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Interview Paru le 14 novembre 2025
Émilie Oukoloff, déléguée régionale Grand Est de l’Agefiph

« Il reste encore beaucoup de travail pour l’inclusion des personnes handicapées dans les entreprises »

La loi pour l’égalité des droits, des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a vingt ans. À la veille de la 29ème Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, point de situation sur l’emploi des personnes en situation de handicap avec Émilie Oukoloff, déléguée régionale Grand Est de l’Agefiph.

Émilie Oukoloff, déléguée régionale Grand Est de l’Agefiph

La 29ème Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées est placée sous le signe de « l’égalité pour toutes et tous ». Cela veut dire qu’il y a encore du travail à faire ?

Émilie Oukoloff : L’objectif de cette semaine est d’informer et de fédérer autour du thème du handicap et de l’emploi. C’est à la fois destiné au grand public et aux partenaires pour mobiliser sur le thème de l’inclusion. Bien sûr la situation évolue favorablement depuis la loi de 1987, qui imposait un taux d’emploi de 6% de personnes en situation de handicap dans les entreprises de plus de 20 salariés. Selon la loi du 11 février 2005, « constitue un handicap toute limitation d’acti­vité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne, en raison d’une altération subs­tantielle durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. » Cela concerne tous les publics, y compris les personnes en souffrance mentale ou psychique ou les DYS. En fait, par ce slogan de l’édition 2025, nous voulons réaffirmer les principes de la loi de 2005, qui pose son objectif dans son intitulé, « pour l’égalité des droits et des chances ».

Dynamique positive

Quelle est la situation de l’emploi des personnes en situation de handicap dans le Grand Est ?

E. O. : Ce que je peux vous dire, c’est qu’à l’échelle de la France, la part des personnes en situation de handicap dans les effectifs totaux des entreprises était de 4,3%, en 2023 ; elle était de 2,1% en 2002. On est passé de 252 000 personnes handicapées en emploi il y a vingt ans, à 674 000 aujourd’hui. C’est plus qu’un doublement. Le progrès est indéniable. Et cette dynamique positive s’observe également dans le Grand Est. Il n’empêche qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour parvenir aux 6% exigés par la loi.

Bon nombre d’entreprises et d’organisations ont atteint cet objectif de 6%, mais bon nombre d’entreprises en sont encore très éloignées. La représentation du handicap et ce que cela implique dans une entreprise reste un frein. Nous devons continuer à travailler sur l’information et la formation.

L’Agefiph met de plus en plus en avant le cas de la santé mentale. Qu’en est-il ?

E. O. : Encore une fois, c’est d’abord un problème de perception : le regard qu’on porte sur la santé mentale. C’est un sujet très méconnu, objet de nombreux préjugés, qui peut faire peur, y compris d’ailleurs de la part de personnes qui souffrent de ces maux. Il existe aujourd’hui de nombreux dispositifs, qui permettent à ces personnes de bénéficier d’un accompagnement spécifique sur le lieu de travail. Les managers peuvent être formés, certaines grandes entreprises créent des groupes de pairs, qui permettent à ces personnes de recevoir une meilleure écoute.

Du point de vue de l’employeur, que doit-il faire pour bien accueillir et intégrer une personne en situation de handicap ?

E. O. : Il existe beaucoup d’outils et de services qui peuvent l’aider. Le cadre législatif et réglementaire est très propice à l’inclusion. D’abord les personnes en situation de handicap doivent être accompagnées afin qu’elles connaissent mieux leurs zones de confort et d’inconfort. Du côté de l’employeur et du manager de proximité, il existe des ou­tils qui leur permettent d’être accompagnés afin d’inclure au mieux la personne en situation de handicap dans son équipe. C’est la clé de la réussite. Je rappelle aussi que dans les entreprises de plus de 250 salariés, il y a un référent handicap.

Que faudrait-il faire pour que la situation s’améliore durablement ?

E. O. : Nous incitons fortement les entreprises à s’informer, à se for­mer, à outiller leur référent handicap, à faire évoluer le regard sur le handicap au sein de leurs équipes, à connaître les acteurs… La question du handicap est totalement liée avec deux autres sujets majeurs au sein des entreprises : la diversité et la santé au travail.

Jean de Miscault

Semaine européenne

La Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées se déroule du 17 au 23 novembre. 105 évènements sont prévus dans le Grand Est (25 en Alsace, 41 en Lorraine) : des webinaires, des petits-déjeuners employeurs, des visites d’entreprises, des conférences, des forums pour l’emploi qui donneront à des personnes en situation de handicap et à des entreprises la possibilité de se rencontrer. Objectif : que chacun puisse présenter qui il est, quelles sont ses compétences, expériences et aspirations.

