- Les Affiches d’Alsace et de Lorraine : Quel était le contenu du Plan Herbe® Moselle et Meurthe fin août à Villacourt ? (Lire les Affiches d’Alsace et de Lorraine N°76 du 23 septembre 2025)
- Xavier Morvan : « C’est un plan qui a concerné 138 000 hectares de surfaces agricoles utiles et un peu plus de 1100 exploitations agricoles, pour un total de 66 000 hectares de prairies et cultures à bas niveau d’impact. C’est un territoire à forts enjeux pour l’agriculture mais aussi à forts enjeux pour l’eau. On y trouve notamment les deux prises d’eau pour la Métropole du Grand Nancy, car il y a près de 26 millions de m3 d’eau qui sont prélevés sur le territoire, à cheval sur le Pays Terres de Lorraine mais également sur le Pays du Lunévillois.
- La Métropole du Grand Nancy était présente à ce lancement ?
- X.M. : « Le Grand Nancy était présent à la fois pour sa connexion avec le Plan Herbe® au travers de son projet alimentaire territorial et de son projet de sécurisation de son alimentation en eau potable au travers de cette seconde prise d’eau. »
« Si on veut encore une ruralité… »
- Le Plan Herbe® vise à préserver la ressource en eau et la biodiversité ?
- X.M. « L’utilisation herbagère des prairies va de pair, par exemple avec la conservation de haies. Quand les vaches sont dans les prés, les prairies utilisent comme clôture des haies. Préserver une utilisation fourragère des prairies, c’est aussi préserver les haies, préserver la diversité de la fleur pré-réale du sud Meurthe-et-Moselle, c’est un tout. Sur les trente dernières années, on a plus de 20% de la population d’oiseaux de la trame agricole qui ont disparu. Ce sont des éléments importants à prendre en compte si on veut encore une ruralité, une agriculture qui continue à siffler quand on se balade… »
- Les haies on en a beaucoup arraché, maintenant on en replante. Est-ce une bonne chose ?
- X.M. : « On les replante, malheureusement le sol continue à être négatif. Dans le sud 54, c’est un territoire à vocation intermédiaire, à la fois élevage et grande culture, dans les 5 ans nous avons la moitié des exploitations qui vont changer de mains, il y a un renouvellement agricole important. Pour certains, il y aura conservation de l’élevage. Il y a en ce moment une vraie tendance à la décapitalisation en vaches, qui est aggravée par des questions sanitaires, comme la fièvre catarrhale ovine. Elle atteint les vaches, ce qui ne permet pas à certaines vaches de mener des vêlages jusqu’au bout. »
« Donner une vraie valeur économique à l’herbe »
- Vous voulez aider les exploitations agricoles face au changement climatique ?
- X.M. : « Oui. Il y a une animation individuelle et collective ainsi qu’un appui aux investissements, pour tout ce qui est matériel destiné à la valorisation de l’herbe. Sur les techniques d’animation collective, il s’agit de redonner une vraie valeur économique à l’herbe. On se rend compte que par rapport à du maïs, celui-ci nécessite des intrants, engrais, pesticides pour sécuriser une production élevée. L’herbe ne nécessite pas grand-chose, ça pousse tout seul. On peut développer une vraie culture de l’herbe avec parfois des prairies plantées : trèfles, ray-grass qui permettent d’avoir une valeur alimentaire assez forte en protéines d’origine végétale. On arrive à faire des fourrages de vraie qualité à la fois pour le lait, car l’herbe contient des oméga 3, car ça transforme le soleil en oméga 3 qu’on va retrouver dans le lait, dans la viande. Elle a une vocation santé pour l’humain qui va consommer ces produits. Et pour la vache qui va paître dans les prairies… il y a là un côté bien-être animal. »
- L’herbe possède toutes les qualités ?
- X.M. : « Cette herbe est vraiment essentielle à protéger à la fois pour son côté fourrage, mais c’est aussi un piège à érosion. Cela permet d’éviter les coulées boueuses dans les villages notamment quand l’agriculture a une part en développement pour les grandes cultures. C’est aussi un stockage d’une part importante de carbone. C’est quasiment une prairie permanente, presque du même niveau qu’une forêt. »
« Pousser l’agriculture à maintenir son élevage »
- On peut vraiment planter une prairie ?
- X.M. : « Oui. Plutôt que de mettre en place des grandes cultures, il y a des prairies qui sont installées avec des mélanges de fétuques, des ray-grass anglais ou italien, de trèfles blancs et trèfles violets qui sont intéressants en valeur agronomique, mais aussi en termes de résistance au changement climatique. La fétuque est très résistante. Cela permet d’avoir une prairie qui sèche un peu moins vite qu’une prairie naturelle. »
- C’est bon pour l’eau ?
