Pourquoi avoir créé l’AFL ? Les banques classiques ne faisaient pas leur travail ?
Olivier Landel : L’AFL (Agence France Locale) a été créée à la fin de 2013. Notre première émission obligataire, avant de pouvoir prêter, a eu lieu au début de 2015. Au tournant des années 2000, l’État avait annoncé qu’il cesserait de financer certains gros projets, tels que les tramways. Par ailleurs Dexia prenait de plus en plus de place dans l’octroi de prêts aux collectivités locales, voire trop de place, selon certaines d’entre elles. C’est à ce moment là que les grandes collectivités territoriales se sont demandé si elles ne feraient pas mieux d’aller chercher elles-mêmes leur argent sur le marché, sans passer par les banques. C’est dans ce contexte que certaines grandes communautés urbaines ont lancé leurs premières émissions obligataires groupées. Et comme elles ont vu que cela fonctionnait, elles ont souhaité élargir l’expérience.
Yves Millardet : À la même époque est survenue la crise financière de Dexia, qui a coûté beaucoup d’argent à l’État et aux collectivités locales lors de la fameuse crise des produits toxiques. Or, dans certains pays d’Europe, les collectivités locales elles-mêmes s’étaient prises en charge en créant des institutions financières qui leur appartiennent, qui sont des banques et qui font le travail des banques. C’est ce qui nous a conduit à créer une institution financière régulée, c’est à dire une banque, qui ait la capacité à aller lever de l’argent directement sur les marchés financiers, qui soit la propriété des collectivités locales, qui n’ait pas pour mission de gagner de l’argent et qui puisse prêter aux meilleures conditions possibles aux collectivités locales. 5
Le travail que vous faites n’aurait-il pas dû être fait par la Caisse des Dépôts et Consignations et l’actuelle Banque des Territoires ?
Yves Millardet : La Caisse des Dépôts et Consignations était l’actionnaire de référence de Dexia : elle a donc été prisonnière de la résolution du problème de Dexia par l’État. Avec le soutien de l’État, sur les ruines de Dexia, elle a créé la Banque des Territoires, qui est aujourd’hui en concurrence avec l’AFL. La différence, c’est que le groupe Caisse des Dépôts, c’est l’État, et que donc, quand il fait des bénéfices, il les reverse à l’État, tandis que l’AFL, qui appartient aux collectivités territoriales, reverse ces mêmes bénéfices à ces dernières.
O. L. : Pour les collectivités territoriales, il s’agissait aussi de sortir de la dépendance de l’État. L’AFL est le vrai marqueur de la décentralisation financière.
Le moins cher possible, à tout moment
Comment définissez-vous l’AFL ?
O. L. : Nous sommes une institution intermédiaire entre les collectivités locales, qui sont à la fois nos actionnaires et nos clients, et les marchés financiers. Nous sommes un établissement régulé : cela veut dire que nous pouvons lever de l’argent sur les marchés, le gérer, répondre aux appels d’offres de nos collectivités territoriales pour financer leurs emprunts.
Y. M. : Notre objectif principal est bien que les collectivités territoriales financent leurs investissements le moins cher possible, à tout moment.
Où allez-vous chercher vos financements ?
O. L. : D’abord les collectivités territoriales, qui entrent dans l’AFL mettent du capital dans l’AFL. Par ailleurs, la part principale de nos financements provient de l’accès au marché obligataire et monétaire. Chaque année nous levons environ 2,5 milliards de dettes sur les marchés obligataires.
Y. M. : Nous identifions un volume de financements et nous nous adressons aux marchés financiers : ceux qui recherchent plus la sécurité que le rendement nous répondent. Cela peut être une caisse de retraite au Canada, un assureur, une banque centrale… Ils viennent d’autant plus facilement que grâce à la bonne santé financière des collectivités territoriales, ils prennent très peu de risques. Nous avons plus de 300 investisseurs, qui régulièrement nous prêtent de l’argent.
Toutes les collectivités territoriales peuvent-elles emprunter auprès de l’AFL ?
Y. M. : Nous pouvons prêter à toutes les collectivités territoriales, dès lors qu’elles sont actionnaires de l’AFL. Le montant de la participation de ces dernières s’élève à 1,1% de leur stock de dette. Elles en restent bien sûr propriétaires. Le prix d’une action, c’est 100 € : nous comptons parmi nos actionnaires des toutes petites communes qui ne détiennent qu’une action.
O. L. : La commune la plus petite que nous finançons compte 9 habitants. Nous finançons aussi les communautés de communes, les plus grandes métropoles, une vingtaine de départements, 5 régions, dont la Région Grand Est. Nous finançons aussi des syndicats de transport, d’eau ou autre.
Pourquoi une collectivité vous choisit vous et pas un de vos concurrents ?