Dans le Grand Est

À fin décembre 2024, 42 605 personnes en situation de handicap étaient en recherche d’emploi dans le Grand Est, soit une progression de 10,5% en un an. Progression qui s’explique, selon l’Agefiph, par la conjoncture économique dégradée, mais aussi par l’augmentation du nombre de personnes reconnues handicapées. Dans la région, les embauches de personnes handicapées représentent 5,4 % de l’ensemble des embauches. En 2024, plus de 16 000 personnes en situation de handicap ont accédé à un emploi : c’est 6 % de plus qu’en 2023. En 2024, 410 personnes handicapées sont entrées en contrat d’apprentissage avec une aide financière de l’Agefiph, soit une diminution de 4% en un an. Et 658 personnes ont bénéficié du dispositif d’emploi accompagné, soit une croissance de 15 % en un an.

L’inclusion des personnes handicapées en entreprise

Entre avancées législatives et défis sociétaux persistants

À l’occasion de la 29e Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH), organisée du 17 au 23 novembre par LADAPT, l’Agefiph et le FIPHFP, les trois partenaires présentent les résultats de l’étude IFOP 2025, réalisée auprès de plus de 7 800 personnes*. Elle dresse un état des lieux inédit du monde du travail pour les personnes en situation de handicap et souligne les enjeux d’un emploi plus inclusif et respectueux de la santé mentale.

À noter que pour cette année la thématique 2025 est « Handicaps et emploi, l’égalité pour toutes et tous ! » La SEEPH 2025 met en dialogue trois enjeux majeurs. Tout d’abord, l’héritage vivant de la loi du 11 février 2005, qui fête cette année ses 20 ans, l’accessibilité universelle et la compensation effective sur les lieux de travail et enfin, la santé mentale, grande cause nationale 2025, et l’inclusion des handicaps psychiques.

La Loi de 2005, un jalon incomplet vers l’égalité réelle

Vingt ans après son adoption, la loi du 11 février 2005 est reconnue comme un texte fondamental pour les droits des personnes handica­pées. Cependant, ses effets concrets peinent à se matérialiser. Si 60 % des personnes interrogées reconnaissent des avancées, seules 12 % évoquent de « véritables changements majeurs ». L’enjeu principal n’est plus seulement juridique, mais sociétal : pour 41 % des répondants, l’égalité professionnelle passe avant tout par la « reconnaissance des compétences sans préjugés ». Ce décalage est particulièrement ressenti par les personnes avec un handicap psychique (55 % de satisfaction seulement) ou un multi-handicap (53 %).

Le parcours de recrutement : une double contrainte de méfiance et de discrétion

L’accès à l’emploi demeure un « parcours du combattant ». Les pratiques de recrutement alimentent la méfiance :

- 81 % des répondants ont essuyé un refus sans explication

- 57 % ont fait face à des questions intrusives

- 62 % reconnaissent cacher des éléments de leur handicap.

Cette stratégie de discrétion est lourde de conséquences : elle prive d’aménagements utiles et fragilise l’intégration. Plus d’un tiers des répondants (36 %, et jusqu’à 40 % pour le handicap psychique) choi­sissent de ne pas déclarer leur handicap au moment du recrutement. Le handicap reste ainsi trop souvent perçu comme un risque plutôt qu’une donnée ordinaire de la diversité.

Plafond de verre et autocensure : l’ambition bridée en poste

Une fois en poste, la progression professionnelle est freinée par un plafond de verre persistant :

- 70 % des personnes handicapées n’ont eu aucune promotion sur les cinq dernières années (contre 58 % pour l’ensemble des salariés).

- L’importance accordée aux perspectives d’évolution est moindre chez les personnes handicapées (56 % contre 65 % des autres collaborateurs).

Cette stagnation n’est pas seulement subie, elle s’intériorise par l’au­tocensure. Pour 46 % des répondants, les transitions professionnelles (changement de poste ou d’employeur) sont le moment où le handicap pèse le plus, car elles impliquent de perdre les aménagements acquis et de tout recommencer. La mobilité devient synonyme de fragilité.

L’inclusion à plusieurs vitesses : le rôle clé du référent handicap

L’étude révèle des disparités importantes selon la taille et les moyens de l’employeur. Les grands groupes (plus de 250 personnes) et les cadres bénéficient plus souvent d’outils adaptés (71 % et 75 % res­pectivement), contre seulement 43 % des ouvriers.

Le référent handicap apparaît comme un levier d’égalité déterminant :

- 76 % des collaborateurs avec un référent disposent d’outils adaptés, contre 53 % sans référent.

- Sa présence favorise la mise en place effective des aménagements, la formation et un climat de confiance.

Ces écarts plaident pour une généralisation du dispositif de référent handicap pour garantir un accès équitable aux moyens d’adaptation.

