsat-alsacemoselle.fr/home/les-services-en-ligne.html
- Risques professionnels « entreprise » : Aides financières, outils et compte AT/MP : 36 79 (service gratuit + prix appel)
Compte professionnel de prévention : 36 82 (service gratuit + prix appel)
https://www.carsat-alsacemoselle.fr/home/entreprises/faq-nous-contacter.html
- Service social : Expertise et accompagnement du Service social : 36 46 (service gratuit + prix appel)