Y. M. : La première réponse, c’est qu’une collectivité, avant même de nous choisir pour obtenir un crédit, va nous choisir pour adhérer et donc pour débourser de l’argent : quand elle fait le choix de l’adhésion, c’est qu’elle a envie de diversifier ses sources de financement avec un financeur qui lui appartienne. Une fois qu’elle a fait ce choix, elle s’attend à ce que les produits proposés par l’AFL soient performants. Et le plus souvent elles sont heureuses de constater la performance financière de nos crédits. Cela ne veut pas dire que nous sommes les moins chers à chaque consultation, mais que structurellement notre capacité à proposer des produits extrêmement bien margés est réelle. Grâce à une équipe d’une cinquantaine de personnes, toutes basées à Lyon, nous prêtons 2 milliards d’euros par an, avec des frais de structure imbattables.
Quelle est votre part de marché auprès des collectivités territoriales ?
Y. M. : Auprès de nos actionnaires, qui sont les seules collectivités auxquelles nous puissions prêter de l’argent, nous sommes le premier prêteur sur le marché bancaire, avec plus de 35 % du marché. Sur le marché global de toutes les collectivités territoriales, y compris celles qui ne sont pas nos actionnaires, nous sommes le troisième prêteur national, avec un peu plus de 10% de part de marché. Par ailleurs nous détenons presque 4% du stock total de dette des collectivités territoriales françaises.
Activité de conseil
Le travail du banquier est aussi d’apporter du conseil à ses clients. Comment vous y prenez-vous ?
Y. M. : D’abord, tous nos conseils sont gratuits. Nous assistons les collectivités pour leur assurer que le montant des crédits qu’elles sollicitent est cohérent et compatible avec leurs capacités de remboursement et à leur taille. Ce conseil est surtout apporté aux plus petites collectivités, qui sont les moins bien dotées en ingénierie financière.
Quelle est la situation de la santé financière des collectivités territoriales ?
O. L. : Le baromètre annuel de la santé financière des collectivités territoriales que nous réalisons chaque année permet de suivre l’évolution. Depuis la fin de 2024, nous avons constaté une inflexion de la santé financière des départements, mais aussi des Régions, un petit fléchissement des communes et un maintien des intercommunalités. Et la loi de finances 2025 augmente la pression, sans parler des mesures de restriction annoncées pour 2026. Cependant, la santé financière globale des collectivités territoriales françaises reste bonne. Une chose est sure, lors du prochain mandat, les collectivités vont devoir prioriser leurs investissements ; elles vont aussi devoir apprendre à mieux travailler pour rentabiliser leurs investissements.
Y. M. : Le sujet principal n’est pas l’endettement des collectivités locales, il est d’ailleurs très stable dans le temps, ce sont les dépenses locales, qui entrent dans le ratio des critères de Maastricht. Le vrai sujet pour les collectivités territoriales, ce n’est pas tant le volume de la dette que le volume de leurs dépenses.
Que diriez-vous aux candidats aux prochaines élections municipales ?
O. L. : D’abord, planifiez vos investissements sur la durée du mandat, notamment sur le sujet de l’adaptation au changement climatique. Ensuite, poussez au maximum le travail en collaboration avec les voisins, apprenez à mutualiser. Et enfin, vérifiez vos capacités d’autofinancement et intégrez le fait que la dette peut être vertueuse dès lors qu’elle finance des projets vertueux et qui dureront longtemps.
Y. M. : J’ajouterai ceci : vérifiez que votre commune est déjà membre de l’AFL et si ce n’est pas le cas, adhérez aussi vite que possible.
En chiffres
Au premier semestre 2025, l’AFL a accordé 728M € de crédits aux collectivités territoriales françaises, en hausse de 18% par rapport au premier semestre 2024. En 2024, 68 prêts ont été accordés à 46 collectivités du Grand Est pour un montant total de 212M €.
1 131 collectivités territoriales sont actionnaires de l’AFL (155 dans le Grand Est, dont la Région Grand Est, le département de la Meuse, l’Eurométropole de Strasbourg, la Ville de Nancy, la Communauté d’Agglomération de Forbach Porte de France...)
Le produit net bancaire s’élève à 15,4M €, en hausse de 43%.
Partenariat avec l’INET
Avec les élèves de l’INET, basée à Strasbourg, l’AFL a mis en place un programme d’études sur le financement des transitions écologiques. « Nous avons travaillé sur le financement de la rénovation énergétique des bâtiments, de la ressource en eau, des mobilité, explique Olivier Landel. Chaque année ces travaux permettent de produire de la connaissance que nous mettons à la disposition de nos collectivités locales actionnaires. Nous leur indiquons notamment l’ensemble des financeurs capables de les accompagner dans leurs projets : l’AFL bien sûr, mais aussi la Banque des Territoires, la Caisse d’Epargne. Les préfectures ou les associations d’élus nous sollicitent pour présenter ces travaux aux collectivités. Cela contribue à l’évolution de leurs connaissances. »