Le prix caché de la différence : une insécurité psychologique persistante

Malgré les progrès organisationnels, une fragilité majeure demeure : l’insécurité psychologique au travail.

- Seulement 67 % des personnes handicapées se sentent en sécurité pour signaler un problème sans craindre de représailles (contre 73 % de l’ensemble des salariés).

- 58 % ne se sentent pas autorisées à évoquer leur santé mentale sans redouter des conséquences négatives.

Ce climat de réserve explique que les valeurs de l’organisation soient cruciales lors de la recherche d’emploi : l’attention à la bienveillance (76 % vs 70 %) et à la politique d’inclusion (69 % vs 54 %) est accrue. L’inclusion doit être visible et incarnée.

Le paradoxe de l’« invisibilité forcée » en découle : pour se protéger, 36 % des personnes (et 40 % chez le handicap psychique) choisissent de ne pas déclarer leur situation, soulignant que la sécurité psycho­logique est la condition sine qua non d’un travail réellement inclusif.

Un défi collectif pour un environnement bénéfique à tous

L’étude souligne que la vulnérabilité des personnes handicapées est un révélateur du fonctionnement du collectif : les freins (peur du regard, manque d’appui) impactent particulièrement les femmes et les seniors. Un environnement de travail réellement inclusif — doté d’un référent, attentif à la santé mentale, ouvert au télétravail et garant d’une reconnaissance équitable — bénéficie à l’ensemble des collaborateurs. L’inclusion est un défi collectif qui dépasse la seule volonté individuelle.

Face à ces enjeux, LADAPT, l’Agefiph et le FIPHFP appellent les em­ployeurs à renforcer la culture de l’inclusion en :

- Généralisant la présence d’un référent handicap dans toutes les organisations ;

- Développant la pratique de l’aménagement raisonnable (adaptation des outils, compensation, télétravail) ;

- Valorisant les compétences au-delà des préjugés, notamment à travers l’équité salariale et les promotions ;

- Et en formant les managers à l’accompagnement des troubles psychiques et à la santé mentale au travail.

* L’enquête a été conduite en juin 2025 auprès de quatre échantillons : 1 000 personnes représentatives de la population française ; 1 007 collaborateurs ; 5 446 personnes en situation de handicap ; 413 employeurs et responsables RH.

À propos de LADAPT

LADAPT, l’association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées, est reconnue d’utilité publique. Avec 157 structures et services d’accompagnement, de formation, d’insertion, de scolarisation ou de soin, LADAPT accompagne plus de 23 000 personnes chaque année. Elle a créé en 1997 la Semaine pour l’emploi des personnes handicapées, qui connaît un succès grandissant chaque année, et a évolué en 2015 en Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées. Grâce aux 200 bénévoles de son Réseau, LADAPT offre un véritable soutien citoyen aux personnes handicapées dans leur recherche d’emploi.

Plus d’informations sur www.ladapt.net

À propos de l’Agefiph

L’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées) est l’acteur de référence emploi et handicap. Elle construit et finance des solutions pour compenser les conséquences du handicap au travail ; accompagne les acteurs de l’emploi, de la formation et de la santé au travail et les entreprises pour que soient pris en compte les besoins spécifiques des personnes handicapées ; grâce à son observatoire emploi et handicap, elle analyse la prise en compte du handicap dans le secteur de l’emploi, de la formation et de la santé au travail et dans les entreprises ; et enfin, pour accélérer les évolutions en matière de compensation et d’inclusion, l’Agefiph soutient la recherche et l’innovation. En 2024, l’Agefiph a notamment financé et réalisé plus de 175 650 interventions auprès de personnes en situation de handicap et des entreprises.

Plus d’informations sur www.agefiph.fr

À propos du FIPHFP

Créé par la loi n°2005-102 du 11 février 2005, le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées œuvre pour l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap dans les trois versants de la Fonction publique (FIPHFP). Il finance, impulse et aide les employeurs publics dans la réalisation de leurs actions relatives au recrutement, au maintien dans l’emploi et à l’accompagnement des parcours professionnels des personnes en situation de handicap. En 2024, 37 778 recrutements ont été réalisés et 8 805 personnes ont été maintenues en emploi, le taux d’emploi dans la fonction publique continuant à progresser pour atteindre 5,93%. Le FIPHFP est un établissement public national placé sous la tutelle des ministres chargés des personnes handicapées, de la Fonction publique de l’État, de la Fonction publique Territoriale, de la Fonction publique Hospitalière et du budget (décret n° 2006-501 du 3 mai 2006). Sa gestion administrative est assurée par la Caisse des Dépôts.

Plus d’informations sur www.fiphfp.fr

La Rédaction