Les Affiches d’Alsace et de Lorraine : Quand se termine votre mandat, alors que vous avez été élu en 2021 à la tête de la Chambre de métiers de la Moselle ?
- Vanessa Py : « En fait, ce mandat n’expire pas en 2026. La date a été reportée à 2027. Et ce en raison du guichet unique qui a été mis en place. Il regroupait l’ensemble des guichets liés aux entreprises. Lorsqu’il a été créé, on a subi des dysfonctionnements au niveau national. On s’est rendu compte que les fichiers n’étaient pas à jour, or pour une élection, c’est obligatoire. CMA France a évoqué le sujet avec la ministre de l’Artisanat. Le report a été décidé. C’est aussi le réseau des CCI, chambres de commerce et d’industrie qui est concerné. Ce report doit être confirmé par le nouveau gouvernement. »
- Les élections à la CMA affichent souvent une participation très faible ?
- Philippe Fischer : « C’est exact. Les deux ou trois derniers mandats ont eu une participation où l’on a atteint péniblement 18% à 22% de participation. On peut penser que c’est lié aux mêmes tendances observées dans les scrutins nationaux, et locaux. »
- Est-ce prématuré d’anticiper sur un bilan de votre mandat ?
- P.F. : « Un petit peu. Il reste tout de même encore une année pleine, 2026. Or compte tenu de la situation politique actuelle, nous sommes le plus souvent contraints de gérer les affaires courantes et financières qui nous sont imposées par les gouvernements successifs. On a eu droit à la baisse des coûts des contrats d’apprentissage. Ils ont été rabotés. Or, on a déjà été ponctionné au niveau national de 60 M€ de taxes pour frais de Chambre de métiers. Et cet été, ils ont annoncé vouloir en rajouter. Sur deux ans, depuis 2023, nous avons été touchés par 1,2 M€ de taxes, pour notre chambre consulaire de Moselle. »
« On essaie de joindre les deux bouts »
- En clair vous naviguez à vue en ce moment ?
- P.F. : « Le plus gros travail pour nos équipes et la secrétaire générale c’est de joindre les deux bouts. On y arrive en grattant un peu ici ou là, pour dégager un résultat positif. Je souhaite surtout ne pas devoir passer par des licenciements. On l’a évité pour l’instant. On pense également y parvenir l’année prochaine. »
- Est-ce que cela a freiné vos investissements annoncés au début du mandat ?
- P.F. : « À l’évidence ces ponctions ont plombé notre politique d’investissement. On a tout de même investi dans le CFA de Forbach dont on vient de réceptionner les travaux. Ce CFA Camille Weiss est très orienté vers l’automobile. Nous avons également engagé de gros travaux de réfection au CFA de Thionville où il y a des formations dans l’alimentaire, la coiffure et une spécialisation avec les arts graphiques. Dans cette formation, il y a beaucoup de demandes, mais pas suffisamment d’entreprises pour les accueillir dans leur apprentissage. Enfin, du côté de Sarrebourg on est bien présent car la Moselle Sud bouge beaucoup avec une activité industrielle qui reprend. »
« On n’a pas touché au personnel »
- V.P. : « On a revu les isolations sur le bâtiment et on a rénové et modernisé ces bâtiments. Sur la rationalisation de nos investissements, on a réussi à ne pas renoncer à nos investissements pour l’apprentissage. On va à ce qui est urgent. Nous disposons d’un parc immobilier entièrement rénové. Nous devons et c’est impératif modifier la façade de Metz. Dès lors qu’on veut agir sur les équipements des CFA, nous sommes obligés de faire des choix. La consigne du président est qu’il faut avant tout continuer à bien former nos jeunes, en maintenant le niveau de nos équipements. Reste que tous les services doivent fournir des efforts dans cet enjeu d’économie. Mais avec les ponctions en cours, on s’inquiète, pour savoir comment réaliser l’équilibre financier. De fait, cette taxe pour frais de Chambre de métiers est bien dédiée aux chambres et au service des artisans. Du coup, conserver la qualité de service nécessite d’avoir les équipes qui vont avec, et ça devient problématique. Si jamais il y a une demande supplémentaire de baisse de taxes, ce sera quoi la suite ? Cela devient très compliqué. »
- Vous n’avez pas touché au personnel ?