- X.M. : « C’est très, très bon pour l’eau parce que c’est une culture à bas niveau d’impact. L’Agence de l’eau cherche à avoir une surface en herbe en augmentation dans les aires d’alimentation des captages destinés à l’alimentation en eau potable. C’est une vocation forte de l’Agence de l’eau que de pousser l’agriculture à maintenir son élevage dans ces secteurs-là. Cela évite d’avoir une pollution des masses d’eau superficielles destinées à l’alimentation en eau potable. Aujourd’hui, il y a à peu près deux tiers des masses d’eau sur le bassin qui peuvent rencontrer des problèmes de pollution diffuse d’origine agricole. Cela correspond à peu près à 10% de nos captages, qui sont contaminés avec des niveaux trop importants en nitrates, soit en pesticides. L’agriculture a une responsabilité. On n’est pas là pour les montrer du doigt, c’est documenté, c’est connu. L’agriculture c’est aussi une solution fondée sur la nature, qui permet d’être acteur de la reconquête de la qualité de l’eau. »
« Une réduction de 20% des points contaminés »
- Vous arrivez à convaincre les agriculteurs de faire évoluer leurs pratiques ?
- X.M. : « Effectivement, il y a vraiment parmi les jeunes qui s’installent, une véritable réflexion notamment sur le maintien de l’herbe. On a aussi des résultats très positifs dans certains secteurs, comme le Sundgau. Sur la nappe d’Alsace on enregistre sur les cinq dernières années, une réduction du nombre de points contaminés par les pesticides, de presque 20%. Sur l’autre Plan Herbe®, au Rupt-de-Mad, on avait des concentrations en nitrates qui atteignaient, il y a deux ou trois ans, des pics de 180 mg par litre, quand le seuil de potabilisation est à 50 mg. Là on est retombé à 35 mg/l, et on a réinstallé entre 700 à 800 hectares de prairies. Il y a des résultats positifs. On est entendu par le monde agricole. Je ne dirai pas que tout est parfait, on teste cette démarche qui est pour l’instant volontaire. Elle permet d’éviter les solutions plus régaliennes, avec des contraintes environnementales imposées par le préfet autour des zones de captage. On préfère proposer au monde agricole des solutions gagnant-gagnant. La collectivité gagne, en préservant des captages. Certaines mettent du reste en place des paiements pour services environnementaux, notamment pour des agriculteurs qui font le choix de passer de grandes cultures à des cultures à bas niveau d’impact : l’herbe, le miscanthus, le chanvre. Des cultures qui n’ont pas besoin d’intrants. Cela redonne une valeur économique à la production agricole et à la préservation de la biodiversité. »
Du lait à l'herbe… »
- Vous menez cette politique avec la Région ?
- X.M. : « Nous le faisons en lien avec la Région. Nous essayons de développer avec elle des filières favorables à la ressource en eau. Aujourd’hui, nous avons des grosses coopératives laitières, comme Alsace Lait qui développe une sectorisation de son offre, et développe notamment du lait dit à l’herbe, avec un vrai débouché en Europe du Nord, en particulier aux Pays-Bas. Il y a là une véritable valorisation économique, on observe dans ce cas précis une filière aboutie. Il y a aussi le développement d’une filière chanvre, à la fois dans les Ardennes et en Alsace où des relations se tissent avec la Chanvrière qui existe dans l’Aube, pour accueillir les premières productions de chanvre destinées à l’isolation, en attendant d’en ouvrir dans les Ardennes et en Alsace. Une chanvrière s’appuie sur une zone de 100 à 150 km pour s’approvisionner. À terme, ces trois chanvrières ne seraient pas en concurrence. Des industriels seraient d’ailleurs prêts à venir s’installer en Alsace. On montre ainsi que l’eau peut participer à sauver le lait et contribuer à faire naître de nouvelles filières de valorisation agricole. »
- C’est un travail de longue haleine ?
- X.M. : « Certes, sur les 20 dernières années on a perdu en France un peu plus de 14 000 captages d’alimentation en eau potable. Il y en a aujourd’hui plus que 36 000. On ne peut pas se permettre d’avoir ce rythme de fermeture. À un moment donné, ce ne sera plus possible : on a tous besoin d’avoir des eaux brutes, destinées à l’alimentation en eau potable de qualité. Et la prévention ne coûte pas cher. Mais le traitement, si on doit aller vers des volets curatifs, est exorbitant. »
- L’Agence de l’eau joue un rôle moteur dans ce domaine ?