- V.P. « Non. La seule exception qui a été faite était en cas de départ à la retraite ou de mobilité, on étudie le poste, et on réfléchit si on peut le dispatcher en interne. On l’a fait pour certains postes. On ne recrute pas forcément. Nous sommes parvenus à maintenir notre masse salariale à -9%. »
- P.F. : « Nous avons ici la chance d’avoir un personnel formé à la polyvalence et qui peut être attaché à différents postes. La qualité de nos équipes permet de relever ce défi. Mais il y a aussi des limites en la matière. Nous allons enregistrer des départs à la retraite au sein de nos équipes. C’est le fait d’une grande fidélité du personnel. C’est peut-être moins vrai chez les jeunes équipes, où il y a davantage de turn-over. C’est la tendance actuelle. C’est vrai aussi dans les entreprises. Voir des gens entrer en apprentissage chez nous, et sortir de la même entreprise à 65 ans, ça n’existera plus ! Alors qu’il y a 40 ans c’était plus courant de conserver plus longtemps son personnel. »
Des défaillances dans les micro-entreprises
- Vous devez respecter des objectifs nationaux ?
- V.P. : « En attendant, nous sommes sous convention d’objectifs avec l’État. On nous donne des indicateurs à remplir chaque année. Nous devons mobiliser nos équipes vers ces objectifs. Or, avec le contexte actuel, nous avons beaucoup d’entreprises qui ont besoin d’accompagnement. De fait, nous enregistrons une augmentation des recours à la Chambre de métiers pour un accompagnement. »
- Où en est-on de vos effectifs d’apprentis à la CMA de la Moselle ?
- V.P. : « C’est stable. On en est à un millier d’apprentis. On peut parler d’un tassement, il est lié à la démographie. Il est national sur l’ensemble du réseau. Nous l’avions anticipé, mais on le ressent. Il est aussi lié à la baisse de la prise en charge par l’État des contrats d’apprentissage et ça incite les entreprises à davantage de prudence avant de recruter un apprenti. Il y a aussi un fléchissement de l’apprentissage chez les jeunes, alors qu’on avait atteint des chiffres records les années précédentes. »
- Est-ce aussi lié aux créations d’entreprises ?
- P.F. « Absolument. Dans ce domaine, 70% des créations sont des micro-entreprises. Et ces entrepreneurs travaillent souvent seuls, et ne prennent pas d’apprentis. Ils ne forment pas. On essaie à la Chambre de sensibiliser ces porteurs de projets. »
- Et les défaillances d’entreprises chez les artisans ?
- V.P. : « Il y en a un peu plus au sein des micro-entreprises. On a remarqué que 80% des entreprises accompagnées par la CMA, passaient la barre des trois ans. L’accompagnement vise à les faire passer du statut de micro-entreprise à un développement vers un autre statut. Il y a des métiers où il est indispensable de se former, d’avoir des bases, dans les métiers de bouche notamment avec la problématique de l’hygiène. »
« Redynamiser le métier de boucher »
- Des métiers qui ont du mal à recruter ?
- P.F. : « Pour la pâtisserie-boulangerie ça va, on n’a pas de problème. C’est surtout au niveau de la boucherie, une activité devenue plus compliquée, alors que la charcuterie-traiteur ça va encore. C’est peut-être le fait qu’il s’agisse d’un métier qui n’a pas su se renouveler, moderniser son image pour améliorer son attractivité.
C’est un contexte autour de la viande qui n’est pas favorable. Mais c’est en train d’évoluer, avec des opérations de sensibilisation, de communication pour redynamiser le métier de boucher. »
- V.P. : « C’est aussi lié à la consommation. Mais on pourrait capitaliser sur des nouveaux ambassadeurs. On a des success story avec des boucheries tenues par des jeunes qui fonctionnent très bien. Il y avait une jeune fille d’un CFA de Nancy, elle s’appelait La bouchère sur les réseaux sociaux. Elle avait décidé de montrer à ses camarades qu’il s’agissait d’une belle formation. Elle communiquait sur la qualité de la viande, et elle était très suivie. Il y a un atout à jouer sur ce terrain-là. Les jeunes sont souvent séduits par leur maître d’apprentissage ou leur professeur, c’est ainsi que des vocations se créent. Ce sont des métiers où les jeunes se lancent dans les concours, poussés par les maîtres d’apprentissage, et cela génère une dynamique auprès des autres apprentis. Les concours les mettent en confiance. »
Préparer la transmission dès l’âge de 50 ans
- Quels sont les métiers en tension chez les artisans ?
- V.P. : « Il y a les métiers de bouche, mais aussi du bâtiment. C’est un phénomène récurrent. On s’inquiète, d’autant qu’on observe le vieillissement des chefs d’entreprise dans l’artisanat : plus d’un tiers des artisans ont plus de 55 ans. Notre cheval de bataille, c’est de préparer la transmission. Et les former à la reprise de leur entreprise. Du reste nous préparons les deux : celui qui va la transmettre, celui qui va la reprendre. La chambre de métiers dispose d’un réseau pour le faire : des avocats, des notaires, des experts-comptables. Tous les professionnels sont là pour répondre aux artisans. C’est un gage de passer par la Chambre de métiers. Il peut certes exister une difficulté, celle de mettre la main sur un repreneur. »
- P.F. : « Tous les mois, on fait des visites d’entreprise avec toutes nos équipes dans un secteur du département. Il nous arrive d’aller à la rencontre de deux, trois entreprises dans une journée, en présence d’élus des communes du bassin d’emploi. C’est l’occasion de montrer à ces élus, l’existence de ces entreprises qui se développent sur leur territoire et qu’ils ne connaissent pas forcément. C’est aussi l’occasion de sensibiliser les artisans de ne pas attendre 55 ans pour se préparer à passer la main, mais de commencer bien avant, dès 50 ans, pour engager la transmission. C’est une période pendant laquelle vous avez le temps de bien la préparer. »
« La proximité est essentielle »
- Est-ce que les transmissions sont toutes réussies ?
- V.P. : « On suit les transmissions. Pas toutes. On a un fort taux de réussite dès lors qu’on fait tout l’accompagnement. En la matière, on fait du sur-mesure. On a la proximité, quand vous composez le N°3006, c’est bien la plateforme Moselle qui vous répond. Nos conseillers sont au bout du fil. Nous parvenons à créer un véritable lien de confiance entre l’artisan et le conseiller de la Chambre. Cette proximité est essentielle. »
- On est bien dans l’humain chez vous. Est-ce qu’on reste loin de l’Intelligence Artificielle ?
- V.P. : « On s’en sert, on n’est pas des réfractaires, on n’a pas renoncé à l’IA. Nos conseillers forment du reste les entreprises à la bonne utilisation de l’IA, mais ça ne remplacera jamais rien dans les métiers de l’artisanat. »
- P.F. : « Elle peut aider pour la gestion de l’entreprise. Pour les TPE, cela reste encore un domaine assez cher. Mais ça les interpelle. »
- V.P. : « On essaie de voir comment on pourrait intégrer l’IA dans un processus lié plutôt à l’humain sur l’artisanat par rapport à des grands groupes. L’IA peut intervenir, pas sur le processus de production, où il y a l’art du geste, mais sur d’autres opérations, où elle permet de réduire le temps de travail, dans la facturation par exemple… L’IA a une capacité de synthétiser les choses, à faire des comparatifs. Mais pour en disposer, il faut s’abonner et c’est coûteux. Et il convient de se former, de former le personnel. Elle ne remplace pas le savoir-faire humain, qui fait la qualité du métier d’artisan. Cela dit nous avons dans notre équipe, une développeuse numérique qui s’est intéressée à l’IA et vient du reste d’être labellisée par le ministère, elle fait partie des experts en IA. L’idée est que l’artisanat ne décroche pas, sans perdre son âme. Nous sensibilisons les entreprises et nous les accompagnons sur ce volet-là, comme sur celui de la RSE, la responsabilité sociétale des entreprises. »
« On reste optimiste »
- Globalement comment va l’artisanat ?
- P.F. : « Il va bien. On a un public de fidèles clients. Le nombre d’entreprises artisanales est même en légère progression. La Moselle est riche de 26 000 entreprises artisanales. Il y a encore une dynamique dans la création d’entreprises artisanales. On reste optimiste malgré les contraintes. Nous devons conduire le bateau dans le bon sens. On arrive à faire le job. Mais un jour ou l’autre, au niveau national on devra nous dire si on veut encore de l’artisanat dans le pays. Nous souhaitons un peu de visibilité, comme dans bon nombre d’activités. »
- V.P : « Nous restons combatifs et imaginatifs ! Il faut inventer des solutions, chercher des partenariats nouveaux pour compenser ce contexte assez mouvant. »
- Où en sont vos relations avec la CMA Grand Est ?
- P.F. : « Le siège de la Chambre de métiers et de l’artisanat du Grand Est se trouve juste dans le bâtiment en face. On a confronté nos opinions. Nous avons notre droit local à défendre. On nous demande à l’échelle nationale de mutualiser au maximum afin de réduire les frais. Nous le faisons très bien. Mais la mutualisation commence à prendre le dessus sur le fait que nous sommes, par le droit local, un établissement autonome et on tient à le rester. Et on nous demande d’aller un peu plus loin que la ligne rouge. C’est vrai qu’étant trésorier de la CMA Grand Est, je joue un rôle un peu compliqué. Mais je continue à défendre cette autonomie. »
- V.P. : « La confrontation existe avec la CMA Grand Est, elle a parfois du bon. Mais on avance quand même. N’oublions pas que les Chambres régionales sont encore en construction. La CMA Grand Est gère sept chambres départementales, ce n’est pas évident. Le réseau continue à accompagner ses artisans. »