- X.M. : « Elle a complètement sa place. En raison des pollutions diffuses d’origine agricole, qui touchent deux tiers des masses d’eau. Les Plans Herbe®, c’est un outil que nous avons développé à la suite d’une délibération du Comité de bassin et du conseil d’administration en 2019. C’est un outil auquel on croit, complémentaire à celui développé par la Région comme Ambitions Éleveurs. L’avantage qu’on a sur ce dispositif, est qu’on responsabilise vraiment les collectivités et les territoires, pour leur production d’alimentation en eau potable et pour la préservation de la qualité en eau de leur captage. On force un peu deux mondes, celui des collectivités et celui de la production agricole, à se parler pour essayer de dealer ensemble. C’est un vrai plaisir de voir cette solidarité se mettre en place, à l’échelle territoriale avec des agriculteurs. On est pleinement dans un rôle de facilitateur, et potentiellement d’effet de levier, parce que tout ça coûte de l’argent public. On essaie d’être économe en moyens et on préfère investir sur la prévention, car les traitements curatifs passent par des techniques qui sont très onéreuses. On pense au porte-monnaie de tout un chacun. »
- Vous aurez d’autres Plans Herbe® ?
- X.M. : « On en a déjà sept. On a tout le département de la Meuse, on a le Mad in Lorraine sur le Rupt-du-Mad, en Alsace le Ried Vivant et le Sundgau, on a le Plan Herbe® sud mosellan, et nous sommes en réflexion avec les deux parcs des Vosges du Nord et des Ballons des Vosges pour faire un Plan Herbe de massif à l’échelle du massif vosgien (ndlr : la charte de partenariat de ce plan a été signée le mercredi 26 novembre 2025 à Steige et à Provenchères-et-Colroy). Il y a une vraie dynamique engagée par les territoires et le monde agricole. »
Voir aussi https://www.eau-rhin-meuse.fr
Le premier acte du Plan Herbe® Prairies, élevage du massif des Vosges
Le massif des Vosges est un territoire agricole dynamique, où les prairies permanentes, les élevages à l’herbe et les paysages façonnés par les activités agropastorales représentent un enjeu économique, écologique et culturel majeur, à court et moyen terme. Mais les défis sont nombreux : changement climatique, pression sur les surfaces agricoles et transition des systèmes de production.
Dans ce contexte, les collectivités souhaitent s’engager dans un Plan Herbe® Prairies, élevage du massif des Vosges, au service d’un développement durable des milieux à prairies, mais aussi du soutien à la filière élevage. Son premier acte : une charte de partenariat qui officialise l’engagement des territoires signataires, des Chambres d’agriculture et partenaires institutionnels. Elle propose un cadre de coopération, d’expérimentation et d’action.
La journée du 26 novembre s’est ouverte par une rencontre avec un éleveur à Steige et s’est poursuivie à Provenchères-et-Colroy par la présentation des enjeux de ce plan et des actions menées ou en cours sur différents secteurs du massif des Vosges.
Les partenaires
Animée par le Parc régional des Ballons des Vosges, l’élaboration du Plan Herbe® Prairies, élevage du massif des Vosges, est issu d’un collectif composé des Parcs naturels régionaux des Ballons des Vosges et des Vosges du Nord, des Communautés de communes de la Vallée de la Bruche et de la Vallée de Villé, des PETRs (Pôles d’équilibres territoriaux et ruraux) des Pays de la Déodatie et de Remiremont et ses vallées, des Chambres d’agriculture et de l’Association Mosellane d’économie montagnarde. Il a été initié et fortement soutenu par l’Agence de l’eau Rhin-Meuse. Il bénéficie du soutien des Régions Grand Est et Bourgogne Franche-Comté ainsi que du Commissariat à l’aménagement et à la protection du massif des Vosges.
Les ambitions du plan d’actions
Voici le détail de ce plan herbe en actions :
• Préserver et reconquérir les prairies naturelles et les surfaces herbagères menacées de dégradation, de destruction ou de déprise ;
• Favoriser une approche transversale dans la mise en œuvre des actions, conciliant économie, environnement et société ;
• Reconnaître la multifonctionnalité des espaces de prairies : production fourragère et santé animale, paysage, biodiversité, ressource en eau, stockage de carbone, cadre de vie et attractivité touristique ;
• Soutenir la viabilité des exploitations notamment dans leur adaptation aux enjeux actuels et à venir (renouvellement des générations, attractivité du métier, défis climatiques…) ;
• Promouvoir une gouvernance collaborative et partenariale, à l’échelle interrégionale, interdépartementale et inter-